Ca avait trop duré. Trois jours que cette situation s’éternisait et l’ambiance était devenue carrément lourde. Peut-être que ce n’était que ton ressenti, mais t’avais l’impression que le malaise c’était propagé de cet inhabituel écart entre vous deux en cours à un évitement maladif dans les couloirs, et dans la salle commune, à la table de la grande salle et dans tous les autres endroits où vous pouviez vous rencontrer. C’est-à-dire absolument partout.
A vrai dire, t’étais un peu le premier à avoir paniqué et choisi la solution de facilité. La preuve d’ailleurs jusque dans tes pensées qui évitaient minutieusement de formuler le mot précis de ta faute, et même de te rappeler son nom. Pourtant, Harrison, ça n’empêche pas que ta connerie reste la même : t’as couché avec Roxanne. Brisons les tabous, mais voilà, c’est dit. La pensée même te fait virer au rouge pivoine visiblement sans raison en plein milieu du cours de botanique et t’essaye tant bien que mal de dissimuler ta gêne entre tes mèches ébènes.
Ca craint à tous les points de vue. Le premier, c’est que c’est ta meilleure amie. Vous vous connaissez littéralement depuis la première minute de Pouddlard, avez été affectés à la même maison, la même année, fait plus d’un travail de groupe ensemble dès le début de votre scolarité, avez choisi la même option. Bref. Roxanne, c’est la présence douce et continue qui t’a toujours entouré entre ces murs. Le deuxième, c’est que vous étiez complètement trop alcoolisé au moment où ça s’est produit. T’es pas du genre à te rendre à des fêtes, Harrison, et clairement, ça va pas te pousser à y retourner. T’y avais déjà été pour lui faire plaisir à la base, parce qu’elle t’avait demandé des milliers de fois de venir et que t’avais toujours refusé au point de te faire sentir un peu coupable de toujours décliner ses propositions. Le troisième, et non des moindres, c’est que malgré ton déni assez évident depuis quelques années de ce fait, y avait toujours eu un truc entre toi et l’anglaise. Uniquement dans ce sens. C’était pas tout à fait juste une amie à tes yeux. Y avait toujours eu ce … petit truc en plus avec elle, ce détail indescriptible qui t’avais lentement mais sûrement tomber sous son charme.
Du coup, forcément, tu culpabilises. T’es un bon gars, et du genre émotionnel. T’es juste pas le genre de mec a te féliciter d’être un beau gosse d’avoir réussi cette prouesse, que hey, t’as réussi à tirer ton coup avec, bravo, cool pour toi. T’as carrément honte, à vrai dire, mais surtout peur de comment cet incident va influencer votre relation. Est-ce qu’elle voudra toujours de toi comme ami ? Est-ce qu’elle te déteste ? Est-ce qu’elle s’en fou ? Qu’est ce que ça veut dire pour elle ? T’es au bord de l’implosion tellement les questions se bousculent dans ta tête pourtant habituellement si calme. Impossible de te concentrer une seconde sur ce que raconte ton professeur.
Restes calme, respires, et ne poses pas ton regard honteux sur son visage trop longtemps. Ta main va machinalement gratter l’arrière de ton crâne toutes les trois minutes en une nouvelle tentative vaine de te faire oublier toutes ces idées. Il n’y a pas trente-six solutions et tu le sais. La confrontation. A la fin du cours. L’occasion idéale. T’as peur de ne pas arriver à te tenir cette promesse, alors la note sur un bout de parchemin et la signe, comme un contrat avec toi-même.
Un cours de botanique ne t’a jamais paru si long. T’as compté les secondes qui te séparaient de la conclusion de cet assommoir, non sans une forme certaine d’appréhension. Chaque mouvement de la trotteuse était une nouvelle occasion pour ton cœur de s’emballer, un peu plus vite, un peu plus fort, pour tes doigts de trembler, ton estomac de se contracter et chacun des muscles restant de se crisper. T’es même pas sûr de pouvoir articuler une phrase complète dans ton état, mais quand on vous laisse finalement sortir, ton corps bondit comme par miracle de l’autre côté du pupitre. T’as même pas réunit toutes tes affaires que tu te retrouves déjà devant la table de la pouffsouffle, le regard penaud évitant soigneusement ses iris noisettes.
Un toussotement. C’est le seul son que tu arrives à produire sur le moment. Incapable de regarder ailleurs que tes souliers, de faire un autre mouvement que de serrer avec tant d’énervement contre toi-même ton poing sur le rebord de sa table. Dis quelque chose, putain. Tu jures peu, pourtant, même quand c’est juste dans ta tête. Inspire profondément, Harrison, et lâches ce gros soupire apeuré. Ca soulage vraiment, tu sais ?
