no pain no gain •• owain

No pain, No gain

Payne n'était certainement pas un joueur de tennis, mais il savait frapper des trucs avec sa batte. En l'absence de batte, ou plutôt d'un truc à frapper avec celle-ci, une raquette lui suffisait amplement. Il renvoyait les balles dans le vide, le plus loin possible, en évitant les membres du club d'athlétisme qui s'entraînaient sur la piste autour du terrain de tennis. Enfin, il essayait. Un dommage collatéral était si vite arrivé...

Le club finit son entraînement et Payne marqua une pause pour reprendre son souffle et constater l'état de la raquette. Légèrement explosée. Il avait fait exprès d'en "emprunter" une qui ait l'air un peu pourrie pour qu'on ne remarque pas son absence. S'il continuait de cogner à ce rythme il n'aurait plus à se soucier de la rendre, il lui suffirait de la jeter à la poubelle pour s'en débarasser. Il jeta un oeil autour de lui pour vérifier qu'il n'y avait pas de vrais membres du club de tennis sur le terrain, ou leur responsable, mais... non. Juste l'aîné des Baxter. Owain Baxter et une batte. Il jouait au Quidditch maintenant ? Baxter qui croisa son regard. Payne fronça les sourcils. Le problème n'était pas que le Serpentard le regarde mais plutôt la façon dont il le faisait. Payne reporta son attention sur les balles de tennis, mais entre deux coups de raquette, il ne put s'empêcher de surveiller Baxter et sa batte. Il essayait d'éviter son regard, sans succès.

Qu'est-ce qu'il lui avait fait pour qu'il le juge comme ça ? Payne ne se rappelait pas lui avoir mal parlé ou fait un sale coup dans son dos ; il n'avait plus vraiment de contact avec lui depuis un bon moment. Mais il pouvait se tromper. Il joua quelques secondes avec une balle en réfléchissant, puis il se retourna et héla le Serpentard :

"Hé, Baxter ! T'as un problème ?" grommela-t-il.

Il se rapprocha en faisant tourner le manche de sa raquette dans sa main. Il aurait aimé l'aborder moins méchamment, il n'était simplement pas doué. Maintenant qu'il était lancé, autant en avoir le coeur net.

Héler Baxter une raquette de tennis à la main, très bonne approche, bien sûr. Très bourrin, très Payne, rien qui ne devait surprendre le Serpentard. Il le connaissait assez pour savoir à quel point son intelligence était limitée. Ceci dit, même l'intelligence limitée reconnaissait un mauvais départ, dans le ton de la voix qui lui répondit, les mots choisis, l'agressivité générale. Et la batte de Quidditch, bien sûr, il avait sa batte de Quidditch dans les mains. C'était un avertissement à lui tout seul ou Payne ne s'appelait plus Payne.

Et comme Payne s'appelait Payne, il était facile de rebondir dessus sans grande classe, de lui rétorquer qu'il ferait mieux d'appliquer ses paroles à la lettre en regardant ailleurs que dans sa direction. Il fixa Owain, sans répondre, le temps de s'acclimater au ton de la conversation. Confrontation. Prise de parole ? Il n'était pas certain de savoir dans quoi il venait de s'engager. Pour changer. Une partie de lui avait envie de parier qu'il regretterait ça dans cinq minutes. L'autre avait trop de fierté.

Ses yeux tombèrent sur la batte de Quidditch et Payne abaissa sa raquette, conscient que jouer avec ne faisait que renforcer la tension. Il haussa les épaules.

"Uh, j'suis pas sûr", lâcha-t-il, un peu trop honnête pour le coup. C'était ridicule. "Tu m'regardes bizarrement, j'suis pas parano ? J'veux savoir pourquoi. Si je t'ai fais quelque chose ou..."

Il ne savait pas comment finir cette phrase, mais il pensait peut-être qu'il avait fait quelque chose à un de ses proches, ou une de ses connaissances – Payne ne savait pas avec qui Owain traînait. À part Catwright, peut-être, Campbell aussi ? Il avait quelques souvenirs. Si ça se trouvait, quelqu'un était allé se plaindre de lui, comme ça semblait être beaucoup le cas en ce moment. Putain de karma.

"... bref." C'était tellement symtomatique de son manque de communication qu'il préféra éclaircir au mieux ses intentions, quitte à se répéter : "Si t'as un problème, dis-moi."

Ç'avait l'air de calmer le jeu, au départ. Le discours de Payne hissait le drapeau blanc de l'honnêteté, parce que tout crétin qu'il était, on ne pouvait pas lui reprocher le contraire. C'était toujours très franchement qu'il parlait, aussi franchement qu'il cognait. Il avait conscience de la batte dans les mains de Baxter et de la raquette dans les siennes, le rapport de force ne s'arrêtait pas là car Payne cognait fort, mais taper dans les balles c'était à défaut des gens et il était à court de têtes à couper.

