Primo ☾ Sky

Les flammes dansaient frénétiquement, se mêlant avec l'orangé des œillets d'Inde, virevoltant au vent, s'engouffrant dans la pénombre, et, soudainement, un hurlement te tirais de ton sommeil. Le visage trempé de sueur, tu réalisais alors que ce rêve qui t'avait hanté durant ton enfance faisait à nouveau surface, t'annonçant de manière inévitable un mauvais présage. Tu le savais, c'était ainsi que ça, c'était passé la première fois, et ça se passerait comme cela toutes les autres fois.

Lentement, ton corps quittait tes draps avant de se diriger vers la salle commune, tout doucement, d'un pas léger, feutré, afin de ne troubler personne.

Dans ta main, tu tenais un vieux papier, une ancienne photographie, abîmée, décolorée par le temps, mais qui n'avait cependant jamais perdu de sa valeur. Deux enfants au sourire radieux, qui s'en étaient allé, soudainement, s'envolant, tout comme les flammes de tes cauchemars.

Tes souvenirs restaient encore brouillés, tu n'étais qu'un petit garçon, pourtant, tu te souvenais de leur maison qui te semblait si grande, tu te souvenais du noir charbon qui l'avait recouvert toute entière lorsque tu avais quitté ton pays natal. Ton cœur se serrait, et tu détestais cela, ressentir des choses. C'était tellement inutile, tellement douloureux, pour au final quel résultat ? Absolument aucun.

Tu soupirais, retrouvant doucement tes esprits, tes pas te guidant à nouveau vers ton lit, sans pour autant parvenir à retrouver le sommeil. Et, jusqu'à l'aube, tes iris restaient ouverts et de larges cernes venaient s'encrer dans ton regard. Tu faisais peur à voir.
~
Tu croisais son regard bleuté au détour d'un couloir, et, à nouveau, ton cœur s'emballait. L'instant fut bref, il n'était qu'un étudiant parmi tant d'autres, pourtant, tu ne pouvais t'empêcher de te retourner, et de rester immobile pendant plusieurs secondes. Tu détaillais sa silhouette qui t'apparaissait de dos, il était grand, et beau, jamais une personne normale n'aurait pu faire le lien, toi-même, tu ne l'avais pas fait tout de suite, et, toute la journée, ton esprit se torturait à comprendre.

Tu n'aimais pas agir instinctivement, chacun de tes coups étaient intelligemment bien calculés, pourtant, cette fois-ci, c'était ton cœur qui s'exprimait, ne te laissant aucun choix, pas même celui de donner ton avis. Dans l'après-midi, tu prenais la décision de lui envoyer cette photo que tu avais gardée de longues années près de toi. Au dos, tu avais pris soin d'ajouter un lieu et une heure, sachant pertinemment qu'il comprendrait, imaginant qu'il ne serait pas aussi stupide.

La brume envahissait peu à peu l'espace alors que le ciel se teintait d'un magnifique mais étrange camaïeu de bleu. On entendait seulement le bruit des crapauds qui croissaient, et ceux des loups qui hurlaient. Posé à l'entrée de la forêt interdite, tu attendais, et la peur te gagnait. Tu te fichais bien de te faire dévorer ce soir par un ogre, ce n'était pas cela qui provoquait l'effroi en toi, tu te demandais simplement s'il viendrait, et si tu pourrais alors recroiser ses pupilles océan. Lorsque tu entendais alors le simple craquement d'une branche, un léger sourire se dessinait sur tes lippes. Ta baguette sortie, tu lançais ce sortilège, sans doute ton petit côté ironique prenant le dessus. "Incendio." Une petite flamme sortait alors de ton bâton pour venir se fracasser contre le sol humide avant de disparaître dans la foulée.

Dans la brume, au loin, tu ne distinguais qu'une faible silhouette, mais tu l'avais suffisamment analysé pour savoir à qui elle appartenait, alors, élevant un peu le son de ta voix, et, comme une invitation à venir s'engouffrer dans les ténèbres avec toi, tu lui tendais la main.

"Les flammes m'ont toujours fait penser à ces fleurs, les œillets d'Inde. Tu savais qu'ils symbolisent la séparation ? Je trouve que c'est assez beau, mais aujourd'hui, je me dis qu'ils évoquent le contraire."

