sa majesté des mouches + jamal

même en déambulant encore et encore, zohra ne s'habitue décidément pas à l'aura si particulière de cette école. il y'a quelque chose d’infiniment différent à ce qu'elle connaissait et une froideur occidentale indescriptible, quelque chose qui glace son coeur d'effroi. ce n'est pas comme si elle a peur ou qu'elle craint les humeurs, juste quelque chose qui la paralyse dans son bonheur ; elle aime découvrir les différences entre ici et chez elle mais il y'a ce rien, cette toute petite chose, indescriptible et prenante à la fois qui la chagrine.
vous ne vous connaissiez pas avant, elle et vous. ou du moins pas plus loin que quelques mots entendus de la bouche d'une ancienne aimée et qui la faisait sourire parce qu'elle aimait sa vigueur tendre quand il était question de votre personne. elle était encore plus belle quand elle vous aimait, assa.

ses chaussures à talonnettes résonnent dans un clac-clac régulier et elle aurait presque envie de danser à contre-sens, bravant la foule qui s'en va et les mains qui lui touchent les épaules pour la saluer amicalement. son sourire est grand, pas factice pour un sous et elle agite son crâne en guise de salutation à chacun. elle détend ses épaules en frissonnant de froid, remettant correctement sa robe de sorcier aux couleurs de la pinède et des cascades d'argent, les bracelets tintant dans une mélodie à la gloire de la dysphonie, et elle laisse dépasser son crâne de la porte ouverte, ses cheveux coulants gracieusement, accompagnant chacun de ses mouvements.
il y'a vous et puis quelques derniers élèves qui semblent s'interroger (peut-être sur le cours ? peut-être sur vous ? tout d'un coup elle a le coeur rempli de savoir que son privilège est de vous connaître un peu plus) à vos côtés, et elle vous fait un signe quand elle réussit à capter votre regard, éminçant un sourire discret. elle se cale contre le mur en disparaissant devant la salle et patiente de les voir sortir pour faire son entrée. elle préfère quand il n'y'a personne sur scène pour jouer avec vous, pour entendre vos échos sincères sûrement et que vous ne soyez pas déguisé par le devoir.
bonjour jamal..? ou monsieur loongo je ne sais jamais comment je dois vous appeler quand nous ne sommes que nous deux ahah !
elle n'a même pas le réflexe de vous parler en anglais. votre langue commune permet de convertir des banalités en secret et elle aime en jouer. elle s'avance jusqu'à votre bureau en attendant que vous finissiez vos affaires et s’assoit sans un mot sur un des tables d'élève les plus devant, vagabondant d'abord sans un bruit - sauf toujours celui de ses bijoux, incessant et posant une signature propre sur ses pas.
ça la rassure immédiatement de vous voir, elle ne saurait pas expliquer pour quelle raison.
vous avez fini les cours ? elle bat doucement des jambes dans le vide, comme un enfant impatiente. c'est pas trop difficile ici ? c'est vraiment différent, je suis déjà tombée malade alors que je viens à peine d'arriver !
mais ce n'est rien à côté des grandes choses qu'on lui répète en permanence, cette pression nouvelle qui menace de faire exploser son coeur - en parlant des petits détails elle en vient à oublier le plus important. ça lui permet de lâcher-prise.

sur ses lèvres éclosent des pâquerettes de mystère, de toutes petites fleurs blanches et innocentes qui retroussent élégamment son visage. elle ne répond pas à votre première question, ce n'est pas nécessaire et zohra a la jugeote de remarquer qu'il était plutôt question de faire remarquer son comportement enfantin - quelle adolescente aurait l'idée de se cacher derrière un mur ! quelle adolescente avec un prestige aussi transpirant, un nom aussi glorieux, une gorge aussi aimée et désirée pourrait se cacher derrière un mur ?
elle a peur. elle craint le monde sans se l'avouer, elle ne le sait même pas et si elle découvrait ses propres peines - elle en serait bouleversée de ne pas être aussi forte qu'elle le pense et le suggère.
alors elle éclate dans un rire mutin, les yeux rieurs quand elle vous fixe vous agiter pour ranger votre salle. c'est étrange pour elle de rattacher cette pierre ciselée pleine de froideur à un héros qu'elle a connu d'une bouche lointaine, un protagoniste d'épopées mille fois contées enfin face à elle, derrière un bureau. d'après elle cela relève plus du domaine de la tragédie.