Dans ses souvenirs, Baxter n'était pas un ennemi. Pas son ami non plus, quelque chose comme l'ami d'un ami – celui d'Argus Catwright avant lui. À présent Payne se fichait bien de ses amis, il le lui avait dit, mais s'il devait déclarer la guerre à Baxter, il aimait autant savoir pourquoi avant. Surtout si ça finissait comme avec Stoker et Martin – Catwright allait lui retomber dessus à la première occasion et Payne ne pourrait plus se satisfaire de son honnêteté. Il tenait ses promesses.

Owain lui fit face avec sa batte et sa voix lui redonna un coup d'adrénaline, comme les coups de raquette, l'anticipation d'une balle lancée à pleine vitesse. Il ne savait pas pourquoi mais il en était sûr maintenant : ça va péter. Désolé Argus, il aura essayé.

Trois minutes, il aura tenu.

Et puis rien.

Owain Baxter venait de lui clouer le bec.

Trois choses, il retenait : les mains au cul, sa soeur, son poing dans la gueule. Il lui fallait un peu de temps pour lier tout ça, bien que les paroles – la menace – fussent très claires.

Mettre la main au cul.

À Baxter ?

Pas Baxter Owain, Baxter la petite soeur ? Edea ?

"Quoi ?"

Payne lâcha un grognement en réalisant toute la portée du malentendu.

Il lui avait fallu une bonne minute de réflexion, parce qu'il ne pensait pas qu'il y avait ce genre de malentendu entre eux. Owain l'avait vu avec Catwright. Mais ça ne voulait pas tout dire aux yeux des autres, n'est-ce pas ?

"J'ai jamais fait ça, qui t'a raconté ces conneries ?" s'agaça Payne, presque outré.

Le Gryffondor refusait d'être la cible d'une rumeur aussi ridicule – ironique quand trois ans plus tôt, dans son placard, elle l'aurait soulagé –, et le grand frère s'imaginait sans peine dans la même position que l'aîné des Baxter. Il fronçait les sourcils, secoua la tête.

"J'te jure j'ai jamais touché ta soeur."

Il ne la connaissait même pas. Mater des culs ? Oui. Y mettre la main ? Il était assez beauf pour s'amuser de ça. Edea ? Impossible. Dans un univers parallèle ou Edea n'était pas une fille, peut-être. Cependant Owain était un grand frère en colère et Payne le voyait assez bien pour ne pas lui rire au nez devant le ridicule de la situation. Il marqua une pause, chercha la meilleure façon de le dire, se rappela qu'il n'y en avait pas, et haussa une épaule :

"Je suis gay."

Ils avaient l'air con, à se regarder comme deux ronds de flan. Quoi ? - Hein Chez Payne le mutisme était plutôt courant, facile de le faire taire en se montrant plus malin que lui, mais la réciproque était souvent fausse. Ce n'était pas avec des mots qu'il clouait le bec, en tout cas. Déstabiliser Owain Baxter eut le mérite de le calmer un peu, après tout sa colère n'était pas dirigée contre lui – mais s'il choppait celui ou celle qui avait lancé cette rumeur, ah ça...!

"Non, j'la connais juste parce que c'est ta soeur. J'la croise des fois dans la salle commune..."

... mais la moitié du temps je me rappelle pas de son prénom alors je la salue jamais. Payne haussa les épaules pour conclure cette réponse maladroite et sûrement trop détaillée. Baxter se fichait bien de son emploi du temps.

Le malaise flotta au-dessus d'eux, qui ne réussissait même pas à satisfaire le Gryffondor. Foncièrement il n'avait rien contre Baxter, il était presque gêné pour lui. Presque. Il haussa les sourcils à la réaction maladroite, probablement pas nécessaire non plus.

"Euh. Bah. Ravi aussi."

Mais non mais ta gueule Payne. Il secoua la tête.

"Écoute... C'pas grave", conclut-il, plus sûr de lui.

Sûr et certain de ne plus jamais vouloir aborder ce sujet avec l'aîné Baxter, en tout cas. Il leva le nez, à la recherche de l'inspiration. Il ne doutait pas qu'Owain ne s'enfoncerait pas davantage de son propre chef, mais il n'avait pas envie de prendre le risque. C'était là un sujet trop personnel. Même à ses amis il n'en parlait pas. Ah ça, pour mettre des mains au cul et faire des blagues de beauf, y'avait du monde, mais dès que ça devenait sérieux... plus personne. Son attention retomba sur le nouveau jouet de Baxter et son regard s'éclaira.

