« Endure » || Abby

La passion, hein... C'était quelque chose qu'il avait pensé avoir. Qu'il avait, tout court, mais seulement dans certaines situations. Et encore, pouvait-il dire que cette détermination était de la passion ? Sei fronça les sourcils alors qu'il l'écoutait, touché par ses paroles, mais également pensif sur le sujet. Abby avait effectivement des motivations, un objectif, des raisons. Elle avait fait un choix, parce qu'elle ne l'avait pas fait au hasard. Il l'enviait un peu, mais l'admirait surtout. Avoir une telle passion pour un métier, ce n'était pas tout le monde qui l'avait. Certains étaient extatiques quand ils jouaient au Quidditch, d'autres voulaient devenir médicomages pour sauver la veuve et l'orphelin... En fin de compte, il se disait que seuls les plus ambitieux aux objectifs les plus louables savaient déjà quelle direction prendre. Un ouvrier ne choisissait pas sa voie, il la prenait par défaut, se disant qu'il finira pas aimer son métier au fil du temps et de l'expérience.

Le regard bleu azur du japonais se reposa sur son amie lorsqu'elle passa sa main dans ses cheveux. Ils avaient bien changé aussi, en ces quelques années. Abby avait également bien pris en maturité. Trois ans d'écart, ce n'était pas grand chose, et pourtant, parfois il sentait comme un fossé les séparant.
Lorsque le sujet de la famille vint sur le tapis, Sei regarda Abby encore longuement. Pensivement. Presque, intensément. Que savait-elle, déjà ? Avait-elle pu deviner certaines choses ? Avait-elle entendu d'autres choses ? Après de longues secondes, Sei prit la parole, le ton plutôt sérieux.

« Abby, crois-tu qu'un cracmol est voué à vivre une vie de moldu dans un monde de sorciers ? » Il laissa sa question en suspend quelques secondes, le temps que Abby y réfléchisse vite fait. Puis il reprit la parole. « Venir à Poudlard a ses bons et ses mauvais côtés. On est comme le cul entre deux chaises. D'un côté trop moldu pour pouvoir appartenir au monde de la magie, de l'autre trop conscients de la magie pour vivre une vie de moldu. C'est comme se dire qu'on appartient ni à l'un ni à l'autre, qu'on a pas vraiment de place confortable. Je ne sais pas ce qu'il m'est réellement possible de faire dans ces deux mondes bien distincts. »

En dépit de son éternel optimisme, Sei était également très terre à terre. Il n'était pas forcément pessimiste concernant son avenir, juste incertain, à se poser beaucoup de question. En pleine recherche de sa voie. Un ado, en somme. Le jeune homme pris une profond inspiration et détourna son regard de son ami, sentant qu'il venait un peu de faire tomber un plomb monumental sur l'ambiance.

« On a une expression en japonais qui peut plus ou moins excuser toutes les situations ; shouganai. C'est un peu le "on peut rien y faire", le "c'est comme ça" japonais. Cette habitude d'accepter les choses comme elles viennent sans trop vouloir les changer. C'est ce que ma famille répète sans cesse me concernant. Alors, pour te répondre clairement, ma famille ne peut rien faire, et ne compte pas trop s'y intéresser. »

Il n'avait aucun doute là-dessus ; si Abby n'existait pas, sa vie aurait été bien monotone. Ses paroles, sa volonté, le choix de ses mots... c'était juste. Et Sei avalait ses paroles comme un assoiffé qui buvait à la plus claire des fontaines. Elle balayait avec ces simples mots tous ses arguments précédents, toute cette fatalité contre laquelle il luttait depuis des années. En fin de compte, peut-être n'était-il pas aussi optimiste qu'il voulait bien le croire ? Pour les autres, mais pas pour lui. Une tendance à se tirer dans le pied peut-être.

Le regard planté dans celui d'Abby, il l'écoutait avec une expression de surprise sur son visage. Loin de vouloir la contredire, il s'étonnait même de vouloir la prendre dans ses bras et la remercier pour ce soutien qu'elle lui offrait. Voir les choses sous un autre angle, mmh ?... D'un point de vue sorcier, elle n'avait pas tort. Il avait une bien meilleure compréhension du fonctionnement moldu, de la nécessité de devoir se débrouiller avec la technologie. Et leur prouver qu'ils avaient tort, c'était bien le souhait de Sei... mais comment s'y prendre ? Il n'avait pas d'idée. Le regard insistant d'Abby finit par, effectivement, le mettre légèrement mal à l'aise. Il sentit ses oreilles virer légèrement au rouge et un sourire quelque peu maladroit étira ses lèvres.

« La beauté de ma lumière de petite étoile... kawaii ? » répéta-t-il.

Il eut comme le soubresaut d'un rire et le sérieux qui l'avait habité fit place à une terrible envie d'en profiter. Une de ses mains abandonna celle d'Abby, et il vint poser son index sur son front, repoussant légèrement sa tête.

« Qu'est-ce que je ferai sans Abby Fawkes, hein ? Ca fait du bien de se faire remonter les bretelles. » Il ne lâcha pas son autre main, et resserra même un peu son emprise dessus. « Merci Abby. »

Il la regarda de longues secondes, juste reconnaissant, profitant simplement de ce moment de répit et de tranquillité... pour pouvoir mieux la surprendre en lui tirant légèrement les joues, sans la prévenir.

« J'en oublierai presque parfois que ta bouille de bébé qui me sauve la peau des fesses va bientôt toucher la vingtaine et se rapproche dangereusement de la trentaine, âge fatidique où la majorité de tes amis seront mariés avec des gosses. »

Pique volontaire pour changer de sujet. Mais c'était vrai ; passé la vingtaine, les couples commençaient à se former pour rester entre eux, et après les vingt-cinq, beaucoup songeaient mariage et bébé. Abby avait encore le temps, mais peut-être moins que tous l'imaginaient. Et Sei non plus.