things may not always make sense to you right now
but hey, what did I always tell you ?
straighten up
Ils chahutaient au buffet du matin, les esprits dans le brouillard et les rires discrets de l'autre côté de la table. Fenry s'était installée à la table des Gryffondor, comme souvent, fourrant sa cravate verte dans sa poche le temps de manger. Les hiboux s'étaient empressés d'envahir le ciel - ou le plafond, autrement dit - et avaient jeté sur la table lettres et présents. Fenry n'y avait pas accordé le moindre regard, habituée à ne rien recevoir, ni à Noël ni à son anniversaire. Elle s'y était accoutumée et n'espérait plus apercevoir sa chouette traverser la salle.
Ce jour-là, Jacqueline avait une lettre entre ses serres et l'avait jetée au-dessus de Fenry qui, apostrophée par Blue, leva la tête vers l'enveloppe qui tombait lentement sur elle. Elle leva la main, attrapa le papier épais entre ses doigts. La mine perplexe, elle retourna l'enveloppe et considéra l'adresse retour, celle de leur appartement à Manchester.
«
C'est pas normal.. »
Elle n'attendit pas une seconde avant d'ouvrir l'enveloppe et déchiffra sans peine l'écriture calligraphiée qui devait être celle de l'infirmière en charge de sa mère. Blue l'avait interrogée du regard et Fenry lui laissa la lettre entre les mains après l'avoir entièrement lue. Elle posa un doigt sur sa lèvre, le regard dans le vide pendant quelques secondes, attendant qu'elle ait fini de lire.
«
Ma mère est toujours malade. Si elle se doit de le préciser c'est qu'il s'agit pas d'un rhume. »
Elle soupira, se mordit la lèvre inférieure. La lettre lui demandait de revenir à Manchester, exceptionnellement. Elle lui disait qu'on viendrait la chercher et que tout avait déjà été arrangé avec les directeurs de Poudlard.
«
Fait chier. »
We fear how we feel inside
It may seem a little crazy, pretty baby
But I promise mama's gonna be alright
Elle sortit de la voiture, remercia son chauffeur et enfila le capuchon de son manteau pour les quelques mètres qu'elle eut à parcourir sous la pluie, un sac sur l'épaule. Une fois dans l'ascenseur, elle envoya un message à Blue pour lui annoncer qu'elle était bien arrivée et rangea son téléphone dans sa poche. En passant la porte de leur appartement, elle sentit la peur lui prendre les tripes et la gorge. Elle salua vaguement l'infirmière et accéléra le pas jusqu'à sa mère, affalée dans son fauteuil, le regard dans le vide. Quand elle entendit la voix de Fenry, son visage s'illumina, un sourire radieux ornant ses lèvres et ses yeux verts récupérant leur faible éclat.
«
Maman ! Qu'est-ce qu'il s'est passé ? »
Elle s'apprêtait à plonger dans son esprit et à renouer le lien qu'elle abandonnait chaque fois qu'elle partait quand l'infirmière l'interrompit pour répondre à sa question. Fenry tourna la tête vers elle.
«
Elle a été cambriolée et le choc a.. »
Constatant la force avec laquelle elle la toisait de son regard dur et accusateur, l'infirmière se ravisa, comprenant qu'elle attendait une réponse de sa mère plutôt que d'elle. Fenry refusait l'idée que sa maman soit une assistée et par la même occasion, que quiconque se charge de parler en son nom sous prétexte qu'elle n'avait plus ni les mots ni la voix pour s'exprimer.
Alors elle se reposa sur elle et le regard fondu au sien, ses mains dans les siennes, accroupie près du fauteuil, elle se laissa baigner dans les saveurs et les sensations, dans les tendresses et les frayeurs. La violence, les coups, d'abord, elle veut hurler mais elle ne peut rien, elle s'effondre et quand elle se réveille les bijoux et les décorations ont disparu. Fenry ferma les yeux, apprit à vivre avec ses nouveaux souvenirs et rouvrit les paupières immédiatement ensuite.
«
Tu as encore des bleus. »
Elle se releva, la main de sa mère frôlant sa joue, et se retourna sur l'infirmière. Elles échangèrent quelques formalités et Fenry partit installer ses affaires dans sa chambre. Ils ne l'avaient pas appelée pour remplacer une infirmière, ils l'avaient appelée parce qu'elle dépérissait de ne plus la voir, de ne pouvoir exprimer son traumatisme autrement que par des regards désespérés et lourds de sens.
