Moment de vérité || Earl

Une journée tout à fait classique. Les examens sont passés, bientôt les résultats, bientôt le Bal. Tes semelles frappent le sol de façon régulière, rythmique, avec force et conviction. Mais c'est alors que tu t'apprêtes à aller dans ta salle commune qu'une jeune fille que tu n'as jamais vu te barre le chemin.
Elle a de longs cheveux noirs et porte une cape grise, comme toi. Pourtant, c'est une Poufsouffle et tu te demandes quelques secondes si elle n'a pas pris le mauvais côté du couloir. Pourtant, elle t'appelle par ton prénom, comme si elle te connaissait. Dawn. Son prénom se grave dans ta matrice centrale, où tu stockes toutes les données.
Elle veut te parler de quelque chose important et tu fronces les sourcils, incompréhensif. Qu'a-t-elle donc à voir avec toi ? Mais la voilà qui t'attire sur le côté, à l'abri d'oreilles invasives, et son air devient grave.
Silas.
C'est à peine hier qu'il t'a avoué ce qu'il ressentait pour toi. Ton sourcil se hausse. Que s'est-il passé ? Une inquiétude commence à naître lentement, incertaine.

Il lui est arrivé quelque chose ? Et qui est-il pour toi au juste ? 

Tu n'as pas envie d'avoir de soucis avec une ex de Silas. Tu ne pensais pas qu'il pourrait s'intéresser aux femmes par ailleurs, mais cela devrait t'importer peu. Alors tes yeux se font évasifs, tu as autre chose à faire. Et même si ta voix n'est pas indifférente, tu essaies de rendre ton attitude désintéressée. Tu ne peux perdre tes objectifs de vue et certainement pas à cause d'un homme.
Pas n'importe lequel, c'est vrai, mais les sentiments, c'est superflu. Ce n'est pas quelque chose que tu peux t'autoriser.
Mais tu aimerais, n'est-ce pas ?

Elle parle beaucoup trop. C'est probablement la première réflexion un peu plus lucide qui vient à ton esprit lorsque tu l'écoutes. Un déluge de mots, une cascade insignifiante pour dire peu, voir pas grand chose. Inutile.
Elle commence maladroitement, se présentant comme une amie à Silas, une amie attirée par son physique cependant. Tes yeux s'obscurcissent alors tu que la fixes avec l'envie de l'attraper par les chevilles et la secouer comme un prunier. Tant de mots gaspillés, sans but, mis dans ses phrases trop longues pour être entièrement écoutées. Mais tu ne peux réaliser tes envies, trop de gens dans ce couloir, trop d'individus à qui tu n'as pas envie de prouver raison sur ce qui se dit à ton sujet.  
Finalement elle semble atteindre son objectif, signalant que Silas ne va pas bien. Ta main se crispe, abandonnée le long de ton corps mais désormais sous tension.
Elle prend une pose pensive et soudain ses mots coulent encore, rectifiant les précédents, te perdant dans tout ce que tu entends. Mélancolique, Silas ? Mais il l'est toujours, mélancolique. Triste ? Il semble l'être en permanence comme si le monde l'entourant le décevait constamment. Quelque chose qu'il partage avec toi par ailleurs. Elle dit qu'il est plus soucieux qu'auparavant et ça, tu veux bien l'admettre, le comprendre, le saisir enfin. Pour une fois qu'elle s'est bien exprimée. Dommage que ça ne fait que te blâmer car quelle autre raison aurait Silas d'être attristé que la tienne ?
C'est alors que ses mots t'atteignent pour de vrai. Il m'a parlé de toi. Tu n'avais jamais demandé au vélane de se taire mais tu avais cru qu'il y avait un accord sous-entendu, implicite, silencieux entre vous. Entendre cette gamine devant toi t'annoncer ça, c'est comme s'il avait déchiré le parchemin en deux, annulant le contrat. Tu es contrarié, Earl, presque en colère. Que t'arrive-t-il ?
Pourtant tu as conscience que ce n'est qu'une futilité. Mais tu sais aussi que tu aimes garder ta vie privée... Privée. Cette intervention de Dawn ne te sied guère.

Il t'a... Parlé de moi ?