c'est vrai. en même temps il y'a des raisons d'être impressionné par vous, vous savez !
parce que c'est très étrange d'arriver ainsi et que vous êtes jeune, à l'orée de devenir totalement un adulte - mais pas tout à fait. zohra peut prétendre vous avoir connu plus jeune même s'il était seulement question de mots griffonnés sur des lettres. ah oui ! un personnage principal d'une oeuvre épistolaire.
elle abaisse son regard sans jamais cesser de sourire et se contente de fixer ses pieds battants toujours, lâchant-là un léger soupir de rien du tout.
je suis un peu chagrinée d'être ici et je ne sais pas, parlez avec vous me donne toujours l'impression de rentrer à la maison. assa me parlait de vous, ça me fait tout étrange de vous avoir face à moi maintenant ! c'est irréel. même pour vous hein..? ça fait quoi de devoir se ranger dans les rangs ?
les questions sont sincères. elle aussi est tiraillée par la plainte de la fuite et son coeur d'or, gorgé de cet amour nouveau et de la curiosité que lui inspire cet univers jusque là presque secret - et elle veut savoir, elle veut savoir à quel point c'est douloureux de reposer les pieds sur terre.

c'est vrai que uagadou résonnait comme une enveloppe d'insouciance. quelque part où elle n'avait qu'à se soucier d'aimer ou de rejeter. si assa était le sang de la veine principale - et donc vous par extension -, zohra était bien une des jeunes racines. son sang pur et sa légèreté à se lier et se lier sans conséquence en faisait une excellente camarade. une jeune fille qu'on aurait aimé avoir dans ses rangs.
mais voilà. elle était partie. vous étiez partis tous les trois, là où on ne pourra plus jamais vous trouvez. car ce n'est plus totalement vous, c'est un morceau sans que vous aillez pu transporter tout votre être puisqu'ici, on se confond à l'uniformité si l'on veut être bien vu.
et tout nous semble plus beau une fois qu'on est loin, on peut gommer les détails déplaisants pour écrire des odes au manque, et dire à quel à point c'est triste ici.

zohra se remet sur ses deux pieds s'il vous prenait l'envie d'enfin vous en allez. quelque part elle est jalouse de cette simplicité quand vous énoncez les faits. une fois que cela sera trop dur, vous partirez. il n'y'a pas de fioritures, pas de grandes manières pour sous-entendre ; vous lui dites la vérité dans son plus simple apparat. elle goûte à une semi-libération parce qu'elle sait que si elle peut voler maintenant c'est pour mieux la faire goûter au goût de la terre plus tard. ou alors il faudra être forte et montrer que les voies du ciel sont tout aussi envisagées pour une reine.
ce n'est pas ce que ça ne me plaît pas. c'est ce que cela engage. voyez-vous...
elle fait un pas et ne vous regarde plus, elle a remédié au masque de comédienne exubérante pour que la vérité soit moins difficile à dire.
zohra avery, enfant bâtarde de son espèce, a été convoquée par la matriarche. parce qu'apparemment, je rentre en course pour la succéder. sauf qu'il y'a, comment dire, une autre candidate. mon dieu vous devriez voir son regard ! je crains qu'elle me déteste... autant que je la redoute. c'est plus facile d'enrouler ça dans de jolies choses. cela sonne faux alors qu'il n'y'a rien de plus vrai. si vous êtes un personnage tragique elle l'est tout autant. et j'ose espérer que ma vie soit une éternelle comédie sans éléments perturbateurs. d'ailleurs d'où vous viennent ces airs d'autre part, qui vous font ressembler aux personnages de corneille..? serait-ce là le conflit qui unit les enfants et le père loongo ? vous le détestez, n'est-ce pas..?
en mêlant ainsi ses confessions à des questions elle ordonne secrètement que vous y répondiez. maintenant qu'elle a donné des réponses c'est à votre tour.