Les pas pourfendent les escaliers, désespéré ; le prénom ancré dans l’encéphale telle une leitmotiv. Car Fenry l’excède et l’obsède. Sa présence chimérique la suit à la trace, son nom se décline en mille façons entre ses lèvres, son odeur lui colle aux basques. Et il ne peut s’empêcher de rouler sur sa langue ces deux syllabes — toujours, encore — parce que ce n’est jamais assez. Jamais assez de l’imaginer abdiquer sous ses caresses, jamais assez de la concevoir suppliante de ses baisers fiévreux ; jamais assez de la vouloir prononcer Mephisto d’une voix brisée, d’un souffle éreinté. C’est l’avidité viscérale, la convoitise de se l’approprier et la clamer d’acquise d’un murmure imperceptible. La desiderata inavouée au fond de la carcasse, il s’empresse alors à la retrouver — non, retrouver Castiel. Voilà l’excuse qu’il s’était donné, inventé, improvisé. Il souhaitait y croire et elle davantage. C’est donc avec la pulsation sanguine battant contre la poitrine qu’il s’élance dans les gouffres qu’il méprise tant, caresse cinglante sur le faciès du glacial souffle qui semble lui susurrer de partir, déguerpir au loin, lui qui n’a rien à faire-là. Pourtant, c’est la silhouette au bout du couloir qui tâche de raviver les couleurs perdues ; c’est l’ombre quartz qui s’en vient illuminer la vision enténébrée. « Fenry. » Celle qui ne cesse de saloper l’esprit et toutes ses nuits. Il déglutit. Longuement. « Fenry. » La voix s’échoue et ricoche contre les murs austères ; l’apostrophe résonne et détonne contre ses oreilles. « J'cherche Castiel. Il est à l’intérieur ? » Je voulais te voir. Non ta gueule, ne pense pas. « Et ne fais pas ça. Je déteste quand tu fais ça, c'est chiant. » Ne me bousille pas plus que ça, je t’en supplie. Ne rentre pas. « Bref. J’ai besoin de lui demander un truc. » Menteur.

Et il s’avance, d’un pas.

Tu ne peux t’en empêcher, hein ? Plus fort qu’elle, plus fort que lui. Sa legilimancie ancrée dans sa peau, comme Fenry ancrée dans la sienne. Je n’ai pas envie de ça, Fenry. Et comme pour appuyer ses pensées interdites, il se force à imaginer de l’abjecte pornographie. Il recompose, se représente une fois encore la tourmente de sa vie ; sa procréation. Un homme culbutant — violant et violentant — une pauvre femme. Le clappement des hanches, le crissement d’un bureau ; les râles essoufflés, les larmes étouffées. Le regard pourfendant l’émeraude de ses yeux, il la défie de reluquer autre part. Tu vois quelque chose d’intéressant, Williams ? La vue te plaît ? Une lueur sinistre pourtant incandescente brillant au fond de la carcasse ridée, il achève la persécution psychique et physique ; reposé, satisfait. Et la victime jonche alors sur le meuble renversé, n’ayant plus la force de pleurer ni même de se relever. Mes pensées ne se languissent de rien, Fenry. Et toi ? Te languis-tu de quelque chose ? L’esprit se perd dans la contemplation et dérive sur ces nuits inachevées, où son désespoir ne parvenait à atteindre les étoiles ; où ses cris se perdaient dans l’univers, où ses prières ne faisaient écho. Et d’un mouvement brusque, il se précipite vers elle, d’une longue enjambée. La silhouette éperdue, il s’élance vers elle et lui attrape le bras pour la ramener contre lui ; corps contre corps, main sur ses yeux. « Ne regarde pas ça. » Les effluves se chevauchent, les chaleurs s’embrasent. « Je suis désolé. » qu’il murmure, avant de reposer sa tête contre ses épaules et faire face à son cou. Pardon. Et Mephisto ferme les yeux à son tour, souffle court, cœur lourd.

