a falling light // achille

M Il n’y avait pas un jour, pas une heure, pas une minute sans qu’elle ne rumine sa mélancolie, son mal du pays. Elle traîne des pas dans les allées exérieures, comme une âme en perdition prête à déverser ou rage, ou chagrin, sur quiconque croiserait son sillage. Or, en cette heure matinale, par tant de vent et de pluie, nul quiconque à l’horizon ! C’est donc sur les cieux, lourds de leur grisaille, qu’elle jette son regard amer.

L'Écosse est un pays imbécile où jamais il ne fait beau - du moins, jamais assez. Comme elle aimerait s’étendre sur un lit de sable chaud, se laisser bercer par le chant régulier des vagues… Comme elle aimerait sentir les effluves d’agrumes, de cigare et de rhum… Comme elle aimerait entendre les voix nasillardes des vieux de la Havane…

Allons, Riri, haut les coeurs !

Qu’importe les formes et les couleurs de ces terres, elles sont pourvues de beauté ! - et, dans un sens, comme le monde se relie à lui-même, ces terres sont reliées aux siennes - en ça, peut-elle se conforter un tantinet. Ainsi, le sourire naissant, elle emprunte le sentier menant à l’un des parcs, au sud de la bâtisse principale.

À chacun de ses pas, son humeur s’améliore. Ses yeux se posent sur la rosée couvrant l’herbe - Oui, c’est joli, je l’admet. - ils dévient jusqu’au faible jaune pâle des rayons striant les branches des chênes bordant le chemin - Ça aussi, c’est joli, très joli même… - cherchent le chant discret et cristallin des mésanges bravant la brise - Ça aussi… Ainsi se réconcilia t-elle avec l’Écosse.

Sa mélancolie et son mal du pays chassés, son sourire peut enfin s’élargir jusqu’aux oreilles. Là voilà ! La vraie Cesaria ! Guillerette lorsqu’elle pénètre le parc à la recherche d’un banc sur lequel savourer un moment de paix - dans sa poche, attend patiemment un roman d’aventure de Jules Verne.

« Voyage au centre de la Terre » - oh elle l’a déjà lu au moins dix fois mais ne s’en lassera jamais. Elle s’imagine faire partie de l’équipe d’expédition, affrontant les dangers de ces dinosaures oubliés, examinant la composition de la forêt de champignons géants ou prenant un bain de chaleur aux côtés d’une cheminée volcanique.

Cependant qu’elle va pour s’asseoir, son attention saute sur une silhouette floue à une trentaine de mètres au loin. Chapeautant sa vue d’une main - comme si pareille visière pouvait l’aider à mieux distinguer le lointain - elle cède finalement à sa curiosité.

En quelques enjambées, la voilà devant un jeune homme aux airs de chien sauvage. Elle le reconnaît. Achille. Un étendard de leur maison - l’illustre exemple du courage, de la force et de l’attractivité des Gryffondors. Si elle ne lui a jamais parlé, elle sait combien il est apprécié.

Ses qualités, fraîchement citées, n’ont pas l’air d’être effectives présentement - bien au contraire. Il semble sur le point de mordre, ou d’aboyer ? On dirait vraiment un chien sauvage. Sa poitrine se serre - allez savoir pourquoi, Riri ne supporte pas de voir quelqu’un mal en point. Bizarrement, cela lui fait d’autant plus de peine et de mal que ce quelqu’un soit Achille.

Admirer une statue grecque, parfaite jusqu’au plus petit de ses traits, jusqu’à la plus fine rainure de son marbre pour ensuite lui découvrir une tâche noire, une crevasse d’érosion - telle est la meilleure description que je puisse faire de cette peine et de ce mal qu’elle éprouve.

Instinctivement, elle se penche, colle ses mirettes sur l’horizon des siennes. Achille, c’est ça ? Tu… Que t’arrive t-il ? Soigneusement, elle évite de le toucher même si l’envie de poser une main sur l’une de ses épaules la tiraille avec force. Dieu sait combien, dans ce genre d’état, nous sommes sensibles - un toucher, si innocent soit-il, peut devenir plus irritant qu’une piqure de guêpe.

Mh.

N’empêche, elle a foutrement envie de poser cette fichue main sur l’une de ces fichues épaules.