Blackwell Family's tragedy || Fallen Blackwell

Le cours se termine, les quelques élèves se lèvent, s'en vont, oubliant déjà si rapidement le contenu de leurs leçons, ignorant les conseils qu'elle donne de relire et lire encore. Le flot se tarit puis disparaît et la salle reprend son aspect initial, vide, froid, repoussant. Pourtant, tu ne le sens pas Hina, après tout, tu es comme cette classe, vide et froide, immuable.
Tu n'as pas de notes à ranger, ni de stylo à récupérer, il n'y a que toi, ton essence, et c'est la seule chose dont tu as besoin au final, tout est dans ton esprit, chaque mot, chaque phrase, chaque discours que tu donnes. Alors tu t'apprêtes à quitter la salle à ton tour lorsqu'une chevelure brune passe devant celle-ci.
Quelques secondes d'hésitation lorsqu'elle te regarde, lorsqu'elle s'arrête. Tu ne saurais dire ce que tu lis dans son visage noble et beau, tu serais incapable d'exprimer si c'est elle qui te cherchait ou l'inverse. Pourtant, tu lui fis signe, d'entrer dans la salle et de fermer la porte derrière elle, puisque toi immatérielle tu n'en serais plus jamais capable.
Avais-tu quelque chose à lui dire, à cette femme forte et jeune qui se tenait devant toi ? Tu ne savais pourquoi était-elle là, réellement, mais la puissance se dégageait d'elle comme des ondes régulières, ocres et rouges, des ondes de colère, des ondes d'impatience, des ondes de certitude. Ses yeux verts balayaient la pièce, sans jamais poser leur regard nulle part, observateurs et analytiques de tout ce qui se trouvait dans leur champ.
Peut-être devrais-tu lui dire de se méfier des Gaunt, mais elle devait déjà le savoir, le mariage n'avait pas abouti, et tu avais ouï dire de son histoire avec la jeune vélane qui semblait ne plus être revenue à Poudlard, qu'elle ne semblait guère résolue à épouser le jeune Felix.

Tu sembles être prête à l'action, Artémis.

Une évidence flagrante, comme une exclamation silencieuse gardée sous clef trop longtemps. Elle semblait être résolue, à quelque chose, elle semblait prête, mais à quoi ? La curiosité aiguisait tes sens, te poussait à l'analyser, à essayer de comprendre, à voir au travers de ses yeux pourtant si difficiles à déchiffrer.
Que caches-tu, Mademoiselle Blackwell ?

Regard insistant, puissant, émeraude inaltérable d'une prunelle qui pourtant n'a rien de l'ambition aveuglée de ceux qui signent sous cette pierre. Intention ferme, réponse sèche, définitive, le choix a été pris et tu ne peux que t'incliner devant cet entêtement, cette obstination qui suinte des mots, des paroles de la femme, plus de la fille, car l'enfant a grandi, l'enfant qui n'en est plus un est prêt, prêt à agir, à mûrir et à prendre ses propres décisions, actes irréparables, gestes inaltérables.
Un geste de ta part, invitation à venir se réfugier dans la pièce, à fermer la porte, pour se couper des regards hostiles, des oreilles curieuses, pour qu'aucun sens ne puisse s'immiscer dans votre discussion intime et secrète. Et tu sais de quoi elle a besoin, mais la nécessité qu'elle l'explique, qu'elle le clarifie est présent, indestructible, condition unique en échange d'informations lourdes de sacrifices, lourdes de décisions. Alors tu t'assieds, enfin, pas vraiment, tu flottes au-dessus de ton bureau, jambes croisées mais à l'écoute, tes yeux attentivement rivés sur la jumelle unique, la seule ayant survécu, la femme forte mais esseulée abandonnée de tous. Et sa force t'ébranlerait presque, encore une fois, car cette même force tu l'avais jadis connue et rejetée stupidement, absurdement, naïve et imbue de toi-même.
Les regrets reviennent alors que les souvenirs jaillissent, yeux d'un même émeraude, audacieux et libres, le regard d'un homme qui t'avait aimée mais dont l'imprudence, la férocité t'avait effrayée, car tu n'avais jamais voulu être aux premières loges, tu l'étais déjà suffisamment, et tu savais que s'attacher à Alpha Blackwell, c'était se préparer à la douleur de le perdre si jamais danser au bord du gouffre ne lui suffisait plus. Mais cet homme là, cette famille là, aurait pu être la tienne, tu aurais pu faire une bonne décision, un choix qui t'aurait sauvée, qui t'aurait épargnée. Seulement, tu étais aveugle, et Ramsay s'était déjà immiscé dans ton cœur, fourbe serpent abyssal, te laissant face à un dilemme que tu avais peut-être trop vite résolu.
Mais il en était ainsi, Hina, et tu savais que si le sort t'a poussée dans l'étreinte mortelle de l'insaisissable Gaunt, c'est car tu pouvais, bien plus tard, sauver les héritiers de ce sort abominable que leur sang gangréné leur imposait.

Je suis toute à votre disposition, mais je crains que mes informations ne vous rapportent pas ce que vous désirez. Il n'est pas de mon ressort de vous influencer. Seule la vérité, celle profonde, pourra vous donner des réponses et il est plausible que je n'en sois pas la seule détentrice.

