realize real lies — Arsene

Les corps enragés, les gueules ouvertes, les carcasses hybrides se noyaient dans la marée d'herbe fraîche, et leurs yeux gorgés de sang pleuraient d'avoir échoué. Traqués, trouvés, massacrés ; et leur peau revendue au marché. Cette nuit j'avais regardé les pupilles du monstre s'éteindre sous les lueurs de la lune rouge, et les effervescences de sa mort imminente ne m'avaient pas fait vaciller. J'eus cru apercevoir une lueur de pitié dans ses pupilles éteintes qui m'accordaient leur pardon, pour n'être qu'une enfant inconsciente – élevée dans la haine et l'indécence. Et c'est en apercevant ce regard que je tremblai. Ma main partit rejoindre celle de Atlas à mes côtés, et des questions se bousculèrent dans mes pensées.

— Est-ce que c'est mal, ce qu'on fait, Atlas ?

Il serra ma main, mais aucune réponse ne parvint à franchir ses lèvres. Et je me sentis honteuse d'avoir douté de lui et d'eux, pour le pauvre regard d'un détraqué comme l'était notre victime à nos pieds. Mais je me souviendrai toujours de ses yeux qui me pardonnaient, de la sincère tendresse qu'il eut, dans tout son malheur, pour la gamine que j'étais.

Ses yeux.
Il y avait près du lac des silhouettes dansantes, aux lueurs nocturnes des lucioles scintillantes, des rires lointains qui plongeaient dans l'eau dès qu'on les approchait. Il y avait des êtres dont le mystère était élevé au rang de secret, qui redoutaient les chasseurs acharnés qui ratissaient nos contrées. Il avait fait beau toute la journée, et cette nuit-là, le ciel s'était paré de ses plus belles guirlandes. J'étais seule, cette fois. L'esprit aventureux, le cœur courageux, j'avais franchi le territoire des sirènes à pas silencieux, et franchissant les frontières des lumières, j'étais apparue dans son champs de vision. Ses yeux mordaient mon corps fatigué avec tendresse, et ses lèvres s'étirèrent en un sourire de chaleur qui eut fini d'achever mon cœur déchiré.

Judy était une enfant de l'eau, aux longs cheveux blonds et aux grands yeux pers dans lesquels on croyait voir la mer. Judy venait tous les soirs voir sa mère restée au creux des algues, et, une fois par semaine, retrouvait son ange, comme elle aimait l'appeler, restée au creux de ses bras pour quelques heures à peine.
Moi.

Quatre heures avaient passé et le monde que nous partagions allait bientôt s'écrouler, ma voix avait commencé à trembler et je ravalais chacun de mes mots comme s'ils allaient me tuer. Je me contentais d'assassiner mes pensées, jusqu'à ce que cinq heures soient passées et que l'épée des Priest s'abatte sur notre paradis mensonger.

— Je t'aime, Judy.

Judy avait crié. Judy avait pleuré. Et jamais je n'oublierai ses yeux qui m'accusaient de l'avoir trahie, de lui avoir menti. Jamais je n'oublierai l'odeur du sang qui s'était écoulé de son corps meurtri, jamais je n'oublierai les derniers soupirs qu'elle m'avait adressés. Jamais je n'oublierai, que je l'avais vraiment aimée.

Maman et Papa étaient si fiers, mais ils ne savaient pas, ils ne savaient rien. Ils se seraient insurgés, s'ils avaient vu au-delà de ses yeux, à quel point notre histoire avait été vraie.

Ses yeux.

Les bougies flottaient dans le ciel imaginaire, et la foule d'élèves s'était timidement avancée vers le devant de la salle de banquet où le brouhaha me rendait sourde. C'était la troisième année que je passais à entendre le même discours de bienvenue pathétique et sans fond, et je n'avais plus la moindre envie de rire. Il n'y avait eu que deux semaines entre sa mort et la rentrée, et Judy me hantait. Ses yeux plombaient mon âme, et sa voix me poursuivait jusqu'à me rendre malade.

Cette année-là, j'avais échangé mes sarcasmes pour des silences, troqué ma condescendance pour ne laisser qu'un sentiment amer et profond de solitude. Cette année-là, j'ai oublié, car la douleur ne pouvait plus durer, et cette année-là, les derniers fragments de Judy avaient été effacés d'un coup de baguette magique, et il n'y eut plus personne pour témoigner des tendresses que nous nous étions échangées.

Cette année-là, les yeux de Atlas ont croisé les miens dans le miroir de Risèd, et dans mon reflet, il n'y avait plus rien qui était vrai.

— Quelque chose a changé.

Mais j'avais oublié.