On the edge || Age

Pas chancelants sur un sol meurtri par le froid. La potion circule dans tes veines, sang bouillonnant, fluide carmin dont la quiétude se diffuse dans chaque parcelle du corps, dans chaque muscle, dans chaque cellule, réchauffant et éloignant le froid morbide du samedi d'hiver. Idée empruntée dans un grimoire afin de garder la possibilité de se baigner, de se laisser noyer, de remonter à la surface, encore et encore, jusqu'à ce que le carburant manque, que les muscles s'enflamment et que le souffle s'absente. Le chemin est connu, mémorisé, appris par cœur, jusqu'au lac dont la surface miroite et enchante, reflétant l'infini du ciel, déclinant le gris en argent liquide et époustouflant, le soleil en perles tremblantes de lumière. Les vêtements sont ôtés, abandonnés sur le sable, lorsque le regard est accroché par d'autres tissus, semblables mais aux teintes différentes, et alors la curiosité est aiguillonnée, irritée, et les pensées débattent et combattent les idées te venant à l'esprit. Les pieds rencontrent la fraîcheur de l'eau, la caresse humide d'une vaguelette rebellée, alors que les yeux cherchent, trouvent et sourient en apercevant un mouvement, un reflet, un éventail de chevelure blanche qui, tel un crystal poli, reflète la lumière et la diffracte en mille couleurs différentes mais dont peu sont visibles à l'œil humain. Le corps avance, s'enfonce dans l'eau, mais le froid ne mord pas, le froid apaise, compense la chaleur trop grande, rend le bain hivernal agréable, et enfin tu disparais sous la surface, comme si tu n'avais jamais été là, comme si tu n'étais qu'un songe miroitant, une apparition étrange, un mirage sur la surface aquatique.
Les mouvements sont amples, rapides, efficaces, et la surface est de nouveau honorée par ta vision alors que tu remplis tes poumons de l'oxygène nécessaire. Les pupilles ne tardent pas à retrouver la silhouette aperçue au loin, toute en courbes féminines, et dont le visage te reste encore invisible.  

Naissance d'Aphrodite, soulevée au-dessus des vagues, peau miroitante reflétée sur la surface aquatique. Le regard est accroché aux nombreuses estafilades argentées, surprenantes sur un épiderme aussi idéal et tu te redresses à ton tour, la tête penchée curieusement, immobile tel un spectateur d'une galaxie naissante dans le ciel d'or et de bleu. L'apparition, si irréelle, ancre son regard dans le tien, éventrant toutes pensées, vidant entièrement ton esprit comme une tornade dévastatrice, apocalypse languissante. Mais le regard se romp et se balade, dénudant la chair pourtant déjà affichée, faisant monter des rougeurs aux joues, provoquant d'un sourire taquin des décharges sous la peau pâle.
Décision prise, la naïade avance, et le souffle commence à te manquer, respiration erratique du noyé qui ne sait guère comment agir face à une légende devenue réalité. Les mains se tendent, phalanges tirées à l'extrême, alors que la femme provoque, regarde, contemple puis se détourne, laissant une saveur mélodieuse de citronniers enneigés, acide et piquante, vive et inoubliable. L'eau l'épouse et l'accueille de nouveau lorsqu'elle s'éloigne, invite à rejoindre implicitement, chant silencieux de la sirène attirant l'homme dans sa tanière pour l'y dévorer, disparaissant sous l'eau calme sans même la froisser.
Mais même le ciel se plie parfois aux désirs nuageux de l'impétueux vent, et tu n'hésites même pas à la suivre sous le miroir nautique, laissant les flots t'envelopper alors que tu disparais à ton tour. Tes yeux s'ouvrent, habitués et habiles, et le sourire se fait en voyant la belle inconnue non loin, dont les cheveux, tels la trainée d'une étoile, auréolent sa tête. Le corps ondoie dans l'eau, épousant les courants invisibles pour s'approcher, et la main se tend, invite à être saisie, alors que les yeux défient, provoquent et rivalisent avec les siens, comme une quête mystérieuse de confiance qui n'aboutira pas. 

