whatcha want ? {ft. Myrtille}

Un brin de colère à la base de l'explosion soudaine des pétales écarlates - et si le sang n'avait pas coulé, le tien brûlait d'une insolence assumée. L'imminence des paroles aussitôt regrettée, la réputation oubliée au profit d'un désir de répondre aux sentiments sauvages d'une enfant immature.
Elle marchait de ce pas rapide, le regard droit comme l'expression d'une fierté conquérante. Elle marchait sans remords, fulminante, et dans ses iris, le désir grisant d'une explosion retenue par l'autorité mordante d'une hiérarchie imposée.

Il avait joué de ses nerfs, et si elle avait exprimé sévèrement ses émotions en se levant, elle avait retenu le plus gros de ses torts dans la main rageuse qui avait frappé dans sa table dans un claquement irritant.
Elle n'avait pas été conviée à sortir, Myrtille étouffait déjà dans l'ambiance oppressante d'une arrogance inégale.
Elle arpentait les couloirs comme si chaque détour détenait le secret d'un calme retrouvé, perdait son esprits dans les mystères déjà connus de ces lieux - et seule l'immensité de la Grande Salle, presque vidé de ses éclats humains, semblait à même de répondre à de telles attentes.

Ses iris ambrés se pesèrent sur les alentours - l'appel d'un silence attrayant, l'empathie commune du regard croisé de ce garçon à l'allure similaire.
Ses sourcils se froncèrent, comme le mécontentement d'une confrontation à son propre reflet - et elle mit une seconde, bercée par l'observation de ses traits, à comprendre qu'il n'était pas elle.

« Tu brûles encore de colère, toi aussi. »

Et quelque part, l'invocation d'une si profonde ressemblance suffit à en dilater l'existence. En si peu de mots, en l'écriture doucereuse d'un aveu d'évidence, le calme reprit le pas sur son impulsivité.
Son chapeau de requin finement scié sur son crâne, sa robe de sorcier surplombant son habituelle tenue de poisson, elle brillait par son style unique et l'expression de son immense fierté.
Perdue, et pourtant affirmée.
En colère, reposant dans le calme de ses certitudes éternelles.

« Nos destins sont déjà liés par de telles coïncidences, il semblerait. Je m'appelle Myrtille. »

Ses émotions virevoltent, s'amenuisent, brûlent d'une terrible intensité. Myrtille se laisse emporter, bercée par le silence d'une colère assouvie, rattrapée par un calme imminent.
Le couloir est si grand, le château imposant ; toute l'Histoire d'une magie qui s'étend, se rétracte, une éternelle variété. Le froid des dalles, la chaleur de la solitude, les regards des demi-présences étendues sur les murs.

Elle est seule, sans jamais le pouvoir. Il est là, sans pour autant l'imposer. Son regard est dur, l'expression arrondie par cette unique douceur. Sa voix est grave, basculée par cette patience aqueuse.
Il semble noyé dans des sentiments trop profonds pour qu'elle n'en décèle la vérité, noué par des pensées trop irréelles pour qu'elle n'en touche le fond. Un calme trop plat, presque imposé, décelé par le croisement des colères que l'empathie atténue.

Son sourire, un compliment qui force la prudence ; ses joues se teintent, un instant d'arrogance que cette erreur suffit à dissiper. Elle reprend ses esprits, sa couleur naturelle, ses sourcils froncés.
Il ne suffit pas d'un peu de gentillesse pour atténuer sa rage si ancienne, de quelques mots pour lui faire oublier l'essentiel. « Il ne m'est rien arrivé. C'est les autres qui me sont arrivés. »

Elle résumait la situation en un geste méprisant, suivant le mouvement amorcé du garçon qui baignait dans une confiance nouvelle. Elle sautille d'un pied sur l'autre, cherchant l'équilibre du corps à défaut de trouver celui de son esprit mutilé.
Elle cherchait le simple droit d'entrer dans la normalité, de se tenir sur la ligne de départ d'une vie normale. Un quotidien recherché, modelé aux moyens d'une patiente vertueuse.

Elle lui offrit un sourire carnassier, jaugeant son visage déformé par les lumières vacillantes des innombrables bougies. Dans la voûte céleste grisâtre d'un automne en pleine naissance, les rares lueurs, en de telles circonstances, venaient de l'intérieur.

