Seul sur ton lit dans tes draps bleus froissés, c'est l'insomnie, sommeil cassé. Le souffle endormi et paisible de Lukas te fais perdre la tête à vouloir en crier, mais tes cigarettes sont toutes fumées dans le cendrier. Le regard fixé sur la fenêtre au-dessus de toi, tu t'en allumerais bien une. Mais pas dans le dortoir au beau milieu de la nuit. Tu soupires. Soit tu restes là à fixer le plafond en attendant le sommeil, soit tu te lèves et perds espoir de rêver ce soir. Une main venant frotter ton visage crevé de fatigue, tes pieds glissent sur la soie de tes draps et touchent le sol. Tu te redresses, te lèves, t'étires légèrement. Aussi silencieux qu'un chat. Le tien dort sans doute paisiblement sous ton lit. Il t'accompagne parfois dans tes promenades nocturnes mais tu ne vas pas le réveiller pour si peu. Tu sors juste le temps de fumer une clope et tu rentres. Demain tu as cours d'histoire et tu es presque sûr de t'y endormir si tu ne glanes pas quelques minutes de repos. T'enfiles des vieux vêtements qui trainent, un sweatshirt gris pour te protéger du froid mordant de l'hiver, une casquette plus pour le confort que pour autre chose. Tu quittes le dortoir sur la pointe des pieds, sans regarder l'heure. Parce que quand tu le fais, tu es certain de ne pas t'endormir, même si en l’occurrence c'est déjà perdu d'avance.
Ta langue joue avec ton médusa, petite abeille suspendue entre la lèvre et le nez, piercing récent mais qui semble déjà devenir comme une habitude. Tu ne regardes pas où tu vas, tes pas connaissent la route comme s'ils l'avaient tracée eux-mêmes tant ils sont accoutumés à la suivre. Direction Le Balcon. Toujours le même. Le tiens. Du moins la nuit, il l'est. C'est souvent à partir de celui-ci que tu te hisses jusque sur les toits, histoire d'être encore plus tranquille. Mais quand il fait si froid dehors, les tuiles glissent, et les prises cassent. Et avec plus de trente-six heures éveillé, ce n'est vraiment pas une bonne idée. Non non, tu resteras accoudé sur la rambarde, à contempler la forêt interdite. Un jour j'irais l'explorer. Oui, un jour, tu iras. Regard concentré sur le tabac que tu roules doucement en une cigarette irrégulière, tordue. Pfff.
Dernières marches d'escalier, tes pas résonnent contre les murs de pierre froide du château. Tu peux déjà perdre tes yeux dans le noir velouté de la nuit se dévoile dans l'arche donnant sur le balcon. Le fin papier à rouler se colle sur tes lèvres sèches. Et puis lentement, elle apparaît. Silhouette détachée dans le paysage, illuminée par la clarté de la lune. Cheveux d'une sombre teinte bleutée dépassant d'un bonnet qui te dit vaguement quelque chose. Ton cœur s'accélère en voyant ses pieds perchés sur le dernier rempart avant le vide. Mais, c'est... ▬ BLUE! Ta cigarette tombe à terre. ▬ Qu'est-ce que tu- SAUTE PAS! Ton pied vient l'écraser quand tu fais un pas en avant, puis un autre, pour attraper le poignet de la Gryffondor d'une douceur ferme. Pas très malin de ta part d'arriver sans t'annoncer comme ça. Mais en même temps qu'est-ce qu'elle est entrain de faire bon sang?!
Un vieux t-shirt trois fois trop grand vient embrasser les courbes après une nouvelle étreinte du vent qui semble vouloir la pousser en avant. Le regard est aveuglé par la nouvelle sensation de voler, tournoyer sans jamais pouvoir l’attraper ; parce qu’une chose inhabituelle l’avait faite échouée, et que cette idée la terrifie autant qu’elle ne la soulage d’un poids – masse de regrets face à son échec qu’elle justifie sans arrêt par la même idée dépassée, déphasée qui s’encre néanmoins dans sa réalité : ce n’est pas de ma faute. L’équipe s’en remettra et son égo cicatrisera mais il reste cette étrange sensation, avertissement délétère qu’elle réprime pour continuer à vivre dans sa rêverie – éternelle utopie. Et elle ne se sent jamais plus libre que dans les airs, attaches envolées et cadenas défoncés - chimères relâchées dont les tympans explosent littéralement lorsque le timbre profond et rauque n’impose de nouveau la triste réalité – banalité. Son poignet est immobilisé avant même qu’elle n’ait eu le temps de le regarder, retour trop soudain pour pouvoir s’y accommoder. Jusqu’à ce que les yeux ne retrouvent leur familiarité et que les traits inquiets ne forment cette allure qui la fait esquisser un sourire plein de malice qui accorde au ton une vibration taquine.« Salut Tudor. Toi aussi tu viens admirer la vue? » Le regard glisse vers la chaleur de la chair, poignet piégé révélateur de la surprise qu’elle a dû infliger. Alors son corps se penche vers le sien pour assurer que sauter n’a jamais été dans ses projets, mais elle reste néanmoins debout sur cette estrade qui sera sa dernière si un quelconque imprévu la fait reculer – un tombeau dans les nuages, mais pas ce soir. Les doigts frôlent sa peau, air détaché et sourire contrôlé ; demande masquée de bien vouloir la relâcher pour qu’elle puisse retrouver un semblant de stabilité – équilibre endommagé par sa simple présence à ses côtés. « Tu peux me lâcher, j’ai l’habitude d’être dans les airs.»
