sick talk - ft Cass

Clay était tombée malade. Un savant mélange de transpiration dans la nuque, de col roulé en pleine canicule et de refus d’adapter sa tenue habituelle aux demandes –pourtant légitimes- de l’environnement avait fini par lui faire ce qu’elle redoutait tant : son nez gouttait, elle avait un petit peu de fièvre, et elle toussait. Assise sur son lit, elle n’arrivait même plus à lire, entourée d’une marée de mouchoirs sales, et elle tapotait vaguement sur une console portable d’occasion d’une vieille génération afin de décorer sa demeure fictive dans un petit village adorable ou vivaient des animaux au moins aussi adorables. Les aliens étaient loin, et le papier aluminium aussi : cet instant faisait partie des rares ou elle avait l’esprit relativement tranquille, étant de toutes façons incapable de réfléchir au grand complot mondial dans cet état, et elle avait fait le deuil douloureux mais nécessaire de son projet de la soirée, qui consistait à aller regarder les étoiles et à attendre un signe de l’espace. Elle avait même fini par renoncer a enregistrer une nouvelle vidéo ce soir, et s’était contentée d’upload une de celles qu’elle avait d’avance.

Avec un geste aussi large que son bras le lui permettait, elle regroupa en un petit tas le cimetière de mouchoirs autour d’elle, et le fit couler dans la corbeille la plus proche d’elle. En entendant les pas de sa colocataire qui était en train de remonter. Malade, oui, mais hors de question de passer pour une grosse sale en société.

Enfouie sous une tonne de plaids, elle sortit sa main de livre pour faire un petit geste de salut, écarlate de chaleur et de fièvre. Elle s’entendait bien avec Cassiopée, qui avait toujours eu le bon goût de ne pas la juger, du moins frontalement, et appréciait sa compagnie, même dans les grands moments de solitude comme celui-ci.

« Coucou, Cass. T’approche pas, j’ai attrapé une saleté, j’ai des médicaments mais la dame de l’infirmerie m’a dit que c’était contagieux. »

Dans un couinement mou, elle rangea son bras dans le confort de sa couette et ferma sa console dans un petit « clac » sonore, avant de la déposer sur sa table de nuit. Elle tendit le bras vers  son paquet de pilules, qu’elle fit tomber par terre par maladresse.

« Au secours. Je suis naze. »

Toujours emballée dans ses couettes, elle se pencha pour ramasser ses bêtises, et souffla sur l’un des cachets avant de se le coller dans la bouche et de boire une grande gorgée d’eau. Puis, elle soupira et se rallongea dans son lit, cuite comme jamais.

« Tu as passé une bonne journée ? J’ai trouvé que les cours étaient looooongs aujourd’hui...»

Clay émit un vague couinement lorsque les lèvres de son amie vinrent se poser sur son front brulant, et tenta d'articuler, la voix démolie, qu'elle allait attraper sa saleté si elle n'était pas plus prudente et que c'était vraiment pas agréable. Mais est-ce que Cassie s'en serait souciée, de toutes façons? Elle ne le pensait plus, depuis quelques temps: la jeune femme faisait très exactement ce qui lui plaisait, avec un dédain assez remarquable de son état de santé ou des conséquences en général, du moins du point de vue de Clay. Alors, au lieu de répéter son avertissement une troisième fois, elle se contenta d'enfoncer sa tête dans son coussin et d'attendre que la mort vienne la chercher.

Et de la renfoncer encore un peu plus profond en entendant le ton plein de reproches de Cassiopée. Clay savait bien qu'elle n'aurait pas du se rendre en cours, pas du tout, mais elle s'était tellement inquiétée de ses futurs examens et de son accession en licence qu'elle avait laissé la maladie de coté, et avait traîné son lâche corps emballé dans trop de vêtements pour assister à ses cours.

"Désolée...Mais je voulais pas louper les cours avant les examens. Puis je me suis dit que ça irait quand même, et que c'était pas bien méchant."

Elle toussa, comme si son être lui-même trouvait l'hypothèse risible, et elle se précipita sur un mouchoir pour se libérer le nez.

"Je me suis peut-être un peu emballée."