Un silence s'installait. Cette phrase, totalement décousue de sens, en avait pourtant tellement pour toi. Ton sourire s'agrandissait, mais, dans la pénombre grandissante, personne ne pouvait déterminer si ce dernier était plutôt bienveillant, ou bien, comme à son habitude, simplement ironique.

"Enchanté... De te retrouver." Un petit rire fuyait de ta gorge. C'était décidément bien trop bizarre.

Le déroulement entier de cette rencontre te paraissait tellement prévisible qu’elle te fis pousser un long soupir d’ennui. Bien évidemment que tu t’attendais à ce genre de réaction de sa part, cependant, tu trouvais qu’il te jugeait vraiment trop vite. Étais-tu si fourbe que cela ? Hm… En y réfléchissant bien, probablement. Tu baissais le regard vers le nuage de poussière qu’il effectuait avec ses pieds, ce geste d’ennui, de fatigue, qui s’envolait comme ces petites particules de terre. Enfin, ton regard fixait l’océan bleu de ses yeux, et, pendant quelques secondes, semblait s’engouffrer à l’intérieur. Aucun son ne sortait de ta bouche, pour une fois dans ta vie, tu n’avais pas assez de répondant, tu cherchais tes mots, tu ne voulais pas faire d’erreur. Tu rangeais la main que tu lui avais précédemment tendue, toi aussi, tu la réchauffais dans ta poche. Ton autre main, elle, venait chercher une cigarette dans ta veste, la portant à tes lèvres, tu l’allumais dans la foulée, aspirant cet air mauvais, faisant virevolter la fumée. Parfois, tu vérifiais qu’il ne s’en était pas allé, car tu savais que ton silence pouvait lui paraître bien pesant. Enfin, tu te décidais, tu te jetais à l’eau, il fallait bien savoir se mouiller quelque fois.

« Je pense… Que tu te méprends sur mes intentions Sky. Alors, arrête un peu de faire le gamin dépressif, je suis simplement venu t’apporter… Une bonne nouvelle ? Enfin, j’espère bien qu’elle le sera, mais tu devrais t’asseoir à mon avis. »

Félicitations. On aurait presque dit que tu lui annonçais ta grossesse. Tu soupirais, recrachant à nouveau ton poison, gardant ton sérieux afin de ne pas perdre ta crédibilité. Jamais tu n’aurais pensé que cela soit si compliqué à annoncer. Tu t’approchais un peu plus de lui, te tenant face à son corps. Tu prenais encore le temps de le regarder, ce qu’il avait changé, mais il possédait toujours ses yeux, reconnaissables entre mille, et tu te blâmais de ne pas les avoir aperçus plus tôt.

« Cette photo, tu sais, je n’ai pas eu du mal à me la procurer, je l’ai toujours eu, en attendant de pouvoir te retrouver. »

Tu faisais tomber ta cigarette au sol avant de prendre soin de l’écraser. Encore un peu, tu te rapprochais. Te mordant la lèvre inférieure, un peu nerveux, tu ne savais décidément pas par où commencer, alors, tu te permettais de poser ta main sur son épaule, la tête penchée, tu lui offrais un sourire que ne dévoilais qu’à de très rares personnes, car on pouvait presque y lire une légère bienveillance.

« Tu ne te souviens vraiment pas de moi, Sky ? On jouait souvent ensemble, tout l’été, ta sœur, toi, et moi, dans ta grande maison avant que… »

Perdant lentement tes moyens, tu ne savais plus trop quoi faire. Ta paume, autrefois posée sur son épaule, s’écartait rapidement pour venir farfouiller dans l’une de tes poches. Évidemment, tu savais bien qu’il fallait que tu l’amènes, cette autre photographie, semblable à la précédente, à la seule exception que tu étais dessus. Tu lui tendais, la main légèrement tremblotante, finalement, c’était bien maladroit, et sans vraiment parvenir à poser de mots dessus, que tu essayais de lui raviver la mémoire.

« Je me souviens qu’on était si heureux à cette époque-là. Pourquoi ne pourrions-nous pas l'être à nouveau ?»