something to confess - Alyce & Aïssatou

Aïssatou se sentait relativement mal, en toquant contre la porte du bureau de son amie Alyce. Si les séances régulières lui faisaient du bien, en temps normal, elle appréhendait tout particulièrement celle-ci qui faisait suite à une série de dérapages remarquablement mal contrôlés, et qui appelleraient certainement un jugement de la part de la psychologue. D'une main hasardeuse, elle froissa le tissu de sa longue jupe et attendit poliment qu'on lui signale qu'elle pouvait entrer. Bon sang, elle aurait du annuler. Tout annuler, et retourner se coucher, ou encore faire des potions pour faire pousser les cils, ou alors terminer cet amortentia pour ses sixième années. Mais certainement pas se retrouver là, en position de fragilité manifeste, alors qu'elle avait juste envie de mourir sous sa couette.

La mort dans l'âme, elle poussa la porte et sourit à sa collègue, avant de la refermer et de s'installer à son bureau, comme à son habitude. Encore que cette fois-ci, elle se demandait si elle n'aurait pas préféré s'installer sur le canapé et s'enrouler dans un plaid. Mais il n'y avait aucune raison pour changer ses habitudes, si ? Elle se penche, prend rapidement Alyce dans ses bras pour la saluer, la regarde de haut en bas.

« T'as l'air en forme ! »

Contrairement a elle.
Elle posa son sac débordant d'un tas d'objets farfelus par terre, et croisa les jambes devant elle. Elle n'avait pas envie de démarrer sa séance. Pas du tout. Et elle tenta de gagner du temps, un petit peu, pas grand chose, juste assez pour laisser la pression retomber.

« Ça va, en ce moment ? On ne s'est pas vues depuis un petit moment. »

Comme si Alyce n'allait pas remarquer directement qu'elle esquivait ce pourquoi elle était là. Mais Aïssatou avait honte de vider son sac. Honte de parler de Luke, de Bertram, et de la masse de conneries qu'elle avait faite ces derniers temps. Dieu qu'elle se détestait à l'heure actuelle. Et elle n'avait aucune envie d'en parler, complètement contre-productive quand aux objectifs initiaux des séances qu'elle avait pourtant elle-même fixés, à l'époque.

Elle contint un soupir.
Décidément, rien n'allait en ce moment.

Il ne lui avait pas fallu plus de dix secondes pour déterminer qu'elle allait mal, songea Aïssatou en admirant a regret les talents de son amie. Elle aurait préféré qu'elle soit moins bonne dans son domaine, en cet instant précis, et qu'elle ne l'invite pas directement a prendre le canapé. Est-ce qu'elle le portait sur le visage à ce point, le fait que sa vie était une longue succession d'échecs ces derniers temps, ou est-ce qu'elle avait un genre d'aura de déprime autour de sa personne? Ou est-ce que c'était, pire, la suite logique de son existence et que sa psychologue se doutait sans même parler qu'elle ne pouvait aller que mal? C'était affreux. Tout bonnement affreux.

Avec un maigre sourire, Aïssatou se releva de sa chaise et alla s'installer sur le canapé, assise et droite, pour tenter de garder un tant soit peu de dignité. Mais l'appel du confort était plus grand encore, et elle s'allongea, tendant ses jambes pour ne pas mettre ses chaussures sur le mobilier, et elle fixa le plafond.

"C'est pas la grande forme, non. Enfin, j'imagine que c'est passager."

Bien sur que ce n'était pas passager. Elle avait déconné, et elle s'en voulait. Rien là dedans n'était passager. Et la remarque d'Alyce qui suivit la convainquit, finalement, de vider un peu son sac. Elle savait ce qu'elle faisait, après tout.

"Merci, Alyce. Je... je veux juste pas trop que tu en parles. Enfin, je sais que t'en parleras pas. Mais c'est toujours un peu compliqué, tu vois. Parce que...enfin. J'ai pas envie que les gens s'inquiètent, tu comprends."