Mais Cassiopée n'avait déjà plus l'air fâchée, alors qu'elle s'allongeait elle aussi pour reposer la machine. Clay soupira de soulagement: le dernier truc qui lui faisait envie était de se prendre un long discours sur l'entretien de son corps et sur la maladie en général: l'infirmerie s'en chargerait très bien, de toutes façons. Mollement, elle bascula sur le coté pour pouvoir continuer à suivre la conversation rituelle du soir.

De quoi avait-elle envie de parler? Elle n'en savait encore rien, et y avait peu réfléchi, le cerveau pris par la fièvre.

"Pas d'aliens, par pitié. Je suis pas en état."

La phrase avait de quoi surprendre, mais c'était une vérité factuelle. Elle n'avait aucune espèce d'envie d'y songer à l'heure actuelle, mais plutôt de se laisser porter par le flux et de discuter de choses autres.

"L'ambiance est un peu bizarre, à Poudlard, en ce moment, tu trouves pas? Y'a comme un mélange de panique suite à ce qui s'est passé, et dans le même temps, tout le monde commence a s'inquiéter du bal, pour pas y aller tout seul, tout ça. Le mélange me fait un peu bizarre. Pas toi?"

D'autant que Clay se foutait du bal comme de sa première paire de chaussettes. Comme les autres années, elle n'irait pas, ou irait seule et partirait moins d'une demi-heure après. Mais elle s'imaginait que ce n'était pas le cas de Cass, du moins cette année.

"J'imagine que tu y seras avec ton ami, toi, oui?"

Clay leva les yeux vers le plafond, pour prendre le temps de réfléchir. Elle n'avait pas été si brusquée que ça, en apprenant le disparition de ses camarades, pour une raison assez évidente: elle savait depuis le début que l'humanité était en danger, et que certains complots vivaient à l'heure actuelle leurs points d'orgues respectifs, s'entrelaçant dans un réseau secret qu'elle décryptait du mieux qu'elle le pouvait. Mais celui-ci en particulier avait éveillé quelque chose chez elle, d'un peu particulier: il ne s'agissait pas des extraterrestres, ce coup-ci, contrairement à ce qu'elle avait pu croire au tout début, mais visiblement d'autre chose: elle avait soigneusement écouté les rumeurs, et tout écartait cette hypothèse qui était pourtant la plus raisonnable.

"Incroyable, je ne sais pas."

Elle toussa encore et mit sa couette sur sa tête l'espace d'un instant, avant de la refaire émerger. Mais c'était suffisamment bizarre pour en discuter, tout ça. Clay prit le temps de réfléchir à une remarque construite.

"J'ai du mal a réfléchir, donc ça risque d'être un peu confus. Mais j'ai peut-être des hypothèses quand au pourquoi du comment, si ça t'intéresse. J'ai des notes dans mon dernier carnet."

Elle se pencha pour tenter de saisir le-dit objet, qui se situait un peu loin d'elle, alors que Cassiopée lui expliquait qu'il était hors de question qu'elles parlent ce soir de Léo. Jetant un regard profondément interrogateur à son amie, elle su tut l'espace d'un instant. Qu'est ce qui s'était passé? Elle espéra que rien de grave ne s'était produit, mais respecta son envie de ne rien dire.

"Une prochaine fois. Quand tu voudras."

Clay se chargerait, quand à elle, de son coté, de passer l'individu discrètement au capteur de dissimulation et d'enquêter pour sa colocataire. Si c'était un sale con mal intentionné, elle le saurait tout de suite. Elle se saisit du petit livre et revint dans son lit.

"Des rencontres. Vraiment."

L'idée ne la faisait même pas rire. Elle n'avait aucune envie de "rencontrer" des gens. Surtout avec un sourire pareil sur le visage de Cass.

"Je ne sais pas ce que tu as l'intention que je "rencontre", mais c'est exclu. Je n'ai pas de robe, de toutes façons, et j'économise en ce moment pour autre chose. Problème réglé."

Ce n'était pas tout à fait vrai. Elle n'avait certes pas de robe, mais ce n'était absolument pas pour ça qu'elle fuyait le bal comme la peste: les rumeurs allaient déjà bon train à son sujet lorsqu'elle avait le malheur de se faire remarquer, et elle avait adopté la méthode dite du "pour vivre heureux, vivons caché". Elle fuyait donc avec application tout contact social, et ça lui allait plutôt bien.

