Keep calm and ...• Yannis Damon • Beckett Campbell

Dernier cours de la journée, 2h de défense contre les forces du mal qui se terminent sur une note théorique particulièrement fastidieuse. Le professeur Holmes - rebaptisé  affectueusement “No shit Sherlock” par certains - annonce donc la fin des cours. Les élèves se dépêchent de ranger leurs notes dans un brouhaha avant de sortir de la classe.

Cette semaine n’avait pas été si mal. On pouvait sentir que le château retrouvait un semblant de normalité, encore un peu fragile après les évènements de janvier. Néanmoins les professeurs nous fournissaient suffisamment de travail pour nous distraire et il n’y avait rien de tel que de se plonger dans une série de dissertations pour ne pas penser aux enlèvements ou à ces autres révélations qui me parasitaient l’esprit. Je n’avais pas vraiment eu de nouvelles de mon complice depuis ce fameux soir. J’imagine qu’il avait été occupé par le retour de Nassim et peut-être même par ses cours ( on pouvait toujours rêver). Une partie de moi se réjouissait de ce silence radio : il m’avait permis de faire le tri dans ma tête, de ranger toutes ces pensées dans des petites boîtes bien propres et séparées. Désormais je n’avais aucun doute sur l’attitude à adopter. Nous étions amis - mot à entourer en rouge et à souligner trois fois - et rien de plus. Cette semaine cela avait été un peu compliqué : faire des efforts pour ne pas tourner la tête vers lui, ne pas lui lancer de regard, ne pas lui adresser la parole...résister à ce magnétisme qui attirait mon regard vers lui, c’était le plus difficile.

Mais c’était avec une certaine fierté que j’étais convaincu d’avoir fait le plus gros du travail et de m’être débarrassé et de cette sensation. J’étais tellement sûr de moi que j’avais pris le risque de le contacter ce matin par message. D’humeur un peu rebelle, j’avais eu l’audace de mettre des chaussettes dépareillées. La droite rayée bleue et noire alors que l’autre arborait des motifs floraux. C’était parfaitement idiot et pourtant contenu, j’avais donc eu la discrétion de lui envoyer  un message au cours d’étude des runes.

Spoiler:

Et cela s’arrêtait là.

J’arpente les couloirs, à contempler pensivement  les façons de combler ce temps perdu que représentait un weekend sans méfait, à élaborer des stratégies pour le quidditch, etc quand un visage trop familier se dessinait dans la bousculade perpétuelle que représentait la fin des cours le vendredi. Yannis Damon et ses cheveux blonds comme les blés. Yannis Damon ou plutôt Démon, ouais , qui prenait un malin plaisir à me martyriser. Et tout ce que je pouvais faire, c’était serrer les dents, sourire et lui lâcher des phrases hypocrites et convenues. Tout ça parce que je devais conserver cette image du bon, gentil et docile Bertram Godfrey.

Même si l’envie de l’étrangler me démangeait le bout des doigts.

Je sors rapidement un livre de mon sac et je fais mine de le lire la tête basse, rasant les murs. Stratégies numéro 1 : l’évitement et la dissimulation.

Qu’est ce qui avait bien pu se produire dans la vie de Yannis Damon pour le rendre aussi infect ? Je l’ignorais et je ne tenais pas à en apprendre plus. Le garçon était un vrai poison. Je ne sais pas s’il subit des dérèglements hormonaux particulièrement intenses ou bien s’il est possédé par un esprit frappeur mais une chose est sûre, on pouvait considérer l’énergumène comme le parfait exemple d’une petite brute de cour d’école.  Malheureusement il n’était pas dénué de matière grise et malgré mes efforts combinés pour paraître le plus insipide possible, il ne lâchait pas prise. Seul problème : en public je ne m’autorisais pas les remarques cinglantes que je pensais. Afin de me venger, je me contentais de quelques sorts discrets, un croc-en-jambe quand il passait des les escaliers.