Les regards s'affrontent et se confrontent, glace et ciel, froideur et souplesse, puis le refus vient, oppose, alors qu'elle se désintéresse de ta paume tendue, indépendante, puissante. Les courbes de son corps ondoient alors qu'elle s'enfonce dans les étendues inconnues des profondeurs du lac, et la curiosité te pousse à la suivre, moins gracieux et élégant dans l'élément aquatique qu'elle. Vous êtes flèche et obus, lancés à la même vitesse, mais déchirant l'espace de façon radicalement différente.
Les créatures d'eau vous fuient, vous échappent, ne laissant que des traînées de ronds d'oxygène sur votre passage, inexploitables pour vos corps vulnérables. Les yeux s'accrochent toujours à la pulpe de la sirène, qui jamais ne se retourne, jamais ne vérifie la présence de son poursuivant acharné. Curiosité en croissance permanente, auréolée du mystère tenace de ne rien savoir, te laissant dans un état vagabond entre conscience et son absence, où tout semblait féerique et irréel. Songe malheureusement évanescent, lorsque l'air commence à manquer, troublant la vision et distordant la réalité.
Le rivage atteint d'abord par la nymphe, ta baguette est retirée de son ceinturon installé autour du mollet, tendue pour attirer tes vêtements à toi, gardant contact visuel sur la femme que tu ne voudrais pas voir disparaître. Tes cheveux sont rapidement séchés, ébouriffés légèrement par la serviette épongeant l'humidité, le corps cédant lentement au retour à la surface, vestiges de la potion vaporisant l'eau présente sur ton épiderme.
Soudain, la voix interrompt le silence environnant, voix peu ordinaire mais pourtant presque décevante après la beauté voluptueuse de l'univers sous la surface, et tes yeux se lèvent, teintés d'or par le soleil, et tes lippes se tordent en un sourire ravi et à la fois réservé, ne sachant pas réellement comment s'adresser à la demoiselle présente.
Les perdants me le disent souvent.
Et les yeux s'ancrent de nouveau, presque impossibles à détourner de ce visage à la beauté spectaculaire, puis finissent par glisser, imperceptiblement presque, sur la chair mise à nue, avant de s'intéresser à ses propres affaires sur le point d'être enfilées. Théories nombreuses et tumultueuses, une revient avant tout, la plus logique au final, celle de la combattante, de quelque chose, de quelqu'un, guerrière, jamais soldat, aux désirs uniques et purs, valkyrie nordique, amazone antique, femme au-delà des lois ayant sa propre liberté. Et le respect déjà présent croît dans les entrailles, car peu seraient capables d'endurer ce qu'elle-même a enduré. Les yeux se baissent sur les brûlures stigmatisant ta propre chair abîmée dans ton enfance par le terrible incendie qui te laissa orphelin.

Rire étincelant, comme des perles de verre s'échouant au sol. Les cheveux sont secoués, longues mèches lunaires aux reflets solaires dont la beauté ébloui autant que l'astre diurne. Les yeux glacials s'échouent sur ta chair, la contemplent, mais ce n'est pas l'approbation qui se dessine dans les pupilles claires et ton propre regard se détourne, incapable de contempler la moue de déception. Pourtant les paroles sont acérées, lames tranchantes si proches de celles que tu as connues qu'il t'est impossible de ne pas parer le coup.
Plus que tu ne le penses.
Feinte facile, peut-être trop, pas de côté alors que le pantalon est enfilé et boutonné, cachant partiellement ton corps apparemment inadéquat au regard de la nymphe. Et alors qu'elle se renferme, couvert d'un coffre au trésor s'échouant avec fracas sur la paume du curieux pirate, tes yeux s'attardent une nouvelle fois sur elle, interrogation intérieure de est-ce qu'elle en vaut la peine ?
Les paroles pleuvent de nouveau et ton sourire se fait presque chaleureux, mensonge sautant aux yeux alors que tu ne peux t'empêcher de rire légèrement.
Cela te dérange ?
Ton acerbe, tête qui se penche, et le corps s'avance vers elle, juste pour voir, car jamais l'apparence ne sera seule à compter, et c'est l'âme que tu tentes d'apercevoir à travers le prisme oculaire aux teintes céruléennes, yeux si distants et froids. Statue de glace tremblante, craignant le froid mais aussi la chaleur humaine, inconnue guerrière indifférente et indépendante, dont l'aura mystérieuse ne cache peut-être pas tant de choses que ça. La main se tendrait presque pour vérifier le pouls sous la soyeuse peau, mais l'immobilité se fait dans la contemplation de ce visage intriguant. Et la décision est prise, en rien hâtive, mais issue d'une logique implacable d'une observation pointilleuse, celle de la présence d'émotions, d'anxiété et de colère, ne pouvant aller de paire qu'avec la nature humaine.

Voix amère au ton cassant ne laissant aucune illusion sur les pensées débattant dans l'esprit de la valkyrie. Mais ses propos sont inconscients, ignorants, et le rire t'échappe, le rire s'arrache de ta gorge comme un oiseau devenu trop puissant pour sa frêle cage d'os et de cartilage. Le corps viril se penche entièrement vers elle, la main ne touche pas la peau, mais saisi les cheveux humides, les glisse derrière une douce oreille, et le souffle glisse sur le cou immaculé lorsque les lèvres s'agitent amusées.
Mais je suis arrogant.
Et fier de l'être sonnerait presque dans les airs alors que la nymphe est libérée de ton ombre empoisonnante, son regard doux, compatissant, glissant sur tes cicatrices. La froideur enveloppe les traits quelques instants plus tôt bienveillants, car même si aucun souvenir ne persiste, les cauchemars sont un rappel suffisant de cette faiblesse matérielle, terreur intenable, peur ancrée dans la chair sous forme des brûlures difformes. Les deux côtés se contrebalancent, l'un perdant sa chaleur, l'autre gagnant en froideur et de nouveau le sourire revient alors qu'elle recommence son jeu divin, son jeu enfantin de course poursuite jamais réellement achevée, et ta vitesse est remise en cause, mais la pique ne te fait rien, seulement hausser les épaules, car de toute façon l'argumentation serait veine. Le regard s'attarde sur la silhouette qui se courbe, se penche, exhibant d'autres rondeurs attirant les yeux, et les pommettes s'enflamment, la tête se détourne, et la voix se veut moqueuse mais demeure tremblante.
Tu comptes tout enlever ?
Le froid commence à mordre et la chair frissonne, signe impossible à oublier que l'heure est de se vêtir, d'enfiler sa tenue hivernale, de mettre le plus d'épaisseur entre la pulpe et l'extérieur. Le haut gris est saisi, enveloppant le buste ni trop fin ni pas assez, cachant la chair rosie.
Balbutiements indistincts alors que les lacets sont dénoués pour couvrir la plante des pieds, le regard s'attarde de nouveau sur la déesse aux cheveux d'argent, curiosité et attirance incontrôlée, et soudain réflexion soudaine que le château accueille nombre de créatures dont certaines peuvent créer mirages. Le corps se dresse, la voix s'élève, interloquée, comme si la prise de conscience effrayait.
Es-tu réelle au moins ?