Sans compter le fait qu'elle n'avait pas de cavalier et qu'elle n'était pas sure de supporter la présence d'un individu de sexe masculin plus d'une heure. Et elle ne savait pas danser. Bien sur qu'une partie d'elle rêvait de devenir reine du bal dans toute sa gloire, mais elle l'avait enfouie suffisamment profondément pour ne plus la ressentir et se concentrer sur ce qui était, finalement, réellement important.

"Je pourrais toujours acheter une fausse moustache chez Zonko pour t'accompagner pour les dix premières minutes. Mais après, je rentre."

La blague n'était même pas drôle. Avec un baillement, Clay ouvrit son carnet et réalisa que la lecture lui faisait mal au crâne. Drôle de soirée.

Clay laissa échapper un rare mais sincère petit rire à l’évocation de la vidéo youtube. Comme si qui que ce soit allait être jaloux, d’avoir eu droit à un petit bout de ses réflexions en avant-première. Mais c’était amusant. Et Cassie était une bonne amie, de lui demander ce qu’elle en pensait, plutôt que de faire comme les autres et de la traiter ouvertement de cinglée, d’allumée avec la lumière a un étage sur deux, ou juste de fille pauvre et paumée.  Elle n’était pas toujours d’accord avec ce qu’elle disait, mais au moins, elle écoutait.  Et c’était important.

Enfin, elle écoutait dans une certaine mesure. Visiblement, elle n’avait pas lâché l’affaire en ce qui concernait le bal, et avait la ferme intention de l’emmener, en lui expliquant qu’elle devrait s’ouvrir plus. Clay soupira ostensiblement et s’enfouit un peu plus sous sa couette. Elle s’était mise dans de beaux draps. A trop vouloir parler de ce bal, elle se retrouvait avec son amie sur le dos qui ne la lâcherait pas. Bien sûr, qu’elle était bien intentionnée. Bien sûr, qu’elle ne voulait que son bien. Mais Clay ne le sentait pas. Personne ne voudrait d’elle, elle ne voulait de personne, elle n’était pas si jolie que ça, elle n’avait même pas de seins, et les robes de Cassie ressembleraient à des torchons sur elle, elle en était convaincue.

« On…on verra, d’accord ? Je ..il faut que j’y réfléchisse. »

Ou pas. Mais elle ne voulait pas rentrer dans le lard de son amie en refusant net cette histoire de bal : elle était malade, de toutes façons, et n’avait aucune envie de gérer ça maintenant. Mais Cassie, qui reprenait sa température, avait d’autres aspirations pour elles. Elle voulait vraiment savoir ce que cachait ce carnet. D’une main tremblante, Clay l’ouvrit, et tenta de retrouver la bonne page.

« Je l’ai. Voilà. »

Elle prit le temps de relire son paragraphe avant de froncer les sourcils. Elle était bien malade. Plutôt que de faire la lecture, elle préféra faire un résumé rapide.

« En gros, ce qu’on sait, c’est que c’était Shumann derrière tout ça. L’enlèvement,  au moins. Même un brillant élève ne pouvait pas faire des trucs pareil, c’est acquis. Mais ce qui me fait dire que ce ne sont pas des aliens derrière ça, tu imagines bien que c’était ma première hypothèse, c’est les cicatrices apparentes. Les aliens ne font pas ça, jamais, les sondes ne se voient pas. Mais des moldus, du coup…Bien sûr, que des moldus sont dans le coup, mais y’a quelque chose qui me perturbe. Bien sûr qu’ils savent bien comment les sorciers fonctionnent, du moins dans les hautes sphères, mais je ne vois pas l’intérêt d’un tel acte. Beaucoup de cracmols et de moldus, des sorciers a dons, et un sang-pur. C’est quand même un sacré échantillon. Et… »

Elle se mit à tousser.

« Et tout le monde fait des trucs bizarres. Plusieurs options. Soit ils cherchaient à faire quelque chose, et ça a moyennement marché. Soit ils ont renvoyé les gens comme ça, parce qu’ils peuvent servir d’espions. Pour quoi, j’en sais rien, encore. Mais un truc est sûr, a cent pour cent. C’est qu’en trois jours, ils ne pouvaient pas créer un truc aussi violent. Et pas juste avec des moldus. Il fallait au moins un sorcier à la base du truc. Et on l’a pas encore trouvé. Voilà ma conclusion pour le moment. »

Et elle était terrifiante.