Le Lac Noir clapotait tranquillement dans un coin de la vision périphérique de Clay, alors qu'elle prenait le chemin – non pas le plus court, mais certainement le plus discret – de celui-ci, sac à dos plein à craquer de son équipement habituel. Elle avait vaguement mal au ventre, et ses mains tremblaient un peu, comme à chaque début de chasse, mais cette fois-ci, son inquiétude se trouvait autre part. Si elle était certaine des capacités d’enquête de Rémus avec lequel elle avait déjà exercé, elle connaissait beaucoup moins Mirza, et se demandait, vaguement sinistre, si il n'allait pas plutôt lui servir d’appât vivant plutôt qu'autre chose. Ou les mettre en danger. Ou juste venir, se moquer d'elle et repartir, ce qui représentait une crainte beaucoup plus rationnelle et raisonnable que les deux précédentes, mais certainement pas celle qui impliquait le plus de danger.

Et il semblait réellement s'intéresser, au vu des échanges qu'ils avaient pu rapidement avoir. Jamais seuls, jamais vraiment de visu, il était vrai, mais il semblait avoir fait des recherches consistantes sur le sujet de leur quête du jour. De toutes manières, il était exclu qu'elle passe à coté d'une rumeur pareille. Si il y avait un Ancien dans le lac noir et qu'il s'était réveillé, il fallait absolument qu'elle aille voir ça de ses propres yeux, homme à la truite ou pas homme à la truite dans ses pas.

Une fois arrivée sous un bosquet à l'abri des regards, elle respira un grand coup. C'était certainement le pire moment à passer avant d'aller chasser. Elle détestait qu'on la voie. Elle détestait le fait de se déshabiller. Elle détestait ne serait-ce que l'idée de se retrouver dans son plus simple appareil face à Mirza qu'elle ne voyait d'ailleurs pas. Est-ce qu'elle était en avance ? Impossible. Elle avait passé bien trop de temps a calculer la longueur de papier aluminium nécessaire (« emprunté » d'une manière définitive chez « Slushee Shack, des slushees pour la vie », afin de compenser une paye minable) et à tenter de replier le surplus pour se faire un genre de maillot qui lui permettrait de ne pas avoir à mener ses tribulations fesses au vent.

Mirza ou pas, il fallait y aller. Avec un grognement discret, elle retira ses chaussures et fit glisser ses  chaussettes qu'elle rangea dans son sac, avant de retirer son chemisier. Merci, Seigneur, pour l'invention du sous pull et des maillots de corps qui permettaient de ne jamais se trouver dans des situations embarassantes telles que « a poil dans les fourrés » .Grande inspiration. C'était le moment.

Elle crut percevoir un instant un son, quelque chose, mais se ravisa, le regard concentré. Elle ne trouverait jamais preuve de ce qu'elle avançait si elle passait son temps à prendre les petits oiseaux pour des aliens déguisés. Elle était tout de même capable de faire preuve de sérieux, et savait pertinemment que les envahisseurs n'aimaient pas les oiseaux. Avec un remarquable manque d'envie , elle retira d'un coup son col roulé et le remplaça par sa brassière faite maison.

Clay songea un instant qu'elle était ravie de ne pas avoir de miroir en face d'elle, et que la recherche de la vérité était une maîtresse remarquablement exigeante qui manquait tout de même un peu de style. A moitié déguisée en un genre de Barbarella ufologue, elle constata a son grand déplaisir qu'elle avait encore surestimé la taille de sa poitrine et qu'elle nageait un peu dans l'assemblage. Pourquoi n'était-elle pas conçue comme toutes les dames dans les magazines ? Ne serait-ce qu'un tout petit peu ?

Elle devrait se poser la question à un autre moment. Un son bien plus  proche d'elle venait d'attirer son attention. Quelqu'un qui courait, peut-être derrière elle ? Oh non. Est-ce que le monstre qu'elle traquait l'avait trouvée avant elle ? Elle n'était même pas tout à fait prête. Elle n'eut même pas le temps de se cacher dans les fourrés que la créature, comme un boulet de canon, vint la cueillir en plein milieu du ventre, manquant de la faire tomber. C'était maintenant. C'était la fin. Elle le sentait. Elle était vulnérable, et ne pourrait pas se défendre, ses petits poings ne servant à rien dans cette situation. Avec un goût métallique – celui de la peur – dans la bouche, elle se prépara a serrer ses mains autour du cou de son assaillant, avant d'entendre son cri effroyable. Effroyable ?

Par Merlin, c'était Mirza !
Elle leva les bras au ciel en signe de désarmement. Est-ce qu'elle avait vaguement tenté d'étrangler son camarade de maison ?

« Mirza. Qu'est ce que... ? »

Il avait l'air essouflé. Et potentiellement un peu paniqué. Il avait eu quelque chose à ses trousses. Quelque chose comme...

« Tu l'as vu ? Bon sang, tu as vu l'Ancien. Forcément. Tu as du courir suffisamment vite pour lui échapper, et la cape a du le déstabiliser. »

Elle le regarda de haut en bas, avant de raisonnablement décider de concentrer son regard sur son visage. Est-ce qu'il n'avait pas mis de slip ? Il n'avait pas mis de slip. IL N'AVAIT PAS MIS DE SLIP ET IL AVAIT SA...SA CHOSE JUSTE LA LA. Du calme. Du calme. Du calme.