Ma chaussure disparaît. Je fixe ma chaussette avec surprise. Il avait osé. Ma tête déborde d’insultes à son égard, plus colorées les unes que les autres. Je me mords la langue pour les garder à l’intérieur, j’en perds mon sourire mais ma réputation reste sans tâche.

Ma parole mais tu ne ressembles à rien mon pauvre Bertram ! Tu fais exprès de sortir comme ça ? C'est un peu ridicule, quand même

Je baisse les yeux. Qu’il l’interprète comme un signe de soumission me convient. En réalité je dissimule mon regard plein de haine et de mépris derrière une cascade de cheveux alors je me penche pour enlever la chaussures restante. Marcher à une chaussure c’était plus ennuyeux qu’autre chose. J’allais devoir acheter une nouvelle paire aussi. Tssss.  Je me redresse et je force un faible sourire et je lui réponds de ce ton doux et détaché :

Je suis désolé que mon style te déplaise, Damon.

Crétin. Je vais te la faire bouffer ma chaussure. Te la coller au visage.

Oui, c’est la honte de devoir marcher en chaussettes dans les couloirs. Surtout dans ces chaussettes. Tout le monde va en rigoler, pas que Yannis. Et ça, ça fait mal. Mais je pourrais toujours changer leur aspect avant de traverser tous les couloirs.

Si seulement il ne me bloquait pas le passage. L’air de rien, je me décale vers la droite pour l’éviter. La meilleure façon d’éviter une petite brute c’est de l’ignorer, non ? Je n’avais pas tellement d’autres options...

Damon n’essaie même pas de maîtriser l’hilarité que je lui provoque. Son rire de hyène cruelle résonne dans tout le couloir. J’évite soigneusement son regard. La haine et la honte se mélange en un cocktail explosif que je dois contenir. Quelque part au fond de moi, quelque se dessèche, se racornit à chaque fois. Je contiens tout avec une expression fermée.

"J'espère que tes pieds vont saigner.

Crétin. C’est ce genre de phrase qui font de lui cette personne exécrable. Il ne se contente pas de se moquer des plus faibles comme la plupart des harceleur. Il y a quelque chose de pourri et de cruel dans le fond. Un puit d’ignorance et de méchanceté. J’attends qu’il ait le dos tourné pour lui lancer un regard noir et me promettre que ma vengeance sera terrible.

Je crois que le pire là-dedans c’est qu’il avait ruiné ma tentative de faire un pas en avant. C’était ce que je récoltais pour avoir essayer de sortir un peu de ma zone de confort, de ce déguisement que je portais.

Ca t’apprendra, Bertram.


Et maintenant j’étais furieux envers ce crétin et furieux envers moi-même. A quoi je pensais ? Je devais me débarrasser de tout ce qui pouvait m’atteindre. Et pourtant dernièrement, je me sentais poussé vers cette frontière que je ne devais pas franchir. Cet interdit qui devenait de plus en plus tentant...Et tout ça à cause de qui ?

Tu lances une mode, Bertram ?

Une question qui ressemblait à une autre moquerie si seulement je ne connaissais pas l’individu au sourire charmeur qui se trouvait devant moi. Je ne doutais pas une seule seconde de l’innocence de sa question, néanmoins je n’étais pas dans le meilleur état d’esprit pour lui répondre avec un large sourire. Je me penche, laissant mes longues mèches tombantes masquer mon visage alors que je pointe ma baguette vers mes chaussettes. Ma mâchoire se serre alors que je lui répond d’un ton détaché que je dois forcer.

Hmmm. Non.

Ces dernières retrouvent une couleur noire parfaitement normale. Au moins l’humiliation en sera réduite. Je m’autorise un soupir avant de relever la tête. Mon regard se pose sur le serpentard alors que le couloir se vide, partagé entre la honte d’être vu de cette manière et la satisfaction de le voir, un peu en tête-à-tête. Malgré tout le bon sens dont je pouvais faire preuve, je ne pouvais pas nier qu’il m’avait manqué. Oui, je sais, j’ai la possibilité de l’apercevoir en cours...mais c’était pire. De le voir tous les jours et de ne pas pouvoir lui parler ou passer du temps avec lui comme je l’entendais.

