Idiot. {{ F e l i x

Les jours avaient passés après ce bal devenu catastrophe. Elle avait entendu des échos, des bruits de couloir, rumeurs dégradantes qui expliquaient ce qu'elle n'avait pu voir de ses propres yeux, occupée ailleurs à danser avec Adam. Et ces mots qui se murmuraient ne lui avaient pas vraiment plus, ces histoires de famille qui se mêlaient à l'école, ces histoires de cœur qui prenaient beaucoup trop de place. Beaucoup pour qu'elle ne puisse rester silencieuse, Valentyne désirait s'exprimer. Alors elle parlerait et tu l'écouterais, Felix. En silence.

Il y a un moment maintenant qu'elle ne te cherchais plus, lasse de parcourir les couloirs en long et en large sans parvenir à te trouver enfin. Résignée à laisser tomber pour aujourd'hui, désireuse d'un peu de repos, elle avait quitté le hall pour se rendre au clocher. Elle avait quitté les couloirs animés pour ce calme dont elle avait grand besoin. Réfléchir. Encore et toujours. Réfléchir à comment t'aborder Felix, réfléchir à comment s'incruster elle qui n'était pas là mais qui avait ce besoin de justice si grand qu'il en devenait étouffant. Elle avait passé la porte, monté les marches grinçantes de l'horloge une à une en prenant le temps de savourer la route jusqu'au sommet. Puis elle t'avait aperçue, dos à elle face à cette vitre sale devant laquelle passait l'aiguille, ombrageant les lieux de façon presque trop tendre finalement.

Tu étais là Felix.
Elle était là aussi.
Debout sur la dernière marche qu'elle ne franchit pas encore, à attendre on ne sait quoi. Quelque chose comme un moment propice, peut-être.

— Morpheús Gaunt. Si désagréable quand ça sort de sa bouche, une pause. Tu es un idiot.

Et elle ne saurait mieux décrire sa pensée.

— Qu'est-ce qu'il t'a prit ?

On voit encore les traces de coups sur ta joue.
Honteux.

Tu te joues d’elle comme un marionnettiste de son bout de bois, tu fais semblant de ne pas comprendre avec ce ton si faux qu’elle en aurait presque esquissé un sourire si ça n’était pas toi face à elle Felix. Tu devines ses pensées, les exposent au grand jour sous ce regard sans sentiment qu’elle te lance, et elle te lacère tout en sachant que rien n’aura d’effet sur toi. Tu n’étais pas assez droit pour prendre en considération les conseils qu’elle te donnerait, et elle savait pertinemment que sa voix ne comptait pas. Mais tu sais, Felix, il n’y a que les fous qui ne tentent rien, et Valentyne, dans sa raison, a décidé d’essayer. Alors elle est là, à retenir ce rire que tu lâches si bien pour elle. Et elle s’avance. Monte la dernière marche. Depuis quand avais-tu ce regard si dur, Felix ?

— J’espère que tu n’as pas cru te sentir supérieur à moi.

Valentyne accuse, avance vers toi comme une menace prête à exploser. Mais tu sais tout comme elle qu’il n’en sera rien, Valentyne vient simplement discuter. Et même toi tu l’écoutes lorsqu’elle parle, tu sais que dans ses torts elle n’a pas totalement faux non plus. Tu sais qu’elle se fiche bien d’avoir tort aussi, tout comme elle sait que tu te fiches bien d’aujourd’hui. C’est évident, vos yeux si haineux vous trahissent si bien tous les deux. Elle se stoppe à quelques pas de toi, te toise de haut en bas avec dédain, et ce petit sourire qui naît sur ses lèvres n'arrangerait rien.

— C’est tellement plus simple de jouer les grands quand ça te chante, n’est-ce pas. Est-ce que tu te sens important, là maintenant ? Réponds-moi Felix.

Elle se rapproche encore, à la limite de vos corps qui se frôlent ce vide infime à l’apparence d’un gouffre pourtant si grand et si sombre. Son regard est brasier dans le tien et ses mots plus durs, comme si elle était énervée. Comme si ton être tout entier lui réclamait cette colère qu’elle ne voulait pas lui offrir. Elle te détestait de jouer ainsi d’un statut si puissant.

— Tu devrais prendre conscience de tes responsabilités avant d’oser croire que malgré ton sang tu puisses jouer les hommes avec moi. Faire honneur à ce qui t’a été offert, ça ne devrait pas être trop compliqué pour ton cerveau de Pouffsouffle, si ?