Déception dans le regard émeraude, contradictoire avec le vermeil des Gryffondors. Changement à peine perceptible, éveil d'une nature profonde et enfouie, alors que la porte est fermée, rendant la conversation privée et d'une importance singulière à vos yeux marqués par tant de fatigue et de souffrance. Mais tes mots n'atteignent pas, ne semblent que morsure froide et cruellement insuffisante à la quête que conduit Sinistra, cette enfant au potentiel monstrueusement dépassant tout ce que tu avais vu jusque là. Tu avais toujours pensé jusque là que les trônes seraient renversés par Felix, dont le sang rougeoyait d'écœurement, mais la réalité ne pouvait plus se cacher de toi ; il n'était qu'un autre Gaunt, élevé comme tous les autres, Morpheus au cœur de pierre, pareil et semblable à ses prédécesseurs.  
Mais la fille Blackwell était différente, elle était pleine d'une colère sourde et bouillonnante, angoisse parfaitement maîtrisée, haine polaire et inévitable. Sa voix détonne, comme un cri funèbre, hurlement à rompre les cœurs même des défunts. Ta tête se baisse, le regard se fait vague et un sourire pâle orne tes lèvres alors que la question gifle et courbe ton échine si ampli de fierté. Il n'est guère question de te protéger, l'heure pour cela est dépassée, mais au fond, l'amour persiste pour un sang impie de mensonges, et les enfants des enfants te le rappellent encore et encore, boucle persistante de dépravation de ton propre esprit.  
Aucune émotion ne perce dans la voix lorsque la furie s' avance, guerrière acharnée en quête de vengeance, et l'évidence se fait dans ton esprit, claire et indéniable - ce n'est pas toi qui empêchera cette jeune femme de se repaître des crimes de ses ancêtres. Ses paroles tonnent comme la foudre, jugement dernier et final, tant attendu. Car l'heure a sonné pour sanctionner les Injustes. Le sourire courbe tes lèvres froides alors qu'elle arbore un rictus victorieux. 

Cela fait depuis plus longtemps que je n'existe que les antiques générations se sont effondrées dans les mœurs les plus indignes de leur rang. Elles sont dépassées depuis tant de temps, et pourtant, tu es la première à vouloir y mettre un terme.  

Le regard est empli de reconnaissance muette, de gratitude informulée et qui jamais ne quitterait tes lèvres, car malgré tout, ce fut le monde que tu aimais, qui t'a aimé et qui t'a forgée dans la plus rude des matières qu'elle s'apprête à détruire, ouragan intempéré qu'on appellera Maelström Sinistre dans les dires avenants. Alors lorsqu'elle demande, lorsqu'elle réclame de savoir, d'apprendre, de connaître l'essence même des évènements d'il y a plus de cinquante années, tu ne peux refuser, pas à l'illustre amazone qui se tient devant toi, pas alors que ses principes ne pourraient être plus nobles.  
Alors les mots coulent et noient, et tes yeux divaguent, alors que tu reviens à ta vie oubliée, que tu décris avec précision l'illustre famille Entwhistle qui t'a élevée, famille entretenant des relations proches de celles de la famille des médecins, secrets et silencieux, hommes de sciences et femmes de pouvoir. Schéma se répétant depuis des siècles déjà, liaison étrange entre deux demeures connues et reconnues, magouilles incertaines mais jamais obscures, pourtant passées sous le couvert du silence. Tant de fois les médecins aux cheveux noirs et yeux brillants étaient venus t'ausculter, s'étonnant de ta beauté si peu présente chez ton frère. Pourtant, jamais ô grand jamais, aucune goutte de sang ne t'a été prise, aucune mèche chevelue coupée, et un jour les questions ont cessées sans qu'il n'y a de répercussions. Le flot de mots t'emmène à décrire le manoir Gaunt, cette bâtisse visitée si peu de fois, le regard peu enclin des parents, Ramsay et sa curiosité, sa douceur et sa chaleur candide. Mais les enfants grandissent, et un jour il en fut assez, et Ramsay fut éloigné, distancé, et alors le regard s'était porté sur Alpha, sa bonté et son amour inconditionnel, ses présages effarés car il avait tant de fois tenté de prévenir ton triste sort, Hina, tant de fois il t'avait avertie, mais jamais il n'avait été écouté.  
La voie de la rédemption s'était alors définitivement éloignée, alors que Ramsay poursuivait le chemin de ses pères, et que la dépravation atteignait tout son être, le ruinant et le détruisant. Mais l'amour aveugle et oblige à se taire et les conséquences des sentiments furent désastreuses, terribles, et le récit ne s'arrête pourtant pas à ton triste trépas.  
Discrète comme ne peuvent l'être que les fantômes, tu avais usé de ton éternel temps pour hanter, silencieusement, la demeure des Gaunt, incapable d'agir mais présente pour ceux qui le nécessitaient. Le nom de Camille n'est pas énoncé mais son histoire est abordée, vaguement, car les promesses tiennent encore et les rompre n'est pas de ton désir. Au final, tout finira par se savoir, s'apprendre, et tes paroles n'apportent qu'un début, une vague esquisse de la réalité.  
Enfin le récit se termine, la voix se brise, le flot s'arrête, et le regard se pose, inquiet, sur la femme t'ayant cherchée. Car dès à présent, elle détient de nouvelles armes, flèches empoisonnées qui lancées seraient dévastatrices pour quiconque serait leur cible. Désormais, tout ce qu'il lui manque, c'est de bien viser. 
Et de tirer.