Une main s’épouse contre la sienne, alors Mephisto ne peut s’empêcher de la serrer, de l’étreindre vigoureusement ; de peur qu’elle ne s’échappe et l’abandonne. Les doigts noueux se joignent aux siens, le pouce caressant fébrilement le dos de la paume. En réalité, il ne s’attendait à rien de sa part. Il se refusait l’espoir, de peur de côtoyer la déception et l’amertume qu’il lirait au fond de ses yeux — le dégoût, par dessus tout. Il grappille ainsi les secondes de répit qui lui sont offertes ; concupiscence dans les entrailles, appréhension de l’Après et de la conséquence de ses actes. Et soudainement arraché dans son étreinte, il semble se prendre une douche froide. Il racle vainement de la gorge, prêt à encaisser les coups. A abdiquer devant l’épée de Damoclès qui viendrait pourfendre l’esprit. La joue est heurtée, légèrement, pendant que la silhouette s’éloigne, encore. La mâchoire se crispe, les lèvres faisant office de barrière contre ses excuses insensées. « Je.. » La voix se tâte et se ravise ; la braverie des Rouges s’effondre et s’effrite en mille pièces. Il l’observe donc dans sa parade hésitante, à s’écarter et revenir ; à arrêter les battements de son coeur avant de réactiver sa pulsion sanguine de ses terminaisons nerveuses effleurant l’écorchure de sa peau. « Mon père et ma mère, j’imagine ? » Il ne savait quoi répondre, honnêtement. « Tel que j’imagine l’acte ayant engendré mon existence ? » La mâchoire grince, les yeux la fuient et l’intonation interrogative continue ; car il ne sait pas, il n’en sait rien. « Les rumeurs sont fondées. Je suis la nuisance Blackwell ayant subsistée, le parasite continuant à respirer. » L’acrimonie dans ses paroles, il laisse échapper un rire — noir. Des doigts viennent prestement sortir une cigarette d’une de ses poches, avant de l’allumer et venir inhaler la fumée cancérigène. « J’étais pas venu pour ça à la base, sinon. Mais ça tu le savais déjà, Madame Irma. » Un éclat de rire s’échappe silencieusement de ses lippes. Il ne voulait pas en finir avec ça, ni même commencer. Il voulait passer à autre chose au plus vite, qu'elle oublie et qu'elle efface la plaie béante ornant son épiderme. Et d’une oeillade obscure, il s’efforce de la regarder dans les yeux. Le gala. Ca te tente, avec moi ? Il n’y a qu’une bonne réponse.

Les secondes déclinent ses tic et tac pendant qu’elle daigne jouer la carte de l’hésitation ; alors il traque son ricanement muet qui fait basculer son rythme cardiaque, bâton de mort coincé entre les dents. Et la fumée se bloque finalement dans œsophage lorsqu’elle ose articuler les mots qui lui pesaient tant ; désiraient, aspiraient, exigeaient. Ainsi tousse-t-il, Mephisto, dans toute sa splendeur ; il recrache ses poumons dans la surprise et le contentement d’avoir évité un refus, un affront. « Putain. » Clope placée entre l’index et le pouce, il tente de reprendre contenance. « Je suppose qu’il est trop tard pour mimer le mec désintéressé. » qu’il raille par la suite, avant d’ajouter aussitôt « C’est pas très romantique, d’ailleurs. Tu m’excuseras, je suis pas très.. doué pour les mises en scène. » Le terme s’articule lentement entre ses lèvres, presque chagriné de ne pas avoir emporté une quelconque fleur arrachée de sa terre pour finir fanée dans un vase à l’eau croupie. Il se mord la joue à cette pensée caustique, se prohibant de plonger dans l’abîme la discussion naissante et fébrile. Il inspire une nouvelle fois, avant d’esquisser un semblant de sourire. « Tant mieux. Marque-moi plus fort la prochaine fois. » A cette remarque, il ne peut s’empêcher de lui partager des ébauches de ses rêves suggestifs, une mine provocatrice imprimée sur le faciès. Quelque chose comme la naissance de traces cinabres le long de son dos, ou encore les contours néons de sa silhouette qui s’imprimeraient dans le vide au fur et à mesure des arabesques dessinées sur l’épiderme. « Fenry, merde. Tu pourrais porter un legging galaxy que tu resterais toujours aussi.. » La mâchoire se bloque, la fin de phrase se disloque. Il tente de chercher un terme convenable, potable ; à la hauteur, mais le crâne fuse et s’y perd, dans ce capharnaüm de termes qui ne sauraient décrire la profusion sentimentale exquise qui s’en dégage, de Fenry. « T’es chiante. »

La cigarette s’échappe de ses doigts et s’écrase contre le sol d’un tintement imperceptible, au même titre que ses lèvres, qui s’en viennent anéantir la distance les séparant pour venir s'échouer lâchement contre les siennes.

Un râle sourd s’échappe face à la balafre venant estamper sa chair meurtrie. Et ça ne suffit pas — jamais. Il veut la sentir se cambrer face à son emprise, il veut la voir suffoquer sous ses étreintes mesquines, il veut la surprendre abdiquer devant l’impuissance qui l’anime. C’est la fanatique torpeur qui s’engendre dans son corps de la voir alors partir ainsi que l’exaltation enivrante de la souhaiter irrémédiablement soumise. Mais il n’en est rien ; car telle une volute grisâtre, elle s’échappe et lui file entre les doigts. Pantelant, hésitant, il sait pourtant à quoi elle pense. De ses cauchemars chimériques, de son poison toxique ; de son arsenic de malheur venu s’insinuer — bousiller — son crâne immaculé. Mephisto embrasse alors coeur et âme le silence qu’elle lui inflige, il embrase la condamnation précipitée de ses actions, sans mot dire. Seule la poitrine se soulève et s’abaisse, d’un rythme décadent. Il n’a la force de la retenir, ni même celle de la ouïr. Ne sonnent que paroles sibyllines à ses oreilles ; et alors que le portrait se dissipe et s’éclipse dans la clarté de l’obscur, les genoux claquent contre le bitume et la main s’en va caresser la chevelure fantôme.