pretty darlings // Clay

Pretty darlings

Vingt minutes que le cours de potions me fatigue l'esprit. Ici, au dernier banc, on est loin des postillons des professeurs mais on est tout aussi loin du reste et l'ennui devient vite intenable. Les doigts qui touchent aux fioles et le regard qui se perd dans la contemplation de la finition des briques aux murs ne sont que des leurres pour me faire croire que je n'ai pas envie de me flinguer. J'ai envie de me flinguer.

Le seul repos que je trouve consiste à laisser mon visage s'écraser contre ma main, le coude contre le pupitre ; et c'est dans cette position peu gracieuse que le drame se produisit. En me relevant je fus forcée de constater que le maquillage précautionneusement appliqué l'heure d'avant avait fini sur la paume de ma main, et que mon œil avait l'allure de celui qui avait pleuré. Un grognement m'échappe, tout de suite accompagné par les interrogations des deux abruties à côté de moi.

La fin du cours me libère, enfin, et je ne prends pas une seconde de trop pour ranger mes affaires et m'effacer dans la foule, rejoignant rapidement le deuxième étage et ses toilettes - les moins dégoûtantes, si vous voulez mon avis. Sans perdre un instant, mes mains s'urgent à corriger les erreurs de ma flemme, tout en m'accompagnant de longs soupirs et de murmures.

— Et vas-y que je te prête même pas mon miroir en classe pour t'éviter la honte dans les couloirs, "mais oui Arsene tu te souviens je te l'ai prêté hier et tu l'as cassé !" Pétasse va.

Un regard dans le miroir, par dessus mon épaule, me coupe net dans mon geste. Il y avait quelqu'un qui venait de tirer la chasse et le mouvement de la porte me semblait aller au ralenti. Quelle menace - dangereuse - sortirait donc des toilettes ? Quelle salope viendrait troubler ma session de monologue devant le miroir ?

— Oh, Clay c'est toi !

La comédie se met en marche, et je lui adresse mon plus beau sourire. J'avais de la chance, pour une fois. Je m'approche, en grands mouvements, et lui fait une, puis deux bises, visiblement ravie de la voir. J'espère qu'elle va se laver les mains, sinon je risque de vomir.

— Je te dis pas le flipp, si ça avait été Stoltman je me serais définitivement flinguée.

Ne le dites pas, je sais que ça vous ferait des vacances si je me flinguais vraiment. Je vous ferai pas ce plaisir-là.

PRETTY DARLINGS

Clay était aux toilettes, confortablement installée en jouant à un énième jeu idiot qui consistait à mettre des canons sur des chats mignons pour les envoyer tuer d'autres chats mignons avec d'autres canons, lorsqu'elle entendit quelqu'un se plaindre assez fort de quelque chose qu'elle comprenait mal. Si elle n'avait pas bien entendu la phrase que la jeune femme de l'autre coté de la porte avait prononcée, mais elle avait reconnu la voix d'Arsène, si particulière à ses yeux. Elle appréciait la compagnie de miss Priest, même si elle ne comprenait pas toujours pourquoi celle-ci trouvait un quelconque intérêt en sa personne. Elles venaient de deux environnements tellement différents que le fossé se faisait parfois sentir. Mais jamais elle n'avait été désagréable avec elle, alors Clay s'en accommodait plutôt bien. Son affaire finie, elle tira la chasse, laissa ses chats canonniers se battre seuls, et ouvrit la porte pour venir à sa rencontre.

"Salut, Arsene."

Elle sourit alors qu'elle lui faisait la bise, et se tourna vers le lavabo pour laver soigneusement ses mains, avec une application frôlant la maniaquerie. Elle aimait ses mains propres, et elle aimait avoir l'air nette, dans l'ensemble. Pendant ce temps, Arsene lui parla pêle-mêle d'une autre jeune fille qu'elle n'aurait pas souhaité croiser, et termina avec une exagération qui lui ressemblait bien.

"J'imagine que ça ne s'est pas arrangé, avec elle?"

Elle ne connaissait pas grand chose aux liens d'Arsene et de cette autre demoiselle, mais elle était certaine que son amie la détestait cordialement, ce qui était amplement suffisant pour poser la question. Mais autre chose avait semblé la contrarier, alors que Clay se séchait les mains tranquillement.

"Tu avais l'air contrariée, tout à l'heure. Je n'ai pas bien entendu ce que tu disais, mais...ça va? Si je peux faire quelque chose, fais-moi signe."

Elle s'inquiétait, légitimement, d'une Arsène en boule comme ça, et avait envie d'aider à ce qu'elle se sente mieux. C'était ce que faisaient les amies, après tout, et elle n'en avait pas tant que ça. ALors elle s'investissait, au moins un peu, pour s'occuper de celles qu'elle avait déjà.

Pretty darlings

L’agacement de Arsene s’était transformé en une hypocrisie magistralement maquillée, suintant de fausses politesses. Parfois, il lui arrivait de penser que Clay était certainement la seule personne qui l’appréciait véritablement, et c’était pour cette raison précise qu’elle ne l’avait pas encore poignardée en face ; elle avait trop peur de la perdre (mais pas assez pour s’empêcher de parler dans son dos).

Dans un haussement d’épaules à peine exagéré, Arsene arqua les sourcils en se retournant vers le miroir, ses doigts habiles s’occupant du maquillage qui avait parsemé ses joues. Et en quelques mouvements appliqués la bouche ouverte, elle avait réussi à rattraper le désastre qui s’était profilé sur son visage si parfait.

— Oh, tu sais ce qu’on dit : faut pas parler aux cons, ça les instruit. Mais je suis trop généreuse et j’ai toujours de l’espoir quant à l’instruction de cette sauvage.

Elle ne perdait rien pour attendre. A chaque fois qu’elle pensait à Stoltman, des sentiments forts agitaient sa poitrine, et elle n’arrivait jamais à en définir la nature exacte. Quelque part, elle aurait pu appeler ça de la fascination, ou de la haine, mais si elle la haïssait tant, elle ne s’emmerderait pas à en parler avec tant d’intérêt et de conviction.

Lorsque Clay se met à montre de la compassion, Arsene fronça les sourcils et la dévisagea sans gêne. Elle avait toujours été suspicieuse quand les gens se montraient trop tendres avec elle ; parce qu’elle ne l’avait jamais mérité et que ça avait toujours été malhonnête – tendresses utilisées pour mieux l’appâter. Mais Arsene était loin de tomber dans ce genre de pièges. Alors pourquoi n’arrivait-elle pas à voir les lueurs malignes qui devaient se cacher dans les yeux de Clay ?

Et l’idée que son amitié soit sincère la frappa de plein fouet, si bien qu’elle en perdait son assurance, qu’elle s’était mise à hésiter.

— Hein ? Bah. Ouais, euh.

Elle fronça les sourcils. Ces balbutiements ne lui ressemblaient pas, et elle dut se concentrer pour reprendre contenance. Hors de question de perdre la face pour si peu.

— J’étais contrariée parce que j’ai du traverser les couloirs avec du maquillage coulé plein la face et qu’Emily.. Ou c’était Cinthya ? Je sais plus. Bref elle m’a pas prêté son miroir.

Même elle, elle se rendait compte que c’était puéril, et ça la gênait.

— Enfin, tu sais, j’ai aussi d’autres raisons d’être contrariée, hein, c’est pas juste ça.. Fin tu sais quoi, je suis pas aussi..

De toute évidence, si, elle était aussi..

— Oh et pourquoi tu me poses des questions piège comme ça ?!