La réponse ne vient pas, ne viendra pas, alors que la dryade se couvre la chair d'une serviette, alors qu'elle assèche ses cheveux d'un coup de baguette magique. Soie magnifique retombant sur son dos attire ton regard, les mains qui démangent de toucher la douceur de cette crinière, de caresser ces fils d'argent au moins une fois de la vie. Mais voilà que sa deuxième question est esquivée d'un rire tintant, et le rouge monte aux joues devant la possibilité de la nudité de cette camarade là, déesse représentant les désirs charnels. Soudain, son dos est dénudé, peau balafrée mais au reflets d'or, surface d'une pierre précieuse réfletant sur son prisme toute once de lumière. La contemplation dure jusqu'à ce que le dos soit traversé par les mains afin de se rhabiller et les yeux se détournent, pudiques soudainement, alors que l'instant d'avant aucune gêne n'était ressentie.
La voix résonne de nouveau, et un frisson parcourt ton échine alors que ta tête se relève pour observer la femme, un air menaçant dessiné sur ses traits. Une amertume dans sa voix te fait froncer les sourcils, car pour toi, tout cela a de l'importance, une valeur. Et alors que tu t'apprêtes à le lui dire clairement, l'arme de bois est pointée vers toi et te projette en arrière, ta chair lancinée par le vent insensible à ta soudaine détresse, alors que tu touches la surface de l'eau, disparaissant sous le miroir céleste, t'étouffant et te débattant vivement pour te relever, dégoulinant. Ton sort ne tenant plus, tu trembles de froid et claque des dents, alors que ta mercenaire sourit satisfaite, se préparant à partir. Cette fois-ci tu es celui qui sort ta baguette, la pointant sur sa veste, l'attirant à toi d'un simple Accio avant de la laisser choir dans l'eau.
Il aurait été presque regrettable que tu ne sois qu'une vision, mais je vois que la réalité te rattrappe.
La température se stabilise un peu alors que tu la contemples, le tissus s'imbibant d'eau à tes côtés.
Je crains qu'il ne va falloir que tu viennes chercher ce qui t'appartient.

Ton regard se trouble alors que les paroles coulent des lèvres de l'immatérielle. Rêve ou cauchemars dont le réveil ne semble pas prêt à te secourir, tes membres tremblent d'un froid pénétrant, plus puissant que tu ne l'aurais cru. Pourtant, tu n'oses bouger, statue de confusion et de surprise, alors que la femme se saisit de ta propre veste, alors que le blason pourpre et or s'effondre dans l'herbe, parsemant de ses fils la rosée gercée du matin.
Soudain, la divinité se fige, regard brillant d'une connaissance incongrue, et les lippes délivrent un message dont l'amertume ne peut qu'être celle d'une promesse délivrée par la connaissance divine d'un destin immuable. Un rire démentiel s'élève et tu frissonnes, te saisit du tissus imbibé d'eau pour t'extraire de la glace en fusion qui te refroidi jusque l'âme. Silhouette s'éloignant sur le rivage, ton cœur bat à s'en rompre les ventricules, cerveau tentant désespérément de comprendre la prophétie délivrée par les lèvres argentées. Mais aucune solution ne vient et tu te sèches rapidement, vidant d'eau le tissus abandonné par l'apparition qui n'en semble pas une, car l'odeur citronnée s'échappant de la matière ne peut être que réelle. Le blason bleu te donne une indication de l'appartenance de la jeune étudiante, bien qu'elle semble absente de tes souvenirs écoliers, comme si elle n'était que mirage et illusion désenchantée venant te délivrer une promesse funeste.
Le corps vêtit et la pulpe réchauffée, tes pas te mènent de nouveau vers le Château, comme si la matinée n'avait rien eu d'exceptionnel, comme si la réalité n'avait pas été bouleversée.
Sur la rive, un blason rouge et or se fit emporter par une vague, alors qu'un écho de rire retentissait encore sur un macabre présage.