Il y a presque une menace dans tes paroles. Le couloir se vide un peu plus et ton corps se tend, domine la petite silhouette frêle, l'accolant presque au mur. Mais le flot de mots ne s'arrête toujours pas et tu en es presque au soupir exaspéré. Même si elle te surprend. Des choses bien ? Que peut-on dire de bien à ton compte ? Tes sourcils se froncent alors qu'elle déclare vouloir le protéger d'un amour impossible. C'est comme une gifle alors que tu ne devrais pas te sentir concerné. Alors que cela devrait te passer dessus comme de l'eau.
Es-tu incapable d'aimer Earl ? Cette question te gêne, formulation inconsciente de ton esprit qui a tracé son chemin jusqu'à ton lobe frontal pour se transformer en pensée. Oh que ça te gêne, toi l'indifférent, le froid meurtrier aux mains noircies de sang. Tu n'as pas de sentiments mais qu'on t'annonce que tu ne pourrais pas en avoir t'offusque. Contradiction, oxymore, opposition au creux de ta propre pensée, de ta propre idéologie.
Sa dernière question est étouffée par tes propres réflexions et ton poing s'écrase sur le mur au-dessus de sa tête alors que tu te penches sur elle, sombre et incontrôlable.

Ce que je pense de Silas c'est qu'il a des amis à la langue très pendue. Je te conseille de ne pas te mêler de ce qui ne te regarde pas, tu risquerais de contrarier de quelqu'un de méchant.

C'est presque un défi que tu lui lances. Ose fouiner encore, ose me regarder dans les yeux et laisser ta voix me vriller le crâne si tu y tiens. Mais pourtant tu te recules, tu lui montres ta clémence sans te détourner, attendant de voir si elle partira, alors que dans ta tête se dessinent des points d'interrogations gigantesques. Car Silas, tu ne sais pas quoi en penser. Il te déboussole, te passionne, te fait ressentir quelque chose que tu ne veux pas ressentir. Parce que c'est comme une brique qu'on retirerait de ta muraille.
Elle ferait s'écrouler toute la construction.

Elle est presque insolente et tu ne peux t'empêcher de soupirer cette fois. Oui, cela te dérange qu'il ait parlé de toi, après cette déclaration si soudaine qu'il avait fait au creux de tes draps. Et oui, cela te gêne encore plus que cela soit une pipelette et non lui même qui vienne te confronter là en ce moment-même. Surtout alors que tes sentiments censés être non existants échappent à ton contrôle au point qu'elle t'en fasse la remarque.
Tu essaies de te calmer, et tu revêtis ton masque d'indifférence, plissant tes yeux pour la regarder avec sévérité de ton poste éloigné de quelques pas, alors qu'elle vient de te pousser, pas fort certes, mais d'une façon qui ne te plait guère. Tu laisses couler pourtant, alors que ses paroles te font réfléchir. C'est le but, non, de paraître de marbre, de ne jamais laisser les émotions influencer tes actes ?
Pourtant, tu agis là par colère que quelqu'un soit venu fouiner dans ton jardin secret. Tu n'aimes en aucun cas cela, surtout que ça concerne Silas. Tu n'es pas objectif et tu t'en rends compte, mais elle te laisse à peine le temps de te calmer. Elle pointe son index vers toi en s'avançant et tu ne réfléchis plus, ses questions étant trop intimes et dont les réponses ne sont pas aisées. Tu saisis son poignet, refermant ta paume dessus, immobile, de sorte à ce qu'elle ne puisse s'en libérer qu'à ton bon vouloir. Mais la réponse t'échappe et cela t'énerve de ne pas avoir su tenir tes réflexions pour toi-même.

Peut-être ? Ce n'est pas à toi de me poser la question.

Tu la jauges du regard sans la lâcher. Elle semble déterminée à vouloir des réponses tout comme tu sembles déterminé à ne lui en donner aucune. Mais n'est-ce pas ce que tu viens de faire ? Lui donner une réponse ? Bien qu'elle ne risquait pas d'être satisfaite d'un simple peut-être.
Un élève passe dans le couloir et jauge la scène de son regard venimeux. Tu lâches la jeune femme avant de la saisir par l'épaule et la pousser vers le tournant du couloir où moins de gens vous verraient discuter. Tu baisses ta voix tout en restant sévère, car après tout, tu ne peux pas fléchir si aisément Earl.

Est-ce que Silas a la moindre idée de ta présence ici ? Si c'est lui qui t'a envoyé, tu devrais me le dire plutôt que de t'acharner.