- Je… Je pense qu’il faudrait qu’on en parle.
Félicitation, jeune homme. Sept mots, presque sans cafouiller. Beau début. Maintenant lèves la tête. Tout le monde se fou de tes joues incendiées par le malaise, de ton regard incertain et de ta mâchoire serrée. T’arrives doucement à poser tes prunelles sur elle, puis tu te ravises, avant d’essayer encore.
- … Si tu veux évidemment mais… enfin… même rapidement mais…
Du calme, du calme. Je sais que ce n’est pas facile, mais tu te débrouillais mieux avant. Ok, tu ne la voyais pas, mais objectivement, ça ne change pas vraiment grand-chose à la mise. Son jugement restera le même de toute façon, vu que le mal est fait. Alors du peux y aller.
Trois jours, c’était trop. Ça faisait déjà trop longtemps à ton goût que tu évitais Harrison, depuis que vous aviez couché ensemble. Les souvenirs de cette soirée étaient légèrement embrumés par l’alcool, mais tu te souvenais tout de même de certains détails que tu aurais préféré oublier. Ça n’aurait jamais dû arriver selon toi, c’était pas bien. Tu n’avais pas honte de l’acte en lui-même, mais plutôt de t’être laissée aller de la sorte avec l’un de tes plus proches amis. Vous passez tellement de temps ensemble avec Harrison, même licence, même maison, même année, ça te semblait presque incongru que vous en soyez venus à ce genre de moment ensemble. Cependant, avec un peu d’alcool, tu savais que tout était possible de ton côté.
Toutefois, il serait peut-être temps de passer à autre chose, de reprendre cette amitié qui te faisait sourire en permanence. Tu le sentais, c’était clair dans tes pensées, qu’Harrison était cet ami si proche dont tu ne voulais pas te passer. Il n’y avait pas d’ambiguïté entre vous, et malgré ce moment agréable d’intimité volé, rien n’allait devoir changer entre vous. Te concentrer durant le cours de botanique fut plus difficile que prévu, tes idées voletant dans tous les sens et se dirigeant toutes vers un même but : veiller à rétablir l’amitié qui t’unissait à Harrison. Il ne serait pas difficile de le rejoindre après la fin du cours, de le retenir quelques instants pour excuser ta fuite, pour crever l’abcès de malaise et enfin retrouver une situation normale.
Aucune œillade n’est échangée durant le cours, aucun signe de complicité, d’amitié, de préoccupation commune. Ton regard cherche à ne pas se laisser déstabiliser par sa présence dans la pièce, par les bribes de souvenirs qui murmuraient des événements du passé à tes oreilles plus si chastes que ça. Oublier et passer à autre chose, c’était ton prochain objectif. C’est pas comme si tu étais à nouveau amoureuse – à ton plus grand soulagement, tu ne souhaites confier ton cœur à personne après ta désastreuse histoire avec ton ex – alors pourquoi repousser celui qui devait bien être ton deuxième meilleur ami? Autant te l’avouer en plus, que tu t’ennuies de lui. Trois jours, c’était un peu trop quand vous étiez habitués à passer vos journées ensemble. Il est ton binôme, ton acolyte, ton partenaire de travail, celui qui ouvre la porte au sourire dans les moments les moins encourageants des jours de cours. Oui, tu as Felix, mais malgré ton affection débordante pour celui que tu considérais comme un frère, il ne pouvait pas s’annoncer dans tes classes et prendre la place qu’Harrison s’était forgée au fil des années. C’était votre monde d’étude, à toi et lui.
Plongée dans tes pensées, satisfaite de la conclusion à laquelle tu avais sautée, tu n’entends pas le congédiement des élèves annonçant la fin du cours et sursaute en voyant le jeune homme qui hantait justement tes réflexions se présenter d’un simple toussotement. Un rire nerveux t’échappe, libération de la tension accumulée ces derniers 72 heures, et tu l’observes combattre mentalement son stress évident. Tu aimerais parler, le saluer, lui dire qu’il t’a manqué, mais tu n’oses pas, craintive de le chasser alors qu’il avait définitivement quelque chose à te dire. Quelque chose en lien avec cette soirée-là. Ses prunelles fuient les tiennes qui se font pourtant douces et accueillantes malgré la boule qui se formait dans ta poitrine. À voir son attitude actuelle, il semble perturbé par ce que vous aviez partagé. Pas étonnant que vous vous fuyiez mutuellement. Tu analyses – c’est plus fort que toi – sa gêne, la distance que vous vous êtes imposés dernièrement et le malaise qui régnait entre vous.
