Lorsqu'on lui demandait qui était le deuxième homme sur la photo, elle répondait parfois son oncle, parfois un cousin, parfois un père. Mensonge éhonté alors que l'azur restait fixe et imperturbable.
Ce qu'Age ne révèlerait jamais, c'était que les deux hommes sur la photo étaient ses pères.
Lorsqu'on demandait à Henrik pourquoi sa sœur n'avait pas voulu de sa fille, il avouait les yeux las et le cœur lourd que sa sœur était partie de cette terre.
Ce qu'il ne dirait jamais, c'est qu'elle avait fuit d'une lâcheté amère, incapable d'assumer une enfant pareille et lui crachant au visage que lui et son homme sauraient bien aimer cette petite princesse.
Lorsqu'on demandait à Age, qui était cette femme dont l'image traînait sur son bureau, ses yeux se détournaient et son regard se portait sur l'ours en peluche aux yeux décousus et elle soufflait en silence que c'était la défunte sœur de son père.
Ce qu'elle ne révélait pas c'est qu'elle était sa sinistre mère.
Lorsqu'on demandait à ses pères pourquoi des mains colorées parsemaient les murs blancs, ils répondaient que leur fille était une génie de la peinture, douée de ses mains aux delà de tout.
Ce qu'ils ne disaient pas, c'était que Age était une sorcière.
Lorsqu'ils étaient venus les voir pour leur expliquer ce que le sang d'Age impliquait, ils leur avaient parlé de cette école magnifique qui ferrait d'elle
la fierté du monde sorcier.
Ce qu'ils ne disaient pas, c'était le sang et les larmes versées, le supplice des cœurs dans la toundra glacée, c'étaient les heures de travail, c'était d'être brisé.
Lorsqu'on lui demandait pourquoi ces médicaments, pourquoi cette peur dans le regard quand la nuit tombait, ses lèvres s'ouvraient déversant un torrent de paroles abrutissantes et
tu as vu le temps qu'il fait dehors détournant l'attention de ce qui se passait réellement.
Ce qu'Age n'avouait pas c'est que ces médicaments étaient une barrière aux hallucinations qui la prenaient.
Lorsqu'ils lui demandèrent pourquoi elle tombait à terre, le corps parcourut de spasmes et les yeux révulsés, des gémissements presque inaudibles s'échappant de ses lèvres serrées, elle se grattait la tête gênée en disant
Oh tu sais, à chacun ses maladies.
Ce qu'elle ne dirait jamais, c'est que son Don la possédait.
Lorsqu'on lui demandait d'où elle venait, elle racontait des histoires de pays tous différents, des contrées froides, elle parlait de Norvège, d'Ukraine, de Tchécoslovaquie, avant de se souvenir d'une histoire drôle de la semaine précédente, ou celle d'avant.
Ce qu'elle refusait de confesser c'était la froideur de Durmstrang et les chaloupes de bois mouillé.
Lorsqu'on lui demandait si elle avait encore des amis
là-bas, elle se taisait, secouait la tête en feignant un rire et disait qu'ils n'avaient pas le temps de se faire des amis là bas, qu'ils n'étaient là que pour travailler.
Ce qu'Age ne disait pas, c'était qu'elle avait regardée sa seule amie dans les yeux avant de la laisser mourir, par peur d'oser défier le destin qu'elle avait vu se former devant ses yeux.
Ce qu'Age ne disait pas, c'était qu'elle s'était détournée et ses yeux bleus avaient gelés au même moment où la vie l'avait quittée.
Lorsqu'on lui demandait pourquoi ce déménagement soudain, pourquoi l'abandon de sa terre natale et de l'école qui lui donnait toutes ses chances, Age sourcillait et Age détournait le regard, incapable de supporter une question de plus et
putain mais vous allez fermer vos gueules et elle part Age, elle part avec ses pères parce que la Norvège n'a plus rien à leur offrir, parce que Durmstrang et ses fantômes l'ont chassée et parce que par dessus tout, Age a besoin d'un professeur, Age a besoin d'apprendre.
Mais Age ne dira plus jamais rien, parce qu'Age ne veut plus parler, Age veut simplement fuir.