Et bien sûr je ne parle pas d’Andy. Bien sûr que non elle n’en parle pas, pas encore, pas maintenant. Mais l’envie de t’énerver un peu plus encore se fait si grande. Elle hésite, recule d’un pas, peut-être deux elle ne sait pas trop. Elle hésite et se lance finalement.

— N'espère pas protéger ta copine cracmole en agissant comme un enfant. Tu es un garçon pathétique, Morpheús.

Et il s'agissait bien là d'un conseil plus que d'une menace ou une insulte. Un conseil de cette fille qui ne t'aime pas mais qui ne trouve pas ça juste.

Ses sourcils se froncent de manière imperceptible. Elle déteste le fait que tu ne répondes pas à sa question, mais elle ne relève pas. Quelque part elle se doutait que tout finirait comme ça. Et c’est pour ça qu’elle continue, parce qu’elle est curieuse, dans sa colère, de savoir jusqu’où tu peux aller. De quelle façon tu tiendras pour continuer à être aussi décevant. Elle n’avait rien dit et avait enchaîné, s’était rapprochée puis éloignée. Elle avait parlé et aurait pu continuer encore si tu ne l’avais pas arrêtée. Mais toi aussi tu as ton mot à dire Felix, alors elle t’écoute.

Et tu t’approches.
Menaçant.

Elle te toise de tout son haut, les yeux vides de sentiments, avec cette envie irrépressible de te faire ravaler tes mots. Blessée quand tu parles de jalousie, déchirée lorsque tu imagines pour elle ce qu’elle s’imagine de toi. Mais on se demande bien qui le plus enfants des deux, à chercher voir chez l’autre qui a eu l’enfance la plus pourrie qui soit. Ses poings se ferment lorsque tu t’éloignes, la dépasse pour t’engager dans les escaliers. Elle est immobile, droite et toujours aussi fière, ses poings serrés si fort, prête à exploser. Mais elle n’explose pas, se contient, se contente de voir devant, devant ces aiguilles qui l’empêchent de se tourner vers toi pour te faire face comme il se doit.

Elle te fuit.
Pas par peur de toi mais par effroi d’elle-même.
C’est si frustrant d’être aussi faible, tu sais Felix.

— Morpheús.

On n’aurait su faire plus glacial comme ordre implicite qu’elle te donne pour t’arrêter. Elle est sérieuse Valentyne, sèche et forte lorsque finalement le courage lui prend et qu’elle se tourne vers toi, dégoûtée. Tout chez toi lui inspire dégoût Felix, pas la jalousie. Du simple dégoût, comme tu n’étais qu’un déchet qui s’était retrouvé à cette place si importante aux yeux du monde sorcier sans savoir quoi y faire. Et ça l’enrage tellement. Tellement Felix, ça l’enrage parce qu’elle aurait aimé ne pas avoir honte de ça.

— Tu es un être dégoûtant.
Tu as tout ce qu’elle n’a pas.
— Je ne peux pas envier quelqu’un comme toi qui ne sait que faire fi de ses responsabilités, incapable d’honorer la famille dans laquelle il est né.
Tu es tout ce qu’elle n’est pas.

Ça n’est pas de la jalousie.
Elle ne voudrait pas être à ta place.
Elle dit tout haut ce qu’ils pensent tous tu sais ? Les autres.
Du moins elle le croit, elle s’en fiche mais elle le croit. Ses paroles claquent l’air bien que tu n’en ais rien à faire. Elle cherche ses mots, la compréhension sans doute. Et un rire s’échappe, léger, si faux que ça lui filerait la nausée.

— Tu espères quoi en me retournant mes propos au juste ? C’est drôle parce que l’espace d’une seconde j’ai cru que peut-être tu avais raison. Mais Felix, tu ne peux avoir raison cette fois. Essaie de penser aux autres avant de te rebeller de façon aussi égoïste, c’est un conseil.

Qu’elle affirme clairement cette fois.

— La cracmole pourrait regretter tes agissements. Je suppose que c’est elle qui importe le plus, pas vrai ? Si tu étais un peu plus adulte tu l’aurais compris il y a longtemps. Tout a une conséquence et l’utopie n’existe pas.

Et si pour que tu réalises ce fait elle devait y mêler Andy alors elle le ferait, parce que tu n’as pas le droit de foutre en l’air ton sang lorsqu’autant de personnes comptent sur toi. Lorsqu’elle t’en veut d’être aussi vivant et elle aussi terne. Quelques pas dans ta direction, elle descend une marche pour te rejoindre, te surplombe assurément cette fois. Une seconde d'arrêt, elle te dépasse en silence et s'éloigne lentement.

Les poings serrés, toujours, incapable de se dire qu'elle n'avait pas raison.