circling these vultures; tess

L’histoire de Tess c’est d’abord et avant tout celles d’autres encore. Tess est un patchwork, une mosaïque, de sorte que s'il vous prenait un jour l’envie de la dépecer, d'une il faudrait vous poser de sérieuses questions sur votre constitution mentale, de deux vous pourriez aisément rendre à César ce qui lui appartient, décelant en elle chaque parcelle d’êtres ayant dressé les pilotis de la Venise qu’elle est aujourd’hui.


“ERK! Mais c’est dégoûtant ! Qu’est-ce que tu fais ?” S’écrie une Tess toute hilare, agrippée à l’épaule de son frère.

Tess, c’est un peu le peuple du pays d’Oz; malléable et tendre encore à cet âge, elle n’est que trop empressé d’adorer son Oscar Diggs à elle. Le magicien c’est Xavier, l’ainé de ses trois frères. Il y a aussi Angus et Nils, mais, dans son égoïsme puéril, dira-t-on, elle ne les aime pas autant. Tess est la plus jeune de la fratrie, et elle n’en a jamais vraiment souffert. Certains la disent agaçante avec sa frange et ses dents de travers, mais bon sang, ce qu’elle est heureuse !

La patte de poulet se tortille au creux de la paume entrouverte, sous le joug de la baguette, et le petit public, composé de Tess et de deux cousins, Alfie et Margaret, rit de plus belle. Mais un cri offusqué échappe à Tess lorsque la curiosité, fraîche, tressaillante et glutineuse, vient s’écraser contre sa joue. Xavier semble très fier de sa farce et tout content des petits tours appris au cours de sa première année à Poudlard, et la petite fille, vexée, le pousse sans ménagement. Puis, les rires de la petite troupe la suivant comme un pyrrhocore en suit un autre, elle court se réfugier contre les épaules avoisinées de sa mère et de sa grand-mère.

Cette dernière s'est assise sur la plus haute marche du perron, après avoir déplacé le tas d’ardoises qui encombrait le jardin. Ça, pour une dame de soixante-quinze ans, elle ne manque pas de pêche ! Du coin de l’œil, entre deux cabrioles de volaille, Tess l’a vue extirper une cigarette (vous savez le truc pour les grands, là, qui sent pas bon) de son pantalon à pinces tandis que ses petits-enfants jouent plus bas avec les pattes du poulet fermier qu’elle a dépecé à coups de baguette un peu plus tôt— Tess l’a regardée faire et ça l’a un peu retournée, elle se doit de l'admettre.

Et elle écrase le mégot à la hâte quand sa fille — la mère de Tess — la rejoint; celle-ci est plus majestueuse encore avec le foulard sertissant son crâne. C’est une amazone à sa façon, une survivante, même si Tess ne comprend pas trop la maladie qui lui fait du mal et qui rend tout le monde un peu triste par moments. Il paraît que le truc qui sent pas bon en est une cause. Mais c’est si petit et frêle comme machin, que ce soit aussi dévastateur, Tess ne peut guère le concevoir. Mummy et Gran-Gran ont toutes les deux la mâchoire carrée, les pommettes hautes et le regard térébrant, témoins de leur prodigieuse aptitude à mener les troupes. Et il lui semble, à Tess, ne jamais les avoir vues aussi belles qu’en de tels instants. Volontiers, elle croit que le monde tout entier se tend, que les secondes s’étirent, c’est certain, pour s’attarder un peu sur leurs traits paisibles. Et alors qu’elle pèse doucement contre leur dos, toute humiliation oubliée et entourant leurs cous de ses bras encore potelés, un lézard se prélasse à quelques gravillons de là, oublieux des forces de la natures qu’elle sont, toutes les deux.

Derrière elles, la maison familiale, trop petite pour loger tout ce beau monde - tantes, cousins, amis, frangins… - sans la pléthore de sorts qui la grandissent et sans le refus catégorique des enfants de ne pas se barricader chaque nuit dans le grenier pour s’y endormir après des heures de jeux de société et d'histoires narrées par les plus grands. C’est un havre hors du temps, dans un océan sans côtes ni vagues, les gnomes au-delà y gagnant chaque jour des milles et des milles jusqu’à ce que l'entièreté du clan Holwick ne parte en vadrouille pour les en chasser à nouveau.


À six ans, Tess foule une piste d’escrime pour la première fois. Et elle déteste ça. C’est qu’elle est en premier lieu une bien piètre bretteuse. Ses charges et parades sont aussi maladroites que bâclées et elle est bien tentée de ne plus jamais y remettre les pieds. C’est sans compter sur l’insistance de son entraîneuse — médaillée des championnats du monde d'escrime — qui l’accompagne et dont elle suit encore les enseignements aujourd’hui. Tess lui en est profondément reconnaissante, ambitionnant d’atteindre la même excellence et, qui sait, d’un jour parvenir aux Jeux olympiques ?


Les Holwick sont pour la plupart des artistes. Albert Holwick, le grand-père de Tess, est un très bon conteur, dont la renommée n'est pas à la hauteur de son don, selon l'avis de la jeune femme. C’est aussi un grand monsieur assez impressionnant — un peu moins quand il ronfle bruyamment dans son fauteuil. Par contre quand il gronde, on dirait que la terre tremble. L’autre grand-mère de Tess, Agnes, était une talentueuse violoniste avant que son poignet, estropié, ne la prive de cette passion qu’elle cultivait depuis son plus jeune âge. C’est une dame un peu amère et effacée, mais elle reste un panier percé d’amour et d’attention pour ses petits-enfants. Elle occupe maintenant ses journées à redonner vie à de vieux livres, en les reliant presque religieusement. Les deux parents de Tess n’échappent pas à la règle eux non plus, tous les deux un peu poètes et mordus d’art. Sa mère est coordinatrice de projets et évènements artistiques, son père est à la tête d’une maison d’édition de livres sur le patrimoine magique Anglais. Et Tess a toujours connu l’appartement de sa jeunesse encombré d’autant d’œuvres et artefacts parfois obscurs et farfelus que de piles de livres menaçant à tout moment de vous ensevelir.

S’il y a une chose qui, en Tess, évoque moins son héritage familial, c’est son appétence pour l’art, bien moins accusée que chez ces personnes que nous avons citées. Oui, Tess a la corde sensible pour les charmes de la nature, par exemple, mais elle a l’esprit chargé de calculs quant à ces derniers et bien d’autres choses encore, et ce, depuis sa plus tendre enfance. De la trajectoire des étoiles jusqu’au rythme tranquille que suivent les anneaux d’une chenille lorsqu’elle se déplace. Puis des variables physiques pesant sur elle lorsqu’elle se démène sur une piste d’escrime. Vous l’aurez compris, Tess est d’abord et avant-tout une férue de sciences et de méthode.

C’est en vertu de cela que sa scolarité à Poudlard l’a conduite à opter pour la médicomagie. N’étant pas fondamentalement prompte à regretter ces choix, elle est aujourd’hui satisfaite de son sort, d’autant plus que nombre de ses plus belles rencontres ont eu lieu dans ce bel édifice. Cependant la situation actuelle des mondes sorcier comme moldu ne manque pas de l’alarmer, et elle est on ne peut plus avide de mettre la main à la pâte.