Mais bon, vous voyez ce qui se passe quand je me laisse aller…

Je replace une mèche derrière mon oreille alors qu’ il s’inquiète de ma chaussure manquante.

Et bien, Yannis Damon a trouvé qu’elle ne méritait pas d’exister. Donc il l’a fait disparaître... Je pourrais dupliquer celle qui me reste, mais je me retrouverais avec deux pieds droits.

J’énonce ce fait d’un ton nonchalant presque enjoué. Mon sourire hypocrite ressurgit, ma meilleure défense. Le mot en C me traverse l’esprit.  Je ne parvenais pas à comprendre comment ces deux là pouvaient être amis. Je lui aurais bien posé la question, mais je ne pouvais pas le faire sans exprimer à haute voix mon mépris pour son ami. Autant profiter de ce moment pour changer de sujet.

Bref. Comment tu vas ? Ca fait un moment qu’on a pas eu l’occasion de discuter ou de...faire quelque chose.

Pas depuis les balcons.

Ce n’est pas un reproche - juste une constatation. Je suis plutôt content de pouvoir lui parler un peu et j’aimerai le relancer sur cette bucket list.

Cette brûlure cuisante à l’égo, cette fumée âcre qui monte dans ma poitrine s’apaise un peu avec la présence de mon ami. S’apaise mais ne s’efface pas. J’aurai préféré qu’il ne m’aperçoive pas dans cet état de pseudo faiblesse. J’aurai préféré ne pas avoir eu cette idée débile. Mais c’était trop tard maintenant, donc je dévie la conversation vers un sujet plus agréable, mais aussi plus sensible. Il m’avait bien secoué ce soir-là, malgré les jours qui s’étaient écoulés, il avait laissé son empreinte dans ma mémoire. Ca avait bousculé ma façon de penser, mon quotidien, plus que je ne souhaitais l’admettre. L’éclat de son rire se réverbère sur les murs de l’étage.

Ca va... Je suis un homme occupé, que veux-tu.

Une excuse dont je ne doutais pas de la véracité mais je voyais mal Beckett prendre de l’avance sur son travail et ses examens, son temps devait être occupé par des choses plus triviales. La vie de fauteur de trouble n’avait rien de reposant apparemment. Et puis il avait certainement dû passer plus de temps avec Nassim… Une pointe de jalousie me transperce que je repousse avec un peu de bon sens. Si j’avais voulu, j’aurai pu le contacter davantage. S’il l’avait voulu, il aurait probablement fait de même.

En d’autres termes après cette soirée sur les balcons, je supposais que dès le lendemain tout était revenu à la normale pour lui. Il paraissait à peine affecté par les évènements, pas de changements de comportement. C’est ce que j’avais pu observer, c’est ce qu’on m’avait rapporté. En d’autres termes je pouvais soupirer et laisser tomber. C’était comme si rien ne s’était produit. Rien du tout.


Pfff. Ce n’est pas comme si ça avait de l’importance, si ?

J’aperçois ses mains glisser dans ses poches. Masquer ses mains c’est un signe d’embarras ou de mensonge. Je le sais, je le pratique à ma façon. Ses yeux verts me transpercent alors qu’au coin de ses lèvres pointe un léger sourire.

Ca te manque, c'est ça ?

Et là, il y a de nouveau ce tremblement, cette pression. Avec tant de facilité, il parvient à traverser mes défenses pour toucher du doigt le point sensible. Tel un musicien espiègle, à jouer avec mes cordes pour produire une mélodie.

Et malgré tout le bon sens dont je peux faire preuve, toute la pragmatique et la logique du monde ne me défend pas contre cette attitude que je trouve...adorable. Mon premier instinct est de nier, bien entendu. Quoi ? Non...pff, pas du tout, je suis un homme occupé aussi. Sauf que quelque chose me retient. Cette promesse que je me suis faîte. Celle de ne pas regretter. Celle de ne pas rejeter Beckett. Si je faisais semblant d’en avoir rien à faire serait-il vexé ? Peut-être qu’il me laisserait davantage d’espace et de temps….ce que je ne souhaitais pas.

