[EVENT#7] Groupe 7 — Samuel, Slàine, Lisbeth, Edwyn, Mikaela #WakandaForever

Slany se mord nerveusement l’intérieur de la joue. L’idée de fermer les yeux alors que Lisbeth doit s’aventurer en terrain inconnu ne l’enchante pas du tout, mais elle se convainc – du moins elle essaie – qu’il s’agit seulement d’une épreuve ludique, d’une chasse au trésor rigoureusement encadrée par des organisateurs – de puissants sorciers – qui savent parfaitement ce qu’ils font. Elle finit donc par y consentir, ferme les yeux très fort tout en essayant d’écouter l’environnement de toutes ses oreilles. Elle a encore la naïveté de croire qu’elle sera en mesure d’intervenir si le moindre danger se présente, surestime ses forces et son courage. Il lui semble que les secondes sont interminables, et comme aucun hurlement ne déchire le silence, elle se hasarde bientôt à rouvrir un œil, très timidement, puis le deuxième, une fois certaine qu’elle ne risque rien ce faisant. Son cœur s’affole un peu. « Lisbeth ?? appelle-t-elle avec empressement. Tout va bien ?? » C’est en approchant à son tour du centre qu’elle aperçoit la plume au-dessus de la tête de sa camarade ; adorable par sa petitesse et fascinante par sa couleur. Elle s’immobilise et cille à plusieurs reprises, comme éblouie par la vue du trophée qu’elle représente, mais se décompose subitement, épouvantée par son noircissement aussi soudain qu’inexplicable, comprenant instinctivement que c’est là un mauvais présage, avant même qu’une voix gutturale ne lui glace le sang.

Slany a le vertige, tout à coup, comme assommée par le revers de la situation qui s'est si vite transformée en cauchemar. La cruauté du rire, dont elle ne parvient pas à deviner – encore moins à se représenter – la provenance, lui hérisse la nuque et commence de lui humidifier les yeux. Il lui est difficile de comprendre les paroles qui semblent s’enfoncer dans son esprit et dans son cœur comme un ongle brûlant. C’est une pénible mise à nu, et elle voudrait se boucher les oreilles pour ne pas avoir à entendre ce qu’elle estime ne pas la concerner, mais elle est pétrifiée. Elle ne comprend rien. Est-ce une farce de la part des professeurs de Uagadou ? C’est si peu drôle qu’elle rejette immédiatement cette éventualité. Elle voudrait sortir de l’eau pour se sentir plus en sécurité, mais à ce désir informulé ne répond qu’un souffle glacé qui lui donne plus froid encore. L’encouragement que l’ignoble voix leur adresse, à Lisbeth et à elle, ne la réchauffe nullement, s’applique au contraire sur elle comme une indicible souillure qui la fait violemment frissonner. Que leur veut-il à la fin ? Est-ce seulement un homme, du reste ? La voix emplit si bien l’air qui les environne qu’il lui semble en entendre plusieurs à la fois. Si elle a bientôt le sentiment qu’ils sont à nouveau seuls, elle n’en reste pas moins tétanisée, n’osant pas esquisser le moindre geste. Elle a toutes les peines du monde à retenir ses larmes, voudrait tant que sa Maman soit là. « Par Merlin, qu’est-ce que… Qu’est-ce que c’était… ? » demande-t-elle d’une toute petite voix, brisée par la peur que leur école ne redevienne le théâtre d’événements sordides. Leur groupe est-il le seul à avoir subi une telle intrusion ? Elle prie secrètement pour qu’il ne soit rien arrivé à ses amis – à personne.

Slany aurait aimé pouvoir faire preuve du même courage et du même détachement que Lisbeth, de la même imperturbabilité que Ned. Lorsqu’elle finit par vaincre sa tétanie pour enfin s’extirper de l’eau, ce n’est que pour mieux se décontenancer en observant et en écoutant Samuel. Il lui semble que quelque chose lui échappe totalement, que des soupçons, auxquels elle est tout à fait hermétique, circulent secrètement entre ses coéquipiers. Son menton se met à trembler parce que ses lèvres ont de plus en plus de mal à endiguer le sanglot qu’elle voudrait laisser échapper ; mais par bonheur, la main réconfortante de leur professeur de runes contribue à l’apaiser un peu et à repousser la crise. L’espace d’une seconde, elle se sent comme un gros chaton que sa mère porte par le cou pour rentrer à la maison, et c’est tout ce qu’il lui faut. « O-oui, acquiesce-t-elle en essayant de rassembler les bribes de sa maigre contenance. Merci. » Elle grimace un sourire reconnaissant et récupère ses chaussures pour les réenfiler sans tarder. Elle est bien trop secouée pour éprouver la moindre gêne à cause de leur humidité, et c’est sans émettre de plainte qu’elle réendosse son sac, raffermissant sa prise sur sa baguette.

