Se souvient-il ?
Se souvient-il de cette époque où il pouvait rire et pleurer. De ces moments où il savait aimer et haïr, ouvrir son cœur sans que sa voix ne se dérobe ? Des instants où il embrassait le bonheur à ne plus savoir quoi en faire, où il comblait le silence d'enthousiasme et de naïveté ?
Voilà qu'au gré des années, les souvenirs s'estompent,
Et que seul le vide demeure.
James Greengrass ne cesse de s'égarer dans un monde en gris. Les couleurs ont disparues, car elles sont semblables à un brasier, magnifique, mais si chaud qu'il pourrait le dévorer. Les émotions sont devenues des ennemies, des étrangères à son esprit, or il mène un combat de chaque seconde pour qu'elles s'oublient.
Alors par peur de souffrir, il a changé.
Les relations l'effraient, car elles sont le vecteur de tout ce qu'il redoute. James se nimbe d'un écran de superficialité, il se montre au monde tel qu'il n'est pas, ou plutôt, tel ce qu'il aspire à être pour ne pas se perdre. Face aux autres, il se contente du minimum, sans pour autant aliéner son besoin de compagnie : il se désintéresse du maximum, observe les autres depuis sa tour, mais jamais, ô grand jamais, n'ouvre son cœur.
Car tant maudit qu'il soit,
Il n'a jamais eu l'intention de perdre.
James a toujours été quelqu'un d'ambitieux.
Les pieds sur terre. Il obtenait ce qu'il voulait, sans ménager ses efforts. Dès lors, le désespoir a très vite laissé sa place à sa volonté d'être un jour soigné, et par conséquent, aux sacrifices qui s'y prêtaient. Comme Davy Jones, il a verrouillé son cœur à double tour, juste assez pour ne pas perdre sa liberté d'être lui-même.
Ainsi, aux yeux des autres, c'est une énigme. Un sang-pur imperméable, qui donne l'impression d'être bien au-delà de ceux qu'il considère comme indignes d'intérêt. On lui prête une once d’orgueil, mêlée à une nonchalance accablante, ou encore l'aspect quasi-parodique du typique sorcier de bonne famille. Car si certains perçaient sa carapace, s'ils venaient à effleurer ses émotions, à être au fait de sa malédiction, jamais plus il ne pourrait vivre sa vie normalement.
Si tenté qu'on puisse la qualifier ainsi. Il était une fois..
Un garçon.
Toujours enjoué, très téméraire. Peut-être un peu inconscient ?
Tous les enfants le sont.
Il vivait d'aventures et de liberté, bravait les bois et les acromantules.
Jamais sans son sourire.
Certes, on parlait de lui,
Pas assez
Greengrass ? Pas assez sang-pur.
Peut-être un peu trop inconsidéré.
La retenue lui faisait défaut.
Mais on se disait qu'il mûrirait avec l'âge.
Il avait le cœur sur la main. Il débordait d'émotions.
Une véritable tempête.
Mais un jour, alors qu'il sillonnait la forêt,
Il vit une clairière, recouverte de feuilles mortes.
De grandes pierres séculaires, des anciens druides.
Et un grand arbre.
Et si on lui avait pourtant interdit ces lieux sacrés,
Il y posa néanmoins le pied.
Le garçon, l'aventurier, fit de la clairière sa conquête.
Jusqu'à ce que sa vanité soit châtiée.
Le grand arbre, un visage en son tronc, se réveilla.
Il lui murmura, à lui qui riait, se moquait.
L'inconscient, émerveillé, ne se savait pas piégé.
Jusqu'à ce qu'il entende ces mots.
«Toi qui brave l'interdit, qui souille la beauté de ces lieux, si ton cœur tu ne sais pas tenir, plus jamais tu ne devras ressentir.»
Dès lors, la peur le gagna.
Mais alors qu'il voulait crier, aucun son ne vint.
Et c'est alors, dans sa stupeur, qu'il réalisa.
Que son cœur avait été volé.
Le silence dura plusieurs années.
Jusqu'à ce que le garçon, devenu grand,
Comprit qu'il devrait se fermer pour survivre.
Et que peur, amour, tristesse, joie,
Ne seraient plus pour lui que de vagues souvenirs.