Dans ces tergiversations avec moi-même, je gagne du temps avec ma stratégie de politicien : répéter la question. Mes mains glissent derrière mon dos.

Ah ? Est-ce que ça me manque ? …..

C’est donc une réponse moins préparée, moins formatée que je lui fournis. Mais un choix que je ne tarde pas à justifier très rapidement.

Et bien...oui. Et j’aurais bien besoin d’une distraction, surtout maintenant.

D’un air mauvais je lui remontre la chaussure désormais orpheline. C’est qu’il m’ennuie profondément ce serpentard. Lui aussi, ses actions ont plus d’impact sur moi que j’aimerai. Je déteste cette sensation, celle qu’il puisse me faire du mal, me faire sentir...honteux. Je déteste lui donner ce pouvoir, cette importance.

 Tu peux toujours m'aider avec mes devoirs. Et on pourrait définir notre prochaine sortie...Je me demande si je peux négocier le mot de passe de la salle de bain des préfets si on gagne ce match...

Ah oui.. La salle de bain des préfets. Entre temps j’avais eu l’occasion d’y faire un petit tour, une pity party après nos deux matchs complètement échoués. Je crains que lui avouer n’entame son enthousiasme sur le sujet. Je me garde donc bien de lui dire - quitte à confesser cette omission une fois les pieds dans l’eau.

J’esquisse un sourire innocent, me surprenant d’employer un ton si enjoué :

Ne serait-ce pas agréable de s’y relaxer après un match éprouvant, hm ? Surtout si tu mènes ton équipe à la victoire. Ca te fera une motivation supplémentaire - pas que tu en aies besoin, bien sûr.

Je lui avais promis, non ?

J’avais hâte de le voir en action. Et son message après cette défaite m’avait surpris et surtout réchauffé un peu le coeur. Bon, pas au point d’aller ouvertement supporter l’équipe de Fenry Williams...il ne fallait pas exagérer. J’aimerai pouvoir annoncer que je redoutais le moment où nos équipes devraient s’affronter - mais ce n’était pas le cas. Serdaigle était hors de la course sur tous les points. Mathématiquement parlant, nous n’avions aucune chance. Ce n’était pas une raison pour leur rendre le travail facile, loin de loin. J’attendais avec impatience le jour où je pourrais lui montrer de quoi j’étais capable.

Ensuite, je fronce les sourcils, réfléchissant sérieusement à sa proposition. Il y avait quelque chose à en tirer. Pensif, je croise les bras, touchant mon menton du bout des doigts. Mon regard se perd.

Hmmm…T’aider avec tes devoirs...Ca pourrait nous faire une bonne couverture pour pouvoir parler librement. C’est pas bête.

Comme s’il était capable d’élaborer un plan aussi complexe juste pour ça.
Il aurait simplement demandé.

Ca avait du sens.Bertram Godfrey ne refuserait jamais d’aider quelqu’un dans le besoin et d’étaler sa supériorité sans une bonne raison. Je plisse les yeux en fixant le serpentard.

C’est pas mal comme plan. J’accepte de t’aider. De t’aider, pas de te laisser recopier sur moi !

J’insiste. Pas question de me faire entourlouper ! Je maintiens une expression sérieuse et sévère avant de la briser avec un léger sourire et de soupirer un peu. J’espérais justement trouver un moyen de pouvoir traîner avec lui en public. En voilà un. De plus, j’avais eu une autre idée avec les méfaits. Une autre façon de se retrouver. Doucement, je me sens m'animer d'un enthousiasme, d'une malice innocente. Mon coeur me paraît plus léger et mes sourires ne sont plus forcés.

Je pensais justement qu'on aurait probablement besoin d'un lieu où se retrouver...un QG secret en somme. La salle sur demande, si on parvient à l'ouvrir, devrait posséder tout ce que nous cherchons.

Ce mot plein de promesse, je le prononce à voix basse. QG - quartier général. Il m'inspirait des cartes, des ordinateurs et autres gadgets. En bref, l'essentiel pour l'aventure. Le rêve de tout gamin.