« Les différences sont censés être une force, mais comment s'en rendre fier lorsque le monde s'évertue à s'en moquer ? Même le personnel. Je ne sais pas pourquoi ils se complaisent tous dans leur uniformité. Parfois, chacun d'eux me dégoûtent... mais je n'ai aucune envie de leur offrir ma colère. Je suis triste pour eux, simplement. »

Il a suffit d’un sourire pour feindre la confiance, de quelques mots et du reflet des regards pour rassurer son cœur bouillonnant. Tout se limitait à ces signes dans le silence des choses importantes ; rien ne semblait plus important que tes pensées alors qu’il leur trouvait un sens.
Le plus gros fléau, Myrtille.
Une musique angoissante dont les tambours résonnent, enveloppant vos instants des sentiments partagés. Elle marque un silence, hochant doucement la tête pour exprimer la fatigue ; tait sa colère au profit d’une douce compréhension à la base d’un lien naissant.
Oh Caleb, bienveillance florrissante au sein de l’aridité.

Des monstres à leurs yeux, et s’ils se contentaient de cette cécité idiote, en avais-tu vraiment quelque chose à faire ?
Myrtille, elle aimerait être indifférente ; et elle cache son appartenance derrière son costume, son humanité derrière la fierté qui lui semble juste. Personne ne peut comprendre parce que l’inassumé a toujours tort - les vérités sont la réponse, parce que le mensonge n’a jamais effleuré le concept de justice.
Pourquoi aurais-tu à comprendre les vérités, d’ailleurs ?
Tu le prends personnellement. Mais dans le bon sens, au fond, car s’il te suffisait de la monstruosité pour détruire ton esprit, Myrtille, tu n’aurais jamais pu naître.

Son esprit a émergé des entrailles, sa conscience éveillée.
Sa fierté s’est démarquée, surplombant la nocivité de tout le mal du monde.

« C’est ce que tu fais, toi ? »

Elle le détaille des yeux, juge abrupte, solitaire et dominante.
Myrtille se suffit à elle-même, et si ce lien est rassurant, il semble vouloir s’affirmer. Des cheveux sombres, un visage qui semble pouvoir se durcir ; sa voix est teinté d’expérience et d’une rigueur qu’un peu de tolérance ne suffira pas à effriter.
Il sait ce que c’est, au plus profond.
La fidélité découlant de la tristesse, as-tu vraiment envie d’y goûter ?
La dépendance du mal, engendrant les plus profondes amitiés.

Tu aimerais pouvoir, tu aimerais essayer.
Le goût du risque.
Ton visage s’adoucit, brûle d’espérance. Tes yeux restent de marbre, voilant ces émotions dansantes ; et rien, dans ton visage, ne semble laisser naître une quelconque bienveillance. Myrtille, la petite enfant sauvage qui cherche la liberté ; un électron libre parmi les épaisses couches de règles étouffantes.
Il ne suffit pas de ça, d’un peu d’espoir et de compréhension.
Elle s’avance, téméraire, frôle son visage du sien, de ses yeux curieux, cherchant le point final d’une question vacillante. Elle ne voudrait pas comprendre tout de suite, creuser parmi les méandres sombres des mémoires renfermées.
Car les rencontres sont fascinantes.
L’inconnu est attrayant, et c’est pour ça qu’elle aime tant ce moment.

« Tu leur fais payer, toi ? Ta différence n’est pas aussi évidente, si profonde qu’elle soit. Qu’est-ce qui te rend si spécial, Caleb ? »

Elle a le besoin de réponses qui la pousse à poser des questions. Elle a l'envie de sourire qui répond aux échos de son cœur ouvert. Caleb se délivre, sans se poser de questions ; Caleb lève une barrière, presque invisible, préservant la plus profonde intimité tout en l'invitant dans son monde.
Caleb est charmant, taquin, mais également sérieux. Il avait commencé par cette danse ironique, teintée d'humour. Il menait maintenant la marche droite d'un homme de convictions.

Ce changement d'humeur, Myrtille l'avait senti sans difficulté ; elle lisait dans ses yeux le besoin d'un confort de relation, d'une confiance recherchée. Elle entendait résonner dans sa voix les espoirs d'une discussion poussée.
Mignonne, avait-il dit - et si elle ne partageait pas ce sentiment, elle se cherchait dans les essors d'une relation douteuse. Entre son charme évident, cette honnêteté tentatrice et la méfiance permanente qu'elle se forçait à adopter, Myrtille ne savait pas quoi penser de lui.
Elle laissait peser en elle un doute aussi perturbant qu'excitant. Si elle avait encore un doute sur le crédit qu'elle pouvait lui accorder, elle devait admettre que sa compagnie était amusante.

Il avait le mérite de tuer son ennui ; et tout comme elle cherchait à décortiquer ses pensées et embrasser leurs similitudes, elle aimerait pouvoir se dévoiler avec la même facilité.
Elle laissa planer le silence pour qu'il continue de se livrer, défia son regard avec une aisance qui la surprenait elle-même.
Le confort qui découlait de son attitude avait quelque chose d'addictif ; elle y trouvait l'envie de partage, de croiser son regard, de profiter un peu plus de la colère silencieuse d'une voix contrôlée. Myrtille aimait regarder son reflet, et en lui, elle trouvait un visage bien trop proche du sien pour qu'elle n'en rejette les convictions.

