C'est un nez, c'est un cap ! • Aleksandra

« Hey Rudolph ! »
« C'était sympa les dix premières minutes, tu sais. Mais là ça devient grave lourd. »

Lisbeth ponctua sa remarque d'un geste violent de la main, manquant de renverser son verre de jus de citrouille sur l'élève de première année qui lui tapait sur les nerfs depuis tout à l'heure. Tout cela à cause de l'ingestion d'un chocolat surprise de Berthie Barbue qui lui avait valu de finir avez un nez rouge clignotant lui filant l'allure d'une voiture borgne en panne. Ou d'un renne de Noël hautement populaire même chez les sorciers.

En soit le sort elle s'en moquait bien – c'était comme un peu de Noël en retard. Mais la même blague répétée en ritournelle ça devenait rapidement rasoir et donnait la furieuse envie de coller un sort de Furunculus sur cette trogne de jeune prodige. Néanmoins, préférant éviter l'esclandre, Lisbeth posa une main sur son museau espérant tamiser la lueur entre ses doigts.

« Au moins ça te fera une veilleuse pour cette nuit. » lui suggéra une collègue.
« J'espère m'en débarrasser avant, n'en déplaise au dortoir. Personne connaît un moyen de stopper ça ? »

La portion de tablée s'entre-regarda cherchant à voir si quiconque ici en avait la moindre idée. Au vu de la réactivité c'était bien parti pour faire chou blanc.

« Je crois que c'est ensorcelé pour durer une journée... »
« Parait qu'y a un chocolat dans le lot qui annule les sorts. »
« Parfait. Quelqu'un en a un ? »

Nouveau silence tendu empli de questionnements informulés et d'hésitations.

« Tu sais ils datent de Noël et... »
« On les a déjà tous bouffés. »
« Y a que toi pour en dénicher un au mois d'avril. »
« Je rêve... »

Lisbeth laissa tomber son front entre ses mains en coupe. En même temps elle n'avait qu'à s'en prendre qu'à elle, avec sa tendance à cloisonner toutes ses friandises dans sa boîte en fer pour « grignoter plus tard », dévorer des chocolats de Pâques durant Halloween et des confiseries du Nouvel An en pleine Saint-Valentin. Sans compter tout ce que lui envoyait son père depuis sa boutique – tous ses anniversaires croulaient sous des montagnes de saccharose.

Fixant son jus de citrouille, Lisbeth faisait fumer ses méninges. Qui pourrait l'aider à ôter ce sort, rigolo cinq minutes mais devenu, soudainement, insupportable ? Son inconscient la poussa à s'incliner vers la tablée des Serdaigles. Véritable foyer de cerveaux en ébullition et de neurones inter-connectés, ils sauraient sans aucun doute l'extirper de ce léger inconvénient. Le plus dur serait de faire face à leur mépris : Serdaigles et Poufsouffles se tiraient autant la bourre que Gryffondors et Serpentards. Lisbeth les avait toujours comparés à des elfes prétentieux vivant dans leurs draps de soie. Elle préférait largement être une Hobbite vivotant dans son trou tout près des cuisines de l'école.

Lisbeth s'administra une bonne claque sur les joues avant de se lever sous le regard de ses camarades qui devaient se demander quelle mouche l'avait encore piqué. La jeune femme contourna le banc où elle s'était assise auparavant, remonta la foule qui vaquait auprès des assiettes et des reliefs du repas de midi.

« Bah Lizzie t'as une admiratrice ? » lança un élève à la Poufsouffle, un grand sourire goguenard éclairant son visage juvénile.
« De quoi que tu causes ? »

L'étudiant fit un signe du menton poussant la Poufsouffle à se retourner pour voir une Gryffondor marcher en sa direction à grands pas, un énorme muffin aux pépites grosses comme l'ongle de son pouce, calé dans la bouche. Lisbeth se demanda comment la jeune femme arrivait à mâchonner, respirer et crier en même temps. Elle faisait là preuve d'un exploit que même Lisbeth n'avait jamais su relever.