Et il y avait tellement de raisons de s'inquiéter, pourtant. D'un air distrait, elle fit tournoyer ses doigts entre eux, répétant inlassablement les combinaisons de différents sorts sans les lancer. Se concentrer sur autre chose pour laisser les pensées s'écouler toutes seules.

"C'est pas facile, en ce moment. Je...je sais pas si t'as lu, la gazette du sorcier, tout ça, y'a quelques semaines, mais y'a un congrès de potions, bientôt, avec un mec, qui vient d'Uagadou...puis ce mec là, je t'en ai parlé, tu sais, c'est..c'est l'Autre, là, et...pfff.. je sais même pas comment résumer ce qui s'est passé? j'ai pleuré devant un élève qui a été obligé de me ramasser a la petite cuillère, et finalement j'ai pris la première cuite de ma vie, j'ai vomi autre part que chez moi, j'ai du mal a manger de toutes façons....Je..."

Tout sortit très vite, et d'une manière confuse. Elle n'osa pas tourner la tête pour rencontrer son regard, et se contenta de se demander pourquoi est-ce qu'elle ne pleurait pas. Mais elle ne pleurait pas pour une simple raison. Elle était trop fatiguée, et n'avait même plus les larmes pour se plaindre. La douleur était entrée, l'avait serrée au coeur, et tout s'était fini là.

"Ma vie est un désastre. Et je vais jamais m'en sortir."

Le regard d'Aïssatou se perdit dans les reliefs du plafond du bureau, en entendant la réflexion de son amie. Ce n'était pas ce qu'elle attendait, de cette visite. Et pourtant, c'était ce qui se dessinait, et elle aurait pu parier dessus avant d'entrer dans la pièce. Mais qu'attendait-elle, alors? Si les mots de réconfort ne la réconfortaient même pas, pourquoi était-elle là, et pourquoi était-elle quand même venue confier le chaos dans lequel elle était actuellement? Elle aurait pu ne pas venir. Et ne pas demander ce moment, juste pour elle.
Alors quoi? Qu'est ce qu'elle avait loupé? Quelle était l'information qui refusait de traverser son esprit?

Rien. Le vide. Le néant. Elle avait tellement perdu le contrôle ces derniers temps que même ses idées ne répondaient plus de rien. Elle n'était plus capable d'aucune introspection, d'aucune sorte. Est-ce que c'était pour ça qu'elle était venue? Pour faire le vide, et remettre le tout au propre? En un sens, oui, mais elle savait pertinemment qu'au moindre coup de vent, tout retomberait comme un joli château de cartes, et tout serait encore a reconstruire. Comme d'habitude.

"Je sais pas, Alyce. C'est toujours le même cercle vicieux. Ca va mieux, puis ça retombe, et tout est à refaire. Et quand c'est refait, ça retombe."

La sorcière refusa de croiser le regard de la psychologue en écoutant d'une oreille presque distraite la suite de la conversation. Et elle eut un petit rire cynique. Alyce était adorable, vraiment. Mais elle n'avait clairement pas traversé ce par quoi elle était passée. Hurler, crier. Comme si c'était ne serait-ce qu'une possibilité.

"J'ai pas envie de crier. J'ai pas envie de hurler. J'ai pas envie d'être en colère. J'ai même pas envie que les autres sachent ce qui s'est passé. Seules Fatou et toi savent ce qui s'est produit, et le message a été clair: personne n'a envie d'entendre, et ça ne servira a rien. Alors...a quoi bon. Je veux juste tirer une croix définitive sur tout ça et commencer autre chose."

Nier l'évidence commençait à devenir une de ses spécialités. Elle prit un coussin qu'elle serra contre sa poitrine et soupira a l'évocation de cette fameuse conférence. Elle n'irait pas, point final. Il n'y avait aucune raison de remuer la merde, et Redmond serait certainement ravi d'accompagner ses élèves à sa place. Ce gros con.