"Alors comme ça, t'es le nouveau batteur de Serpentard ?"

C'était la diversion qu'il lui fallait. La perche était tellement énorme qu'il aurait pu cogner le Serpentard avec. Payne espérait juste que ce dernier l'attraperait sans faire d'histoire. Et il ajouta, pour la forme :

"C'est si facile que ça, les sélections ? J'devrais peut-être essayer", ricana-t-il, seulement à moitié sérieux.

Il était content que la diversion fonctionne – technique souvent trop subtile pour lui – mais son sourire était sincèrement amusé quand Baxter répliqua aisément à sa provocation. Il se prenait au jeu.

"Euh, un sport où on peut se taper gratuitement ?" répliqua le tas de gants, y ajoutant une seconde question, muette.

Who do you think you're talking to. Non, officiellement, on ne pouvait pas se taper dessus, mais les cognards n'étaient pas là pour rien, les battes encore moins. Et c'était toujours un grand spectacle de les voir voler en direction des joueurs de l'équipe adverse. L'occasion parfois de tenir les paris. Qui se pèterait un membre le premier ? Non, Payne n'avait aucune honte. Il avait même gagné quelques mornilles sur les blessures de ses camarades, sponsorisant sans qu'ils le sachent leurs séjours à l'infirmerie – il avait compensé en envoyant des chocogrenouilles pour déculpabiliser. Officiellement, personne ne voulait blesser personne dans ce jeu. Mais la violence était présente en Quidditch et on ne pouvait le nier. Il considéra un instant la proposition du Serpentard, pressentant qu'il n'était pas du genre à revenir sur sa parole, mais ignorant s'il le prenait au sérieux ou pas, lui, Tadhgán Payne, qui ne s'était jamais vraiment distingué en sports d'équipe ou en compétition. Avait-il ce qu'il fallait pour mener un match de bout en bout en travaillant de concert avec six autres personnes ?

"Fais gaffe à c'que tu dis, paraît que Gryffondor cherche un nouveau batteur aussi", l'informa-t-il avec un petit sourire, "alors j'vais peut-être aller aux sélections, juste pour rire."

Poser sa candidature ne lui coûterait rien, c'était répondre à la première question qui pouvait s'avérer ardu. Mais Payne n'était pas le genre à se défiler devant un défi, qu'il soit lancé par un camarade, futur adversaire, ou par son propre ennemi. Owain tendit la batte vers lui. Payne la prit sans réfléchir mais son esprit ne pouvait pas ignorer la grande question. Ah. En était-il capable, finalement ? C'était si facile de parler avant d'agir, moins de faire ses preuves.

Sauf quand on s'appelait Tadhgán Payne, et qu'on ne pensait pas à l'échec même avant de sauter d'un immeuble en feu.

"Bah, pour commencer faut éliminer les autres batteurs. Leur renvoyer les cognards en ligne droite, c'est plus facile que d'viser un poursuiveur à l'autre bout du terrain. Je pense", ajouta-t-il après un instant (salvateur) de réflexion.

C'est qu'il ne pensait pas très longtemps avant de parler, si bien qu'il réalisa après coup ce qu'il venait de faire. Le Baxter était l'autre batteur et Payne lui révélait sa stratégie. Pas malin. Dans ces cas-là, une seule solution, L'IGNORANCE. Payne profita que le Serpentard avait pris sa raquette pour examiner la batte. Puis il se baissa et ramassa une des balles de tennis avec lesquelles il jouait un peu plus tôt. Il ne visait rien de particulier, et c'était toujours dangereux de frapper dans les jambes des coureurs, ne lui restait que le ciel pour cible. Il aurait bien visé Owain, mais la raquette risquait de péter s'il lançait exactement comme il le voulait. Après ça allait encore râler qu'il essayait de tuer éliminer les amis de Catwright uns par uns, et au fond il n'avait rien de personnel contre Baxter, contrairement à Stoker ou Martin qui auraient fait des cibles plus faciles.

Frapper fort ne lui demandait pas tant d'efforts quand c'était ces deux-là qu'il visualisait dans son esprit, et Payne prit la pose du joueur de baseball moldu pour renvoyer sa balle dans une autre galaxie.

"Home ruuuuuuun !" s'exclama le Gryffondor en faisant un petit tour sur lui-même, la main en visière.

La balle était allée rebondir de l'autre côté du terrain d'athlétisme. Il apprécia encore quelques instants le poids de la batte dans ses mains, avant de la rendre à son propriétaire.

"À toi, Baxter."

Il avait encore une balle de tennis dans la poche, qu'il comptait bien lancer pour tester les réflexes de son peut-être futur adversaire.