Les lois surprenantes de la génétique.

« Hey t'inquiète ! » la héla Lisbeth. « C'est gentil mais te prends pas la tête. C'est pas comme s'ils m'avaient collé les pieds au plafond. Là... » Lisbeth leva un index, le secoua. « Là... ça aurait été vraiment craignos. »

Et très dangereux, accessoirement. Imaginez donc si le sortilège était mal lancé : Lisbeth aurait eu droit à un aller-simple à l'infirmerie. Le genre d'endroits qu'elle espérait ne fréquenter que par à-coups et pour des soucis d'ordre mineur.

« Tant que je te tiens... » amorça la Poufsouffle en s'adressant à la Gryffondor. « Tu connaîtrais pas un sort ou je ne sais quel antidote pour stopper ça ? »

Du doigt, Lisbeth désigna son nez clignotant.

« Ah. »

Clairement Lisbeth était déçue de n'avoir guère d'autre solution que d'attendre patiemment la fin du sort. Au moins, désormais, elle consommerait les chocolats de Noël durant la période appropriée, histoire d'éviter d'être aussi ringarde qu'une fille se baladant dans une robe datant d'il y a trois modes passées.

« Tant pis. On fera avec. Merci quand même ! »

L'affaire aurait pu s'arrêter là : Lisbeth tournant les talons, Aleksandra continuant son bonhomme de chemin de son côté. Sauf qu'un élément dans la conversation avait bien trop intrigué la Poufsouffle pour laisser filer la Gryffondor ainsi. Lisbeth se pencha vers son interlocutrice, un sourire canaille lui étirant le coin de la bouche.

Elles avaient des choses à dire.

« Comme ça tu fais des blagues aux Serpentards ? Ça m'intéresse. Oh je vais pas te dénoncer, t'inquiète. Juste... ça m'intrigue. Et je suis sûre que tu as de choses à me raconter. »

Probablement des histoires loufoques mettant en scène des têtes connues de Poudlard – l'idéal pour faire naître des rumeurs et s'amuser.

« Je suis prête à payer le prix qu'il faut pour recevoir tes confessions. »

Quelque chose le disait que le prix ne se compterait pas en Mornilles, mais en confiseries.

Les mots se déversèrent de la bouche de la Gryffondor comme si elle n'attendait que cela : que quelqu'un s'intéressa à ses frasques estudiantines. L'aventure qu'elle lui narra prêtait à sourire. Ce n'était guère rien de bien méchant – même si le concierge avait du hurler face aux conséquences de l'acte et au nettoyage qui avait du s'ensuivre.

- Je ne sais pas si tu connais Adelys ?
« Nope. »

Inconnue au bataillon. Il faut dire que Poudlard était empli d'un tel nombre d'étudiants qu'il était de l'ordre de l'impossible de retenir tous les noms, et encore plus de tous les connaître. Lisbeth plaignait chaque jour le corps enseignant de devoir réussir tel exploit. Ils devaient être tous dotés d'un mémo faisant la taille d'une encyclopédie.

- Au fait si sa te dérange pas c'est possible qu'on s'assoit ? J'ai pas trop envie qu'on parle devant tout le monde ou alors on peut aller juste à l'extérieur de la grande salle.

Vrai qu'elles devaient attirer les regards à rester plantées dans l'allée pendant que tout le reste des étudiants se tapait leur brunch. Lisbeth n'aurait nullement dit nom à s'asseoir sauf que, pour une raison à tendance sectaire qui faisait partie des traditions séculières de Poudlard, les élèves ne se mélangeait pas entre maisons à l'heure des repas. Chaque table était dédié à une maison, comme pour souligner davantage les différences et rappeler à tous, si les sabliers n'étaient déjà pas assez imposants, que la Coupe des Quatre Maisons était en jeu.