« Je ne sais pas ce qui est censé être un exemple. Mon unique certitude, c'est que tu ne m'as apporté que du bien dans un des moments qui s'y prêtait le moins. »

Elle s'avança un peu plus pour l'observer avec un peu plus d'intimité qu'une connaissance ne le permettrait.
Par ce geste risqué, elle espérait un rapprochement ; par un pas en avant, elle pouvait forcer le contact ou le regarder fuir. En tendant la main, elle était prête à la voir coupée ; et la différence, peut-être, c'est qu'elle n'avait pas peur du refus, de la douleur, des larmes versées.
Sa main effleura sa joue avec un sourire rassurant, et elle prit de nouveau la distance - elle lui offrait le futur de proximité, sans pour autant l'imposer.

« C'est souvent. Mais ça, c'est unique. Tu l'es. Tout comme tu m'offres le réconfort et la douceur au nom de nos ressemblances, tu leur offres une réaction adéquate, en réponse à leurs actes. Ton monde est ainsi fait, et je te trouve juste. À mes yeux, ils sont les seuls monstres. »

Elle le savait, quelque part - mais elle l'avait désiré. Elle avait senti le blocage, l'hésitation, l'inlassable répétition du destin qui ne laissait rien au hasard. Amorcée par une longue solitude, attachée aux doutes de celle sujet aux moqueries douteuses, à cette différence, à la fierté qu'on essaie de rendre forte.
Myrtille a les cheveux en feu, mais cette fois, les joues suivent le rythme - la honte, un doute, la soudaine réalisation d'une distance qu'elle n'a jamais vraiment percé.
Ils ne se connaissent pas, au fond.
Elle en avait oublié l'évidence à force d'espérer, et elle se revoit dans ses yeux, petite créature fragile ; elle se ressent impuissante alors qu'il la met en garde.
Caleb est fort. Caleb est dur de cruauté, fermé de convictions.

De quoi doute-t'il ? De quoi cherche-t'il à la préserver ?
Le masque tombe, les sourires s'estompent. Le silence s'amasse, le regard retombe - et elle observe ses pieds chaussés, son petit corps frêle couvert des marques de sa différence presque vraiment assumée.
Myrtille n'est qu'une goutte dans un univers sec ; Myrtille est un poisson tiré hors de l'eau de ses rêves.
Pourtant, Myrtille n'est pas certaine de savoir nager - et elle se raccroche à l'unique chose qui semble rejeter l'univers comme elle.

Caleb est proche, et malgré ça, la distance n'a jamais été aussi grande - elle le savait en tendant la main, en lui apportant l'espoir. Elle le savait en s'ouvrant à lui, en commettant l'irréparable. Il a le cœur d'une poupée de cire et le corps des hommes vivants ; il a le regard des machines et les mots des plus tendres enfants.
« Que je mérite quoi ? Eux ? Ou tu parles de toi ? »
Elle espère, quelque part, que ce ne sont jamais qu'eux. Elle espère, quelque part, que ça n'a pas dérivé. Elle aimerait construire et cesser d'avoir à demander. Elle aimerait penser à l'avenir et arrêter de ressasser le passé.
Myrtille est l'éphémère du plaisir et l'éternité d'une tristesse fataliste ; Myrtille est le besoin d'amour et le rejet des cœurs blessés.
Elle aimerait qu'il n'y ait jamais qu'eux dans l'univers pour qu'elle apprenne à le connaître - mais elle sait que sans ce mal, la douleur ne les aurait jamais rapprochés. Myrtille est une enfant prisonnière d'une envie innocente de bonheur - et elle appréhende, à pas feutrés, les bons côtés de toutes les larmes qu'elle a pu verser.

« Je n'ai pas peur du malheur, j'ai juste peur d'avoir à le traverser seule. »

Elle prend de la distance pour le laisser respirer, pour se laisser respirer. Une fois encore, elle se permet de l'observer - son regard, son corps impressionnant, ses gestuelles discrètes. Caleb est différent des autres.
Il cache cette arrogance, ces sentiments nés des cendres de la douleur - et il est différent d'elle, pétrie de bienveillance.
Elle le sait, ça ne donnera rien de bon. Ils ne sont pas du même monde malgré leurs ressemblances, mais elle ne peut s'en empêcher.
Son regard trouve le sien, sa main fouille les tréfonds d'une poche pour en sortir un papier sur lequel elle griffonne. Un numéro - la preuve abstraite d'une identité, d'un désir assumé.
Myrtille accepte de mener ce combat, Myrtille choisit cette douleur.

« J'aimerais mieux te connaître. Je suis prête à en assumer les conséquences. »

Et d'un geste sec, elle lui tend le papier, comme un contrat.
Un contrat dont il disposera des clefs.