Elle sourit. Tu as du mal à comprendre tout de suite ce qu'il se passe. La vue? Tes yeux se posent sur la cime des arbres de la forêt interdite. ▬ Je-- Tu la regardes sans arriver à cacher ta surprise, mais tu finis par accepter qu'elle ne sautera pas. ▬ J'arrive pas à dormir je viens m'en griller une. Elle se penche vers toi, alors qu'elle est déjà perchée si haut. Tu recules d'un petit pas, intimidé pendant une seconde. ▬ Ah euh, pardon, c'est vrai que t'es attrapeuse. Tu la lâche et t'accoudes toi-même à la rambarde, lui adressant un petit regard en coin au passage. Ça doit être bien, de pouvoir monter sur un balais. D'être libre de voler partout où on le souhaite. Toi, tu ne sais que courir et grimper. Mais c'est une liberté que tu ne peux pas connaître, qui t'as été refusée de naissance. Ce n'est pas grave, tu t'y es fait. Il y a bien des endroits que tu peux atteindre que qu'aucun autre sorcier ne peut rejoindre sans balais.
Tu cherches ta cigarette au fond de ta poche. Il n'y a rien. Ah, oui, elle était tombée. Agacé, tu la regardes par terre, mais en la ramassant tu te rend compte que se retrouver entre ton pied et la pierre du balcon ne lui a pas fait du bien. Déjà qu'elle n'était pas particulièrement droite. Tu soupires et ressors tes feuilles et ton tabac, pour t'en rouler une autre en silence. L'air froid de la nuit hivernale te gèle le bout des doigts, chose que tu apprécies sans vraiment t'en rendre compte. C'est grâce aux douleurs insignifiantes comme celle-là qu'on se sent vivant.
Ta langue vient humidifier le papier et tes yeux se posent directement dans ceux de Blue à ta droite, tu pourrais détourner le regard mais au lieu de ça tu le soutiens, un air de malice passant sur tes lèvres. Peut-être que tu n'as jamais vraiment pris le temps de la détailler du regard, ou peut-être que ce n'est que la lumière de la lune presque pleine qui éclaires son visage et son corps d'une lumière si particulière. Mais tu la trouves particulièrement attirante. Tu ne peux empêcher quelques pensées perverties de traverser ton esprit. Pff, n'importe quoi Finn, t'es pas comme ça arrête enfin. Le rouge te monte aux joues mais ta voix ne tremble pas quand tu te redresses pour lui proposer calmement. ▬ Je t'en paye une pour me faire pardonner, si tu veux? La cigarette s'affine entre tes doigts qui viennent la déposer sur tes lèvres. Déjà, tu cherches un de tes briquets dans tes poches.
Pardon. Excuses, excuses, excuses, ça lui monte à la tête aussi vite que de la pure parce qu’elle ne comprend pas ce qui lui donnerait envie de demander son indulgence – peut-être un besoin de sauver les apparences. Mais en vérité la question a à peine le temps de se former qu’il accapare toutes ses pensées, yeux rivés sur chacun des gestes faits. Et c’est étrange comme elle y lit une individualité qui ne l’avait jamais intéressée, jamais remarqué, jamais marquée – marquante, influence qui envoûte et l’empêche de détourner le regard qui embrasse le silence de curiosité. Feuille s’enroulant autour des miettes de tabacs qui se retrouvent rapidement enfermées, doigts d’expert confectionnant la clope irréprochable – désirable, il transforme chaque onde qu’elle aurait considérée comme innocente en une rêverie qui la fait froncer les sourcils lorsqu’elle ne peut retenir un sourire en se demandant ce que ce serait d’être la clope entre ses lèvres. Et si. Elle peut faire ce qu’elle veut, être qui elle veut. Alors c’est peut être l’heure tardive ou juste une soudaine envie, mais elle fait un pas en avant sans même prendre le temps de regarder par terre, persuadée qu’il aura le bon réflexe de la rattraper si jamais elle vient à trébucher, elle l’inatteignable avec sa mine d’inégalable se retrouve enfin à sa hauteur alors qu’il révèle ses talents de beau parleur. Elle ne dira jamais non à une dose de tabac qui pourrait calmer la tension qu’elle a soudainement du mal à expliquer mais qu’elle se plaît à justifier par l’heure tardive ou une attitude qui se veut inoffensive. Elle lui vole sa seconde cigarette en un tic d’horloge, se l’appropriant sans permission accordée à celle qui se voit offrir tout ce qu’elle désire. « Je vais plutôt prendre celle-ci; merci. » Océans s’écrasent contre les rochers lorsqu’elle arrache ses pupilles de l’abeille étrangement engageante pour rejoindre les siennes, mains se posant avec adresse sur les poches de devant à la recherche de celui qui est réellement censé l’allumer désolée, corps supprimant toute proximité pour avoir accès à l’objet recherché. « Ne bouge pas. »Besoin inexpliqué de souffler des mots qui n’ont pas besoin d’être murmurés alors que le lieu est désert, mais elle ne veut rien changer cette nouvelle atmosphère qui est bizarrement celle qu’elle préfère. Dextérité illimitée et prudence témoignant de l’expérience fait briller l’espièglerie dépassant l’entendement lorsqu’elle le récupère dans l’une des poches arrière. Et ce n’est que quand elle se décale qu’elle détourne le regard, se cale contre la rambarde pour allumer la clope qui sera – elle en est certaine, l’une des meilleures qu’elle aura l’occasion de fumer durant la soirée. « Sympa ton piercing. » Et elle souffle. Pour évacuer la fumée, et probablement le petit plus qui l’accompagne depuis qu’il est arrivé.
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