« Pour ma part j'ai fini de manger. On emporte quelques trucs pour que tu finisses ton petit-déjeuner, dehors ? »

Si la Gryffondor acquiesça à la proposition, Lisbeth alla se servir à la table des Poufsouffle, non sans lancer quelques répliques et blagues à ses compères. Son nez clignotant était toujours là, mais calmait ses pulsations. Peut-être le signe que le charme arrivait à son terme. Elle ne pouvait que l'espérer.

Les poches de sa robe bien remplies (elles étaient si vastes que Lisbeth soupçonnait un sort d'avoir été glissé dans les mailles du tissu pour permettre à tout élève d'y glisser tout ce qu'il voulait, sans avoir à se trimballer un cartable) la Poufsouffle rejoignit la jeune fille dans le Grand Hall. En dehors de la rentrée des classes et des départs en vacances, l'endroit demeurait aisément praticable et peu fréquenté.

Lisbeth se laissa choir sur un des bancs de pierre jouxtant les fenêtres à vitraux.

« Et tu t'es jamais fait pincer les doigts pour ça ? Remarque, c'est encore rien de méchant. C'est pas comme un frisbee à dents de serpent lancé en plein cours. »

« Lisbeth. »

Dos contre le mur, les mains dans les poches de sa robe, la Poufsouffle faisait songer à ces étudiants que l'on pouvait dans n'importe quelle école, qu'elle soit moldue ou sorcière. Elle respirait le relâchement de la jeunesse, le je-m'en-foutisme éclatant.

« T'as toujours des râleurs dans toutes les Maisons qui jure que pour la coupe. Je dis pas, c'est cool de finir l'année avec la Grande Salle aux couleurs de ton fief, mais c'est pas comme si ça apportait grand-chose d'autre. À part une jolie déco et des applaudissements, c'est pas ouf. »

Avec une familiarité déconcertante, Lisbeth se permit de donner un coup de coude dans les flancs de la Gryffondor.

« Fais ce qui te plaît et emmerde les autres. Sinon tu t’ennuieras sec et – tiens salut Dorothea ! »

Toujours à marcher à petits pas pressés, comme pour se fondre dans le décor, la Serdaigle n'échappait pourtant jamais au regard de la Poufsouffle. À croire qu'elle était dotée d'un radar. Relevant la tête, ses grandes lunettes de myope brillant sous la lueur du couloir, l'élève se rapprocha du duo, saluant tour à tour d'un geste de la main avant de se figer. Ses yeux se fixèrent sur le nez rougeoyant de son amie.

« Qu'est-ce que tu t'es encore fait ? »
« Manger un chocolat de Noël qui a dépassé la date de consommation. » Haussement d'épaules. « J'attends que ça se calme. »

Dorothea eut un soupir.

« Tu n'as pas utilisé de sort, je parie. Un Finite Incantatem t'en débarrasserait sur le champ. »

Un silence – celui d'avoir omis une solution aussi simple.

« Sérieux ? »
« Oui. » Nouveau soupir, de résignation cette fois-ci. « Et n'oublie pas de ne pas arriver en retard cette fois. »
« Ah crotte de niffleur, j'avais zappé. » Lisbeth extirpa la baguette de sa robe, prononça la formule tout en se tapotant le nez avec le bout de sa baguette. La rougeur disparut, son nez redevint normal – humain. « Désolé Aleks' je dois filer. On se revoit plus tard pour discuter traquenards et pièges à cons ! »

Lisbeth donna une tape sur l'épaule de la Gryffondor afin de sceller cette promesse. Dorothea salua la jeune fille avec plus de politesse et de réserve, emboîtant le pas à son amie qui dévalait déjà les escaliers.

« Traquenards ? »
« Oh je t'expliquerais plus tard. » éluda la Poufsouffle, sa voix se perdant dans les hauteurs.