Les jours passèrent ainsi, entre Fenry et Maman et de temps en temps l'infirmière ou le médecin qui passaient prendre des nouvelles, qui passaient faire des examens, vérifiant si sa température était enfin tombée et si ses insomnies s'étaient arrêtées. Mais rien, Emily Williams ne dormait plus et ressemblait de plus en plus à un cadavre.
Le quatrième jour, comme chaque jour, Fenry s'était réveillée tôt et l'avait rejointe dans le salon, lui apportant à manger. Elle s'était assise par terre, à côté de son fauteuil, et comme les jours précédents, s'était inquiétée pour sa mère qui fanait.
Ses tendresses s'étaient arrêtées et sa douce voix avait finit de hanter son esprit. Fenry sa planta devant elle, releva son visage, le regard insistant. Elle s'éteignait petit à petit et Fenry sentait la mort à travers tous ses membres, un froid glacial traversant sa colonne vertébrale.
«
Reste avec moi »
Elle panique, tente d'attirer son attention en caressant son visage, ses joues, ses lèvres, passant une main devant ses yeux.
«
Maman, reste avec moi ! »
Ses yeux s'illuminèrent à nouveau et Fenry tomba en arrière, s'asseyant au sol, la main sur la poitrine et soupirant de soulagement. Sa mère vint chercher ses mains et son regard exprimait une volonté soudaine à communiquer, comme s'il s'agissait d'une urgence.
Elle lui montra des souvenirs, fébriles et rejetés par son esprit fragile. Quelques images de son père qui les avait répudiées, quelques images de son visage enlaidi par la colère, quelques images de leur porte qui claque et de sa terreur, de sa voix qui lui hurlait «
Andrew Gaunt, je t'interdis de partir ! »
Elle s'arrêta, retira ses mains de celles de sa mère, fronçant les sourcils et l'interrogeant du regard, mais elle lui avait déjà donné toutes les réponses et ses yeux s'éteignaient à nouveau.
«
Maman »
Elle passa ses deux mains sur ses joues mais déjà ses paupières tombaient sur ses yeux.
«
Maman ! »
Sa voix lui hurlait de revenir, et elle s'empressa de composer le numéro du médecin qui était chargée d'elle. Ses yeux noyés, le regard paniqué, le souffle court, elle chercha un pouls. Le médecin était arrivé très vite, accourant près de Emily et constata rapidement qu'il était trop tard. Fenry s'acharnait, ses cris hystériques grognant contre l'incapable qui se tenait près d'elle.
«
— Mademoiselle, je suis désolé, elle e-— Fermez-la ! »
Pendant quelques secondes, elle avait continué, refusant l'idée qu'elle l'abandonne - pas elle aussi. Les cris s'étaient transformés en souffles, épuisés, les souffles s'étaient transformés en gémissements et bientôt ses pleurs déchiraient le salon et l'appartement. Elle s'était recroquevillée, sans jamais lâcher les doigts de sa mère, mêlés aux siens, sentant un vide immense s'installer au creux de son esprit.
if you ask me to i'm gonna buy you a mockingbird
i'mma give you the world
Son regard s'était abandonné à la contemplation d'un cadre sur la commode, présentant la photo d'une petite fille déballant son premier ours en peluche - ou chien en peluche, en l'occurrence - le regard pétillant d'un bonheur nouveau. Elle avait fermé les yeux.
«
Il s'agira de déplacer le corps, lui choisir sa demeure et la cérémonie pourrait avoir lieu... Mademoiselle ? »
Elle secoua la tête, rendue muette par l'émotion, et se retourna vers les deux hommes qui débattaient à propos du coût d'un décès. Elle finit par prendre la parole, le regard vide et la voix froide.
«
Pas de cérémonie. Il n'y a plus que moi pour la pleurer et elle ne voudrait pas voir ça. »
Ils acquiescèrent sans ajouter rien de plus et étaient partis, laissant Fenry seule avec ses démons.
Deux jours plus tard, elle s'était rendue au cimetière, les pieds dans la boue et sous le soleil timide qui venait de réapparaître. Elle s'était plantée devant sa tombe, un bouquet de pivoines roses dans les mains. Elle ne prononça pas le moindre mot - le silence lui donnait l'impression d'être encore avec elle, au bord de ses genoux. Un monde entier s'était éteint au fond de ses yeux.
Elle déposa le bouquet et un murmure se décomposait au bord de ses lèvres.
«
Je t'aime. »