Ça t’effraie. Voulait-il s’éloigner et ne plus jamais te voir? Le feu à ses joues témoigne du fait qu’il n’appréciait pas la position dans laquelle il se trouvait à cet instant, son empressement à régler la situation, son hésitation, le soupir qu’il a lâché, tout s’additionne à la vitesse de l’éclair dans ta tête pour en venir à une seule conclusion : il voulait mettre fin à votre amitié et ne savait pas trop comment s’y prendre.
À ton tour, tu laisses un soupir se manifester et mords doucement l’intérieur de ta lèvre, réfléchissant à une réponse adéquate qui ne le ferait pas fuir. La dernière partie de l’énoncé se trouvait être la plus difficile à combler.
« Oui, oui je suis d’accord Harri, faut en parler. »
Doux sourire en coin, nouveau soupir puis ta main glisse une longue mèche brune derrière ton oreille, apaisant un bref instant ton envie de poursuivre immédiatement mais pas assez longtemps parce que cette dernière reprend vite le dessus dans ta lutte contre ton impulsivité.
« Je suis désolée si ça a mis un malaise entre nous, tu me manques. J’me sens coupable, si tu savais… J’aurais pas dû boire autant et te pousser à faire pareil, j’voudrais juste que les choses redeviennent comme avant… »
Ton regard fuit un instant avant d’aller sonder le sien, curieux. T’étais loin de te douter de ce que t’allais y retrouver.
"Oui". Un simple mot pour mettre fin à toute une attente, toute cette tension, toute cette peur, toutes ces soirée à douter. Pour te débarrasser de cette angoisse, libérer ton estomac tordu par l'appréhension d'un regard noir et tranchant, d'un tournement de tête et de l'image de Roxanne qui te laisse là, les yeux plein de dédain. "Oui", parce qu'on ne le dit jamais assez et qu'à ce moment précis tu serais prêt à continuer d'entendre sa voix prononcer ceci pour une éternité.
Tu sens lentement la crainte qui avait pris possession de tes muscles s'envoler, les traits tendus de ton visage se décontracter en une fraction de secondes. Quelques instant, plus rien à d'importance, pas même le passage de votre professeur à proximité pour sortir de la serre, ni même à quel point du dois paraître pathétique à prendre appui sur sa table en soupirant de soulagement. Un long, long souffle qui s'échappe de ta bouche. Main à plat contre le bois de sa paillasse, tu te laisses le temps de respirer, un truc que t'avais peut-être oublié de faire depuis que l'avais rejoint à sa place, trop tétanisé par l'angoisse.
Tes yeux se posent sur son visage, finalement, avec plus d'assurance que jusqu'à présent. Elle rayonne, Roxanne, encore plus que d'habitude, avec son sourire frais et son regard bienveillant. Ca t'avait manqué, la forme de ses yeux quand ses joues remontaient joyeusement sur son visage, la petite lumière qui brille dans ses prunelles noisettes, sa joie de vivre contagieuse. Tu peux pas t'empêcher de t'abreuver de l'innocence qui émane de sa figure si rassurante.
Tu reprends tes pensées un peu niaises, Harrison, te demandant bien comment t'avais pu ignorer tes propres sentiments si longtemps. Ton cœur continue de battre la chamade, même si tous les autres signes de la terreur qui t'animaient ont disparu, même si t'arrives enfin à arquer tes lèvres en un sourire compréhensif, même si derrière ta monture, tes iris anthracites étincellent à nouveau, polie par une lueur d'espoir.
Elle continue pourtant, et malgré le bonheur qui t'empli quand tu entends que tu lui manques, tu remets les pieds sur terre quand elle formalise ce dont tu te doutais déjà : tu lui as probablement moins manqué que ça a été le cas pour toi. Comme avant. Une légère tension se forme au coin de ta bouche que tu te forces à faire disparaître aussi vite que possible. Sans surprise, hein.
- Je suis tellement rassurée que tu dise ça…
T'articules cette phrase presque hypocrite dans une soupire pourtant honnêtement rassuré. Tu craignais, disons-le, bien pire que la friendzone. Entre la brume que l'alcool avait fait peser dans ton esprit, tu n'étais plus tout à fait sûr de rien quant au déroulement de la soirée que vous aviez passé. Quelques bribes, évidemment, étaient resté plus ou moins fortement gravé dans ta mémoire et t'étais inquiet à bien des égards.