« J'ai un rouleau de papier aluminium supplémentaire dans mon sac. Je vais te le donner pour que tu puisses te...enfin... être plus confortable. Et moi aussi. Pendant ce temps je vais finir de me changer, puis on y retournera. Regarde ailleurs. »

Sans attendre de réponses, elle se hâta de trouver le coin le moins visible du bosquet et de finir sa tenue, en jetant des coups d'oeil discret pour voir si il ne l'épiait pas. Et quelques instants plus tard, elle sortit, cape flottant au vent et parties intimes couvertes d'aluminium, tel un genre de reine de l'espace d'un film directement disponible a la location dans le vidéoclub le plus proche de chez vous. Avec un air sérieux, elle tendit la touche finale à Mirza.

« Et voici ton masque. Histoire qu'on ne finisse pas sur le stupeshit. Les autres ne comprennent pas. »

Un petit loup argenté vint de fixer sur son visage à son tour, et elle planta ses mains sur ses hanches avec tout le sérieux du monde.

« Maintenant, en route. Nous avons un Ancien a débusquer. »

Clay fronça les sourcils a la mention de l'Ancien du lac. Alors il l'avait vu... Elle avait besoin d'un peu de temps pour réfléchir, et elle retira en vitesse le reste de ses vêtements avant de reparaître, son loup en main. Est-ce que tout cet équipement suffirait à contrer l'immense créature qui résidait là. Elle approuva d'un mouvement de tête l'enfilage du masque : Mirza était discipliné, et c'était une bonne chose. On ne pouvait pas se lancer dans une entreprise d'une telle envergure en fonçant tête baissée, et elle se chargerait de fournir les bases une fois que les situations se présenteraient. Et accessoirement, elle était ravie qu'il ait couvert son engin de papier aluminium, tant pour son confort a lui que le sien: elle n'était pas une habituée de la nudité masculine, et la seule expérience dans le domaine qu'elle avait un jour pu avoir était un visionnage particulièrement étrange d'une parodie pornographique avec sa colocataire au foyer. Si Leslie avait été fascinée par l'anatomie masculine déjà à cette époque (et Clay songea rapidement que ça ne s'était pas arrangé avec le temps, au vu de son train de vie actuel), la Serdaigle avait tout bonnement trouvé ça grotesque et vaguement glauque, et en avait profité pour se jurer de ne pas voir le loup avant un bon moment. Ce qui était paradoxal, au vu des masques fournis. Le loup sur le loup. Elle se trouva drôle, pour une fois, et garda la réflexion dans un coin de sa tête.

Un silence confortable s'installa alors qu'ils trottèrent dans leurs tenues spatiales vers le lac et le dernier endroit d'apparition de l'Ancien, et elle goûta avec plaisir le calme apparent de l'endroit. Mais Mirza avait envie de communiquer, et elle manqua lui demander brutalement de se taire pour qu'elle se concentrer, avant de réaliser qu'il n'était pas en train d'amorcer quelque chose de vide de sens. Au contraire, il semblait vouloir échanger sur le sujet des aliens, et elle leva un sourcil, quelque peu surprise. Il s'était renseigné. Plutôt bien, même. Elle prit un temps de réflexion, avant de répondre, mais esquissa un petit sourire. Si jamais tout ceci était une vaste blague, elle était très élaborée, mais un fond d'intuition la fit écarter cette hypothèse. Il avait l'air trop sincère et enthousiaste pour mentir, et il s'était plié a toutes les précautions que le commun aurait désignées de ridicules.

"Effectivement, ils le peuvent. Et c'est là que tout devient étrange. Entre eux qui peuvent se reproduire avec l'espèce humaine, les Nordiques, et les hybrides... On peut se demander l'espace d'un instant si nous ne provenons pas tous du même endroit. Enfin..."

Elle regarda derrière elle, comme pour s'assurer qu'ils étaient seuls. Pas question d'avouer a la terre entière ses croyances sur le sujet.

"Je ne sais pas trop quoi en penser. Ce serait logique, d'un coté, d'un point de vue purement génétique. Mais d'un autre... Les civilisations et comportements semblent vraiment différents. Et je ne comprends pas pourquoi le gouvernement chercherait à nous cacher une information aussi précieuse. Je ne sais pas si tu as un avis sur le sujet...?"

Elle stoppa net, quelques instants plus tard. Quelque chose avait bougé. Dans les roseaux, là bas. Elle sentit son estomac se contracter, signe ineffable d'une peur naissante. Est-ce que ça pouvait être l'Ancien? Il fallait un plan, et un plan rapide.

"Mirza. Je vais aller voir. Tu restes ici, et tu me couvres si jamais ça tourne mal. Ne retire ton masque sous aucun prétexte, d'accord? Et si jamais ils viennent sur toi parce que j'aurais échoué, pense a la chose qui te mette la plus en colère au monde. Si jamais tu es croyant, invoque le saint de ton choix. Et si jamais ça ne marche pas, visualise une boule de lumière vrombissante dans ton esprit. Je compte sur toi."

Clay lui adressa un regard qu'elle voulait rassurant, et se dirigea vers les roseaux qui avaient bougé, en mobilisant par avance les techniques de défense qu'elle connaissait. Il lui aurait fallu de la colère, dans l'idéal, mais le temps qu'elle avait passé à se défendre seule avait eu raison de tout ce qui pouvait la contrarier à ce point. Il faudrait donc passer directement à la sphère blanche, qu'elle garda dans un coin de sa tête. A quelques centimètres de ceux-ci, elle s'arrêta, avant de réaliser qu'elle avait peur. Très peur. Mais si jamais elle avait raison, alors rien ne devait l'arrêter.

D'une main ferme, elle écarta les roseaux d'un coup sec.

Quelque chose jaillit du buisson, en direction de son visage, et elle poussa un grand cri strident.

"MIRZAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA!"

Aveuglée par la panique, elle tomba à la renverse. La boule dans son esprit avait été brisée, et elle était à la merci de la menace qu'elle n'avait même pas eu le temps d'identifier. Elle était sans défenses.