Cependant, elle a à peine fait quelques pas que son téléphone se met à vibrer. Pendant un court instant, elle a le vain espoir de recevoir le mot d’un camarade, mieux – puisque tous les appareils ont vibré –, l’annonce de l’école qui les prévient d’un canular et les félicite d’avoir gardé leur sang-froid – enfin, ses coéquipiers l’ont bien gardé pour cent, au moins, et compensé ainsi sa propre faiblesse. Malheureusement, ce n’est rien de tout cela ; c’est même encore pire que ce qu’elle aurait pu imaginer ! La silhouette qui vient d’apparaître à l’écran est de toute évidence celle d’un homme. Slany n’aime pas tout ce décorum qui fait la part belle à la mauvaise réputation injustifiée des corbeaux – elle les adore et cet ignoble individu est en train de tout souiller ! Pourtant la fascination s’exerce, un très bref moment : elle écoute avec avidité, dans une recherche inconsciente de bon sens et de sécurisation ; mais elle comprend qu’il n’est pas de ces individus auxquels on peut faire confiance sitôt qu’il parle d’évolution et de puissance de l’espèce ; les tares déplorables qu’il évoque à juste titre sont immédiatement discréditées en tant qu’arguments par le vol qu’il annonce et l’orgueil dont il se rend coupable en se prétendant légitime pour orchestrer la redistribution d’un hypothétique pouvoir. Toutes ces choses, Slany ne les comprend que viscéralement, comme une bête perçoit l’existence d’un danger ; mais si elle saisit instinctivement tout ce que la rhétorique de cet homme a de captieux, elle serait bien incapable de formuler la moindre défense verbalement, et elle se sent terriblement impuissante de ne rien pouvoir faire d’autre que rentrer tête, bras et jambe dans une coquille qu’elle n’a du reste pas ; elle voudrait hurler de dépit contre elle-même de ne pas posséder les clés intellectuelles pour abattre le raisonnement dont on prétend lui violer l’esprit.

Certains éléments lui échappent plus encore. De quelles gemmes parle-t-il ? Quelle prière ? Elle n’a pas le loisir de s’interroger davantage, blêmissant pour de bon quand l’ignoble voix encourage l’utilisation des sortilèges impardonnables, prône l’instauration d’un « état global et unique des sorciers », instrumentalise lui-même la peur de l’extinction, méthode qu’il semblait juste avant réprouver ; enfin un violent haut-le-cœur manque de la tordre en deux lorsqu’il révèle son abject désir de nettoyer le monde des moldus. Elle ne peut s’empêcher de penser à Esteban : a-t-il entendu ces paroles inqualifiables, lui aussi ? Il lui suffit de songer que ce sont là des horreurs contre lesquelles sa Maman l’a éduquée depuis son plus jeune âge pour que ses fragiles défenses se disloquent ; alors, elle fond en larmes pour de bon, et doit se mordre le poing pour étouffer le bruit de ses sanglots. Car l’effroyable personnage continue son monologue, lui, n’a que faire des sensibilités qu’il déchire, des courages hésitants qu’il écrase et effarouche, des éternels indécis et poltrons qu’il jette dans l’inconfort du choix et le vertige affolant de l’action à venir – ou pire, la honte insoutenable de l'inaction. L’adresse à leur directeur achève de l’effrayer. De quel secret parle-t-il ? Les concerne-t-il ?

Slany manque de lâcher son téléphone quand le rire hideux retentit. Il n’y a aucune sanité là-dedans. Se peut-il vraiment qu’il existe des sorciers assez stupides, assez méchants pour devenir les partisans d’un fou pareil, qui s’érige illégitimement au rang de Dieu ? Fébrile, elle s’applique à essuyer ses larmes en vitesse pour ne pas se donner en spectacle ; mais elle aurait aimé, du fond du cœur, qu’une explosion ne lui serve pas de diversion à cet instant. Elle sursaute, se tourne vers la provenance assez lointaine de la détonation qui semble se situer à l’intérieur même de l’école. « Oh non… » Elle panique à nouveau, cherche les yeux de leur professeur, ceux de ses camarades. « Il faut y aller, n’est-ce pas… ? On ne peut pas rester ici ! » Elle ne leur demande pas ce qu’ils pensent de tout cela, s’ils prennent le trouble-fête au sérieux, trop occupée à espérer de toutes ses forces qu’il n’y ait pas de blessé. D’un pas décidé – non. –, elle rebrousse chemin, direction la grande-salle de Uagadou.