"J'ai pas envie d'y aller. La dernière fois que j'ai vu ce type, il était furieux que je tente de partir, et il a tenté de me retenir par tous les moyens possibles et imaginables. Il m'a cassé le nez pour une sombre histoire de repas du midi, Alyce, merde! Je peux pas y retourner. Et quand bien même j'irais, qu'est ce que je dirais pour pas le croiser? "Ah ben non, désolée, le type m'a pris dix ans de ma vie et m'a saie jusqu'au trognon?" Je vais passer pour une sombre merde et ce sera légitime. Et on me sortira de la salle parce que je passerais pour l'hystérique de service, et...et personne ne me croira. Donc...non? Juste non."

Juste non. Ou presque.

De la même manière que les fleurs sortaient de terre une fois l'hiver passé, l'idée, après la phase de déni, venait de faire poindre le bout de sa tige. Bientôt, il y aurait un bourgeon, et plus tard, une fleur de feu, si on l'arrosait suffisamment bien et si on s'occupait d'elle. Mais en avait-elle seulement la force?

Alyce semblait abonder dans son sens. Ce qui eut le don de surprendre Aïssatou, qui l’attendait plus vive face à sa propre faiblesse. Plus… plus directive. Qui la prendrait par les épaules et qui la secouerait vers la solution qui lui garantirait un repos éternel et la perte de tous ces sentiments négatifs qui la plombaient constamment. Qui la remettrait sur pied comme par magie. Mais elle ne le pouvait pas. La solution… La solution devait venir d’elle-même. C’était pour ça qu’elle était là. Pour trouver des solutions à l’intérieur d’elle-même. Elle soupira longuement.

« Je sais bien que c’est plus facile de ne pas y aller. Et c’est plus prudent. Et ça semble être la meilleure solution. Mais… »

Mais il y avait toujours un mais. Elle n’était pas complètement satisfaite de la solution bancale de faire comme si rien ne s’était produit, et vivre à visage couvert était une option sécuritaire mais …pas aboutie. C’était un moyen. Pas une fin.

« Je sais pas. Je suis pas complètement satisfaite du truc. Rester comme ça, ça règlera jamais les choses. »

Et elle vomirait encore chez Luke après avoir tenté de coucher avec. Et elle voguerait de désastre éducatif en désastre social pour finir par ne plus rien contrôler du tout. Elle aurait dû lui en parler, d’ailleurs. Mais pas maintenant. Elle avait l’intention de reculer tout ceci, et de traiter tous ces éléments pourtant fermement imbriqués les uns après les autres. Alyce évoqua la possibilité d’aller à cette conférence accompagnée. Aïssatou eut un petit rire nerveux.

« Je saurais pas bien qui emmener. Le seul que les potions intéressent, c’est Redmond, et je préfère qu’il reste à crever de jalousie en transformant de la bière en pisse par magie, si ça ne dérange pas. »

Luke aurait pu venir. Il aurait su la protéger, elle. Il avait réussi à la refaire voler. Et il était courageux. Et c’était un con qui ne voulait plus la voir. Parce qu’elle s’était mal tenue, surtout. Une grimace s’étendit sur son visage.

« Je crois que j’ai merdé avec la seule personne qui aurait pu aider en cas de soucis. Je sais pas si t’as vu, mais je suis en froid avec Blane. Ca fait chier. »

Elle soupira en reregardant le plafond.

« J’ai fait une autre connerie, c’est peut-être le moment ou on en parle. J’ai passé une soirée avec Luke. J’ai trop bu. J’ai vomi dans ses toilettes, parce que j’avais pas mangé. Alors qu’on allait passer la nuit ensemble. Voilà voilà. »

La sorcière fourragea dans sa poche et sortit son téléphone, avant de montrer le dernier sms reçu de son collègue.

« Et du coup il veut plus me parler. Chouette, hein. »

Vraiment chouette.