Tournée justicière achevée, ceux enfreignant le règlement renvoyés aux lits, tu quittes une dernière fois la tour des rouges et or dans un but plus divertissant. Le froid enveloppe tes épaules dénudées, caresse tes omoplates tatouées, effleure ton ventre exposé, seule une serviette accrochée à tes hanches te prévenant de la nudité. Tes pieds nus heurtent les dalles froides, agréables, plante des pieds rafraichie comme jamais, alors que quelques produits sous le bras, tu te diriges vers le bain pour te détendre délicieusement.
Hantise de la rave un peu éloignée, la colère retombée s'est transformée en peur, alors que Age avait été kidnappée, torturée, malmenée, et que lorsqu'elle fut enfin retrouvée, tu avais failli ne pas la reconnaître, pensées chaotiques et brouillées, éventail de chevelure annihilé. La haine aurait pu t'alimenter, mais le soulagement t'avait épuisé, et désormais tu ne voulais rien de plus que te reposer et oublier ces horribles évènements enchainés qui t'avaient poussé dans un désespoir rempli de débauches et d'atrocités. Absence de reconnaissance de soi suintant de tes pores comme un fiel malsain, tu ne savais plus où te trouver, ni même comment y arriver, espoir brisé et effondré comme ton cœur désarticulé probablement en voie à la pourriture qui possédait la cage de tes côtes dans son entièreté.
Silence nocturne, seule la lune éclaire les couloirs, Selene hantant tes pensées quelques instants, déesse lunaire aux cheveux noirs comme la nuit qui semble accompagner chacun de ses pas. Mais ta tête se secoue, tu veux juste vider ton esprit habituellement possédé par les pensées d'autrui, les siennes par moment, celles de Hyacinthe de temps en temps. Lèvre mordue alors que tu contemples la déchéance de tes mœurs comme si tu n'étais qu'un spectateur vagabond et effaré, terrifié par tant de débauches, dégoûté de l'acteur de ces actes, irrespectueux de la chair et de l'âme.
Les pieds tournent dans le couloir et s'arrêtent, silhouette aperçue bien au-delà des heures règlementaires, cheveux bruns pourtant clairs semblant pétrole dans l'ombre. Le cœur rate un battement, mais la reconnaissance est rapide alors que tu guettes ses pensées, car tu l'a reconnue sans t'en rendre compte, avant même de l'apercevoir, conscient mais esclave de ton esprit embrumé.
Regret.
Murmure délicat alors que tu t'avances lentement vers elle, ta tête se penchant vers le côté, prêt à l'écouter, sourire bienveillant sur les lèvres, car elle semble être là pour te sauver d'être damné.
Que fais-tu là ?

Ses yeux te dévisagent, t'oscultent, et tu ne sais comment réagir pendant ces quelques secondes de flottement, où son regard vagabonde sur ta peau, sur ta chair exposée. Tes lippes s'entrouvrent mais rien n'en échappe, immobilité soudaine incompréhensible qui s'efface au moment où Regret sourit, où Regret s'élance. Tes affaires échouées sur le sol, tu l'accueilles dans tes bras, l'enlace fort, n'ayant même pas besoin d'être à l'écoute de ses pensées pour savoir.
Pour savoir qu'elle a eu peur pour toi.
Cela te réchauffe le coeur, cette sensation d'être important pour quelqu'un, d'être important pour elle, et tes mains caressent tendrement ses cheveux, son dos, gestes rassurants et chaleureux.
Je suis là. Tout va bien. Je vais bien.
Tes lippes rencontrent son front que tu embrasses délicatement, tes paumes se posent sur ses joues pour la regarder, lui sourire, attendri par son innocence et sa candeur.
Tu sais que les élèves n'ont pas le droit de traîner aussi tard dans les couloirs ?
Un rire s'échappe d'entre tes lèvres et tu t'écartes un peu, ramassant tes affaires et la saisissant par la main. Tu t'avances vers la gargouille bloquant l'accès aux bains, lui murmure le mot de passe si précieusement gardé par les préfets, avant de faire entrer Regret à ta suite dans l'immense pièce aux lumières délicates se répercutant sur des centaines de robinets d'or. Vos pas communs résonnent à peine dans le silence enveloppant la pièce et tu te tournes vers la bleue et bronze, légèrement amusé par les circonstances.
Tu veux prendre un bain ?
En rien une obligation, ta voix laisse entendre qu'elle n'est guère obligée d'accepter. Après tout, personne ne viendra ici ce soir excepté vous deux, et ça peut être un endroit agréable où vous pourriez juste vous reposer, vous détendre, dans un silence commun qui vous est habituel et qui te manque légèrement.
Voile qui passe dans les yeux alors que tu te souviens de tout ce qui s'est passé, tu tentes de chasser la douleur dans tes iris de tes paupières, juste pour réaliser qu'au final, tu n'y arriveras jamais, et que toute cette peine, cette horreur qui te hante toutes les nuits, ne te laissera jamais en paix.
Mains liées qui se défont, tu réalises que tu ne veux pas la salir elle, que tu ne veux pas que Regret soit confrontée au monstre que tu es.
Mais sauras-tu être assez altruiste pour l'éloigner ?