- J'avais peur d'avoir peut-être… je sais pas… été trop… enfin… de t'avoir un peu … tu sais? … peut-être un peu … ahh, c'est super gênant haha… enfin je voulais être sûr que je t'avais pas ... forcé la main ou quoi que ça soit.
Retour au malaise évident. Tu regrettes d'avoir ouvert la bouche, Harrison, et ta main viens comme pour le prouver se placer devant ta mâchoire coupable alors que ton regard, pleutre, fuit le siens. Nouveau toussotement avant de te dépêcher de changer de sujet et ne pas prolonger la gêne qui s'installe. Tu réduis d'un pas l'espace trop formel qui vous sépare et poses tes doigts sur son épaule en un mouvement bienveillant.
- Bref, c'est surtout que je tiens trop à toi pour te blesser, ou pire, te perdre à cause d'un verre… ok peut-être pas qu'un verre haha… de whisky pur feu de trop.
Un instant, tu te demandes si ça aussi, ce n'est pas une phrase de trop, mais l'innocence de cette phrase suffira probablement à ne pas voir le sens qu'il a pour toi.
Des émotions contradictoires défilent dans son regard, trop vite pour que tu puisses les saisir dans un battement de cil, trop vite pour ajouter une ombre au soulagement qui t’habitait. Alors tu souris, innocente, ravie de voir que le voile du malaise s’envolait petit à petit. Tu ne savais pas ce que tu aurais fait sans lui, sans ce jeune homme si discret qui prenait pourtant tellement de place dans ta vie. Il avait été là, tous les jours excepté pour les vacances, depuis ton entrée à Poudlard. Tu te voyais mal renoncer à votre amitié pour une histoire de couchette due à un abus d’alcool, tu ne pouvais même pas l’envisager, c’était simplement impossible. Les souvenirs de votre complicité en classe, de vos longues heures de labeur pour vos cours, de tous ces rires partagés et ces instants où rien n’existait si ce n’était vous deux demeuraient trop présents pour que tu les effaces du revers de la main, comme pour te débarrasser d’un insecte nuisible.
Pourtant, le sujet lui-même semblait déranger comme un tabou qui ne devait pas refaire surface, provoquant des hésitations inhabituelles dans sa voix douce. Tu chasses toute trace d’inconfort entre vous en riant doucement, pas du tout incommodée de devoir le rassurer sur ce qui s’était passé entre vous. L’impression d’avoir été utilisée ne s’était jamais manifestée et tu te rappelais avoir été carrément consentante sur le coup, puis ce n’était pas ta première fois non plus, tu savais qu’Harrison ne t’avais pas forcée à faire quoi que ce soit à un moment ou à un autre de cet échange intime. Cependant, puisque lui ne semblait pas le savoir, tu allais devoir remédier à la situation et tu remercias alors silencieusement les forces supérieures qui avaient fait en sorte que la professeure et tous les autres élèves étaient sortis de la salle de classe, vous laissant seuls pour discuter de ce qui ne se murmurerait pas aux oreilles de n’importe qui.
Toutefois, avant que tu puisses enchaîner avec des paroles qui se voulaient être un baume sur sa conscience, sa main se pose sur ton épaule. D’instinct, tu te lèves pour combler le vide entre vous et lui fait un câlin, tes bras entourant son torse doucement alors que tes lèvres s’activent pour apaiser les craintes de ton meilleur ami.
« Ne t’inquiète pas, j’étais consentante et je ne regrette pas le moment en tant que tel. Je ne souhaite pas que ça gâche ce qu’on a par contre, même l’alcool ne devrait pas avoir ce pouvoir. »
Tu t’éloignes après avoir maintenu l’étreinte un moment, ton sourire s’étirant alors que tu l’observes. Ses traits semblent plus détendus que plus tôt et quelque part ça te rassure de savoir que t’as pu le soulager un peu de sa tourmente. Tu prends appui sur la table où tes effets reposent toujours, veillant à ne pas froisser un parchemin avec ta paume, et tes iris chocolatés hésitants se plongent dans les siens, pétillants.
« Par contre… Est-ce que c’était ta première fois? »
S’il te répondait par l’affirmative, clairement, tu allais devenir rouge pivoine, parce que tu te voyais mal avoir volé la virginité de ton meilleur ami à cause d’une fête trop arrosée, et là tu culpabiliserais à mort.
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