Ils avancent lentement, le pas lourd, la tête baissée et le regard vide d’expression. Chacun leurs tours, ils montent sur l’échafaud et finissent pendus au bout d’une corde. Ensuite, les gardes prennent les corps et les entassent dans des charrettes partant en direction du port ou les cadavres sont exposés en guise d'avertissement à quiconque oserait se lancer dans la piraterie. Les pirates…. Une bande de vermines, de voleurs, de tueurs et de hors-la-loi, c’est ce qu’on a eu de cesse de lui répéter depuis qu’il est arrivé au sein de cette prison. Il n’y croit pas. Enoch sait parfaitement ce que la piraterie représente : la liberté et une vie remplis d’aventures ! Du haut de ses quatorze ans, il se sait pirate. Ce désir et ce goût pour le danger coulent dans ses veines, après-tout, n’est-ce pas son père lui-même qui n’avait de cesse de répéter cette phrase “ Tu seras le plus grand de tous les pirates, mon petit Enoch !”. Son père et sa mère qu’il n’a plus vu depuis l’attaque. Enfermé dans une cellule miteuse, sans aucun passe-temps, sans aucune compagnie, il s’ennuie. Il crève d’envie de retrouver ses parents, alors, un dénommé “Lord Bergling” lui a autoriser à les voir dans la cour de cette prison où se déroule désormais les exécutions.
Entouré d’hommes armés jusqu'aux dents, Enoch n’ose pas bouger. L’ado a un mauvais pressentiment, pourquoi le Lord lui laisse t-il le droit de revoir ses parents ? Ce Lord qui est responsable de la capture de ceux qu’il voit comme une famille. Il a peur. Il ne doit pas le montrer. Être fort, comme son paternel, ne pas avoir peur, comme sa mère. L’impression d’avoir ses intestins qui se compressent dans son ventre lui donne presque envie de déglutir et de recracher son maigre repas du matin. Les derniers captifs montent et….
crac. Plus rien. Un silence pesant. Uniquement brisé par le souffle du vent. La porte d’entrée s’ouvre de nouveau. Il voit un jeune homme arrivé à cheval, trottant fièrement, l’individu est vêtu du traditionnel costume des haut-gradés de La Compagnie. Il descend élégamment, laissant son cheval à la main de ce qui semble être un valet. Il s’approche du petit Enoch, l’air assuré. Un petit sourire rassurant à la commissure des lèvres, il lui offre un regard tendre.
- Tu es Enoch Leszczynski ?
Enoch hocha de la tête, craintivement.
- Je suis Lord Declan Aedan Bergling, mais pas besoin de ces formalités. Veux-tu voir tes parents ? Ils ne sont pas très loins.
Il fit encore une fois un signe de tête approbatif, ne voulant pas parler à ce Declan. Malgré cette aura charismatique qui émane du Lord, il ne lui fait pas confiance. Celui-ci tape dans ses mains, les gardes s’activent alors. Ils se mettent en ligne, les fusils au repos. Une jeune femme arrive alors, suivie par un groupe de prisonniers. Elle les guide jusqu’au centre de la cour, un rictus mauvais dessiner sur son visage. Enoch tremble, il s’élance vers….
Paf. Un coup de crosse l’atteint à la tête et il s’effondre au sol. Ça fait rire la femme. Declan s’avance dans sa direction, lui tendant un parchemin.
- Chère Amélie, auriez-vous l’amabilité de lire ce texte ô combien intéressant pour nos invités ?
Amélie prit le parchemin et le déroula, se raclant la gorge, elle jeta un bref coup d’œil vers Enoch.
- Tous les prisonniers du navire Pirate nommé le Fougueux sont condamnés à la pendaison jusqu’à ce que mort s’en suivent.
Enoch lâcha un cri bestial, tentant de se relever, mais les gardes le maintiennent. Declan se délecte de la situation. Un roulement de tambour retentit alors que le premier marin s’avance.
Crac. On balance son cadavre dans une autre charrette. L’ado hurle, pleure, se débat pour les sauver. Pas eux. Ils n’ont rien fait de mal. Pas eux. Pas eux. Pas eux. Pas l’équipage de ses parents. Pas sa famille. Tout se déroule si rapidement. Les officiers de La Compagnie enchaînent les pendaisons. Il les voit. Tout. Pendus. Sans vie. Vinrent les derniers. Son cœur s’arrête. Non….
- PAPA ! MAMAN !
Il ne peut rien faire. Maintenu au sol, impuissant face à cette barbarie, cette cruauté inhumaine. Son père, Lazlo, monte fébrilement les marches de l’échafaud, il lance un dernier regard à son fils.
- Je t’aime, Enoch !
Crac.
Coeur brisé.
Sa mère se trouve également sur l’échafaud. Elle a peur, bien évidemment, qui ne le serait pas. Pourtant, elle ne tremble pas. Au contraire, bien, avant qu’on lui passe la corde autour du cou, elle s’écrie.
- Mieux vaut mourir libre que vivre la vie d’esclave ! Enoch, hissons nos couleurs !
Et puis
crac.
Innocence envolée.
Il ne peut pas se retenir, vomissant au sol. On le lâche. Il serre les poings, il est seul. Il vient de voir mourir sa famille. Le bruit retentit dans sa tête.
Crac. Crac. Crac. Crac. Crac.
Les bruits de pas, il ne les entend pas. Il relève seulement la tête pour faire face aux responsables de toutes ses vies perdus. Declan. Inspirant profondément, la haine se lit dans les yeux du jeune pirate. Un pirate, voilà ce qu’il était. Voilà ce qu’il a toujours été. Comme ses parents. Il se vengera. Il le tuera. Ce Lord. Il détruira La Compagnie des Indes Orientales.
- Voilà, tu as pu voir tes parents une dernière fois. Hélas, tout le monde meurt un jour ou l’autre. Les vermines plus rapidement, comme tu la constater.
- La seule vermine ici se trouve devant moi !
Le pirate cracha presque ses mots. Bergling ne parut pas outré, ni énervé. Bien au contraire, il l’examina et se tourna vers Amélie.
- Veuillez amener notre ami dans sa cellule afin qu’il puisse se reposer. Demain, il embarquera pour un long voyage.
Elle acquiesça et suivit des gardes, saisissant Enoch qui se débattit, en vain. Declan les regarda disparaître, avant d’interpeller le capitaine du navire.
- Veillez à ce que ce criminel termine par dessus-bord.
- Sir, ce n’est qu’un enfant…
- Voulez-vous finir également au bout d’une corde ?
- Non, sir. Mais…
- Alors, obéissez aux ordres de vos supérieurs, je vous prie.
- Bi-Bien.
***
L’eau qui s’infiltre dans ses poumons, le bruit sourd de l’eau, ses yeux qui se ferment. Enoch se sent couler au fond des abysses. Au moins, il rejoindra ses parents. C’est une pensée qui le réconforte alors qu’il se croit déjà mort. Une prise ferme autour de ses épaules le sorte de sa torpeur. Il crache de l’eau sûr….. Le pont d’un bateau ? Cela ne fait aucun sens. On venait de le jeter…. Sa vue se fait de moins en moins trouble et il voit la main tendue d’un jeune homme, un grand sourire accrocher aux lèvres.
- Bah alors, ça va mieux ? T’as eu de la chance qu’on soit là !
Hein ? Quoi ? Tout est confus et il n’arrive pas à articuler.
- Wah, calme toi ! J’suppose que tu te demandes où t’es ? Bah, mon garçon, bienvenue sur mon navire ! Dirigé par le capitaine Beckett Campbell ! Bah moi en fait….