Sa phrase tombe comme un verre brisé sur le sol.

 Qu'est-ce qui te retient de me parler librement ?

Une bonne question que j’aurai préféré éviter. Je pense que Beckett n’a jamais apprécié les non-dits. J’envie cette façon simple qu’il a d’adresser directement les problèmes. En les regardant droit dans les yeux.

Hmmmm….

Je naviguais dans des eaux dangereuses, constellées d’écueils.Un faux pas et je pouvais le blesser. C’est une tâche délicate que de ramasser les morceaux de verre laissés par cette questions. Je pouvais très bien m’y couper. Un faible sourire hypocrite pour lui faire croire qu’il s’agit d’une simple formalité. Caché derrière le masque, je tente de le convaincre :

Tu sais, on doit essayer de garder nos escapades secrètes. Mais tu réalises à quel point ça peut paraître suspicieux si on commence à se fréquenter comme ça, sans aucune raison ? Pour l’instant, il est judicieux de faire comme d’habitude. Comme avant. De plus, ça te permet de me garder, comme un atout, caché dans ta manche. Tu connais ma réputation, lorsque les professeurs et les préfets te croient sur parole, ça peut aider, tu ne crois pas ?

C’était alambiqué - mais c’était ma façon de voir les choses. Tant que le secret n’était pas révélé, il était inutile de se montrer. Tout le monde se poserait des questions. Vous trouvez ça lâche ? Sournois ? Pour l’instant j’étais un atout qu’il pouvait utiliser. Et tant que ma réputation était intacte, je tenais à la garder. Ne pas jeter à la poubelle des années de travail. Et c’était comme ça, que sans le réaliser, je lui donnais la permission de m’utiliser. Comme une carte piège, un joker.

Mon complice déchante vite lorsque je lui fais comprendre qu’il va devoir y mettre du sien. What did you expect ? Je relève le menton, confiant alors que  je rétorque avec audace :

Tu verras, tu me remercieras plus tard.

Recopier c’est facile mais on n’apprend rien. Le pauvre Beckett risquait de se trouver bien dépourvu le jour des examens venu. Sauf si je pouvais l’aider à étudier et faire ses devoirs - alors la fin de la fable pourrait changer à son avantage. Le serpentard semble hésitant sur cette histoire de salle sur demande avant de se prononcer en sa faveur.

Je ne comprends pourquoi tu adores cacher des trucs... Ca n'apporte rien. Mais si c'est ce que tu veux, ça ne me dérange pas plus. Bibliothèque, salle sur demande...S'il y a des canapés dans la salle sur demande, là, ça devient intéressant.

Ouf. Au moins j’avais gagné du temps. Il ne comprend pas ce qui se passe, mais le tolère. Tant mieux. Je ne voulais pas envoyer à la poubelle tout ce travail pour quelqu’un que j’allais certainement finir par ennuyer à mourir.  Car si je voulais être sincère, le taux de chance que ce partenariat réussisse avoisinait les 0%. Sur le papier, nous étions trop opposés. Beckett était imprévisible. J’essayais de limiter les dégâts du risque immense que je prenais...juste parce que..

J’étais curieux. J’avais envie.
Parce que jouer avec Beckett, c’était comme jouer avec un adversaire dont je ne pouvais prédire les mouvements.
C’était excitant et nouveau.
Et aussi un peu dangereux.

Le coin de mes lèvres s’étire en un léger sourire. Encore un petit coup de pouce pour le convaincre :

Le principe de la salle de demande, c’est qu’elle est censée contenir ce que tu désires. Alors si tu veux des canapés, il y aura des canapés….Peut-être même qu’il y aura des snacks.

Je baisse les yeux vers mes pieds.

Ou une paire de chaussure à ma pointure.

Je relève la tête.

Bref toute la difficulté réside dans son apparition. On peut toujours essayer et si ça échoue retourner à la bibliothèque. De toute façon je vais devoir repasser par le dortoir chercher des chaussures....

