Le mutisme de Rachel l'obsède, l'assomme et l'agace. Il veut pouvoir deviner les pensées secrètes qui se dissimulent derrière ses mèches lisses et sombres, mais il a juré. Il a juré qu'il ne pénétrerait plus son esprit sans permission. Et même si l'impatience instable gronde dans ses iris, Orphan reste de marbre.
Il a trop pris sur lui ce soir, pour encaisser une nouvelle fois. Que cela soit une nouvelle intervention ou ce silence sempiternel qui n'a rien d'une vengeance mais d'une simple douleur. Orphan ne sait plus, il voudrait pouvoir oublier tout ce qu'il a pu faire, il voudrait être parfois un autre homme, le modèle de toutes ces femmes : romantique, attentionné et loyal. Mais il n'était qu'infamie, trahison et animal.
Mais derrière ses traits calcinés, Orphan ne pouvait s'opposer qu'à une seule injure pour sa mémoire : le déshonneur.
Et alors qu'il allait partir, une main se raccroche à son bras. Il tourne la tête et le visage de Rachel se reteinte d'une faible couleur. "Ne pars pas." Ses lippes articulent deux fois, et sans aucune hésitation, Orphan fait demi-pas. Il revient se placer face à elle, le visage encore fermé par la volonté ardente d'entendre la suite.
Le directeur écoute, le directeur entend. Pour la première fois, il tait les voix intérieures qui le guident toujours dans les faux pas. Peut-être était-il temps qu'il soit ce qu'elle a toujours attendu de lui, si jamais il ne l'avait pas été jusque là ?
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« Je ne pars pas, alors. »Il lui a fait peur, ce soir. Se rendait-elle seulement compte maintenant du monstre qu'il était ? Aveuglée par son attirance envers le diable en personne, Rachel était dans le déni de sa propre volonté.
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« Je ne voulais pas te faire peur. Et tu ne seras jamais ma chose, Rachel. »Tu l'es déjà.
Il lève sa main et effleure sa joue, passant complètement sa main derrière sa nuque, à la racine de ses cheveux. Il dépose un baiser sur son front mais ne lâche pas sa prise en reculant.
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« Si tel est ton désire, je serais également à toi. » Il marque un temps de pause.
« Serait-ce la première promesse que je serais prêt à tenir ? » il effleure son front.
« Enfin.. La deuxième. »Il recule pour ouvrir la porte de ses appartements. D'un sourire amusé, il la saisit dans ses bras, pour la porter. "Tu sembles fatigué" susurre t-il en unique justification. Et à son passage, la porte se referme d'elle même sans qu'il n'eut besoin de prononcer d'incantation. Il dépose Rachel sur son lit et enlève sa veste, la jetant sur une des chaises, déserrant sa cravate.
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« Je vais te faire un thé. »Et il disparait dans la cuisine. Orphan a besoin de s'isoler. Devant la tasse vide, les deux bras tendus contre le bord du plan de travail, le directeur réfléchit, cupide de taire ses propres démons qui le plonge dans un mutisme proche du misérabilisme. Il entend des pas derrière lui, aussi léger qu'un spectre glissant à peine sur le sol.
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« Je sais que tu es là. »