C’était certain, je ne pouvais pas rentrer dans la bibliothèque comme ça, j’allais me faire sortir illico.

C’est alors qu’il me fixe, comme s’il venait de réaliser soudainement quelque chose d’important. Je lui lance un regard désabusé. C’est une blague ? Il ne tient pas son agenda à jour ?

Tu plaisantes, j’espère ?

Je retiens difficilement l’envie d’être désobligeant. Par Merlin...je n’étais pas au bout de mes peines avec celui-là. Je soupire.

On a des devoirs en bota, en potions et en rune. Tu n’as pas oublié quand même ?

Deux potions à réaliser ( philtre de mort vivante et wiggenweld), une dizaine d’enchantements à préparer et une dissertation sur les différences entre le filet du diable et le voltiflor.

Voilà qui me laissait profondément perplexe pendant un instant. Il ne voyait vraiment pas l’avantage que je pouvais lui fournir ? Juste parce qu’il ne voyait vraiment pas l’intérêt ou bien parce qu’il trouvait que j’étais inutile ? Vraiment étrange comme façon de penser. Un peu blessant aussi. Si j’étais inutile alors pourquoi….Bref, je coupais là toute réflexion avant que cela ne tourne en rond - je ne pouvais pas prétendre connaître les mécanismes complexes de son fonctionnement.

Mais à l’avenir je comptais bien lui montrer à quel point il avait tort.

Bota, potion et... Helvitís.

Ce dernier mot, devenu familier à force de le fréquenter m’arracha un rictus. Donc les runes étaient sa faiblesse. Les runes et l’organisation de son travail, de toute évidence.

Hmhm. Pour demain ?

Je le jauge du regard. Il se moque encore de moi ou bien…? Non, il est vraiment perdu, pauvre petit agneau.

Mais comment il a réussi à arriver jusqu’en huitième avec une éthique de travail pareille ?

Beckett n’était pas inepte, ça je le savais, mais quand même. J’imagine qu’il devait tout miser sur ses examens pour avoir des notes acceptables.

Euh..Potions et runes pour lundi. Bota pour mardi. On est vendredi, Beckett.

Au moins il a l’air de s’intéresser à ces devoirs oubliés. N’importe quel autre fauteur de troubles les aurait balayés du revers de la main sans même essayer. Mais une fois de plus, Beckett avait atteint la huitième année sans accroc - ce qui signifiait que lorsqu’il voulait travailler, il pouvait vraiment s’y mettre. On se trouvait donc loin du cas désespéré. Beckett avance vers moi. Je me redresse et soutiens son regard, ses iris verdoyants plus proches que d'habitude. C’est plutôt bon signe, ce pas en avant en terme de body language. A moins qu’il ne compte me menacer. C’était aussi une option, mais plutôt venue de nulle part étant donné les circonstances.

Aide moi. On commence par quoi ? Tes chaussures ?

Il demande, non il ordonne de l’aide sans le moindre complexe. Je plisse légèrement les yeux alors que je glisse une phrase mesquine en prenant un air tout à fait sérieux :

Tu veux mon aide ? Je croyais que je n’étais pas un atout.

Pas assez bien pour Monsieur Campbell, hein ? Tssss

Je n’avais pas l’intention de le faire aller plus longtemps, évidemment que j’allais lui venir en aide. Pourquoi cracher sur cette opportunité ? Mes lèvres s’étirent en un sourire amusé, alors que je pose ma main sur son épaule - en profitant pour rétablir la distance appropriée entre nous.

J'avais peur de ce magnétisme qu'il pouvait exercer sans le moindre effort.  

T’en fais pas. Je vais t’aider.

Mais main retombe pour ajuster mon sac. Mon regard se baisse vers mes chaussettes. Il était temps d’agir et vite.

Je vais m’occuper d’aller chercher des chaussures. Toi, va chercher ton matériel si tu ne l’a pas et retrouve-moi à la bibliothèque….Tu auras besoin des dictionnaires de runes.

Je disais bien “tu” car mon devoir de runes était déjà terminé. J’avais l’intention de m’occuper du reste demain.