Fermer la porte au nez des années mortes

you may write me down in history
with bitter twisted lies

I WILL RISEjust like the moon and suns
with the certainty of tides

CARACTERE
Hylas s'ignore.

Mais derrière l'aura stoïque d'une noblesse apparente qu'il suinte par chacun de ses pores, il y a une catastrophe insoluble qui repose au sein de ses os et menace de les éclater en mille morceaux. C'est l'histoire d'une lame à double tranchant, d'un paradoxe dont il a fait sa pierre angulaire pour y construire un équilibre qui n'en est pas un ; Hylas ne sera jamais aussi fort qu'il sera faible, au bord-là de ce précipice où il a décidé d'ériger sa forteresse. En surplombant l'abysse pour s'installer à un point d'une hauteur écoeurante, il s'est offert le luxe d'un horizon imprenable où l'ivresse rappelle toujours qu'on frôle la chute.

La prouesse ou la folie d'Hylas c'est de fermer les yeux pour n'offrir au vide que son insolence et toute sa fougue tandis qu'il poursuit encore et toujours son édifice - Car Hylas veut donner le verbe à ses rêves, en transmuter l'intangible douceur pour qu'elle devienne une soie palpable sous la pulpe de ses doigts. Cette volonté est un feu vorace et liquide qui ravage les parois des veines tout en nourissant son coeur d'une énergie démente, celle-la même qui le rend infatigable. Hylas est davantage débordé qu'il n'est réellement animé mais dans cette surabondance de verve, il dresse des barrages en amont et jure qu'il ne deviendra jamais l'esclave de sa passion, en sera toujours le maitre. Car il le sait bien, s'il n'en maitrise pas les flots, il implosera en vol.

Mais il y a dans son estomac ce vide qui le tenaille. Hylas a faim de tout ; De richesse, de reconnaissance, de liberté et d'amour, il voudrait dans son appétit infini, conquérir toutes les splendeurs du monde dans une suite successive de coups d'éclat puis faire table rase et recommencer. Comme si aucun repas n'avait jamais compté, Hylas est l'ogre d'une envie ; Le clébard affamé qui dégomme chaque os jusqu'à la moelle comme si c'était le dernier avant d'en redemander la bave aux lèvres. Hylas vous sourit, plaisante et vous embrasse avec cette même avidité goulue qu'on jurerait féroce ; Celle d'un assoiffé.

Tout aussi bestiale qu'est l'ardeur des désirs qui le portent, Hylas aime les formes et l'humanité en ce qu'elle doit d'incarner. Alors il revêt une armure scintillante avec tant de soin qu'elle devient sa seconde peau et inspire à la moindre de ses respirations. C'est là que se situe toute l'antithèse chez Hylas ; Afin de se donner les pleins moyens de la démesure de ses ambitions il aurait fallu qu'il transcende sa nature propre, s'ampute de ses valeurs pour se débarasser de son orgueuilleuse morale. Seulement Hylas se veut irrévocablement humain et dans son obstination a refusé toutes concessions, la plus minime soit-elle. Vaillant Hylas qu'aucun monstre ne sait effrayer, voudra toujours réussir de la plus noble des manières, ou alors pas du tout et chargera au moins une centaines de fois avant de s'autoriser l'échec. S'il n'est pas le plus beau, ni le plus fort, ni même le plus intelligent, Hylas a décidé d'être celui qui en aurait le plus envie et d'alors se défoncer quitte à en crever. Fermement arrimé à cette conviction il se fait un apôtre de la persistance. Enfermé dans son abnégation, il se voudrait monolithique.

Car Hylas ne sait trop bien que son derme est de granit que lorsque la tempête se lève sa placidité se fracture et libère une horde d'émotions. Celles-la qui étranglent le pragmatisme, baillonnent la raison et obscurcissent ses yeux ; Il n'en a cure et Hylas avance à l'aveuglette en brandissant son coeur comme une torche face à ces incertitudes et il chemine habité d'un supplément d'âme qui l'emporte sur l'esprit. S'il est d'une humanité fatale, Hylas traite son propre corps tel un insubmersible vaisseau qui l'emmenera jusqu'aux confins du monde sans que la coque dorée ne se fissure une seule fois. A la tête d'une machine bien huilée, il ignore sa future obsolescence et fait fi des rouages qui se dérèglent petit à petit. Hylas ne veut rien savoir de ces fêlures ; Ces paupières trop lourdes et ces micro-sommeils qui le happent toujours à l'impromptu ; Il sait vivre en négligeant sa carcasse, rebouche les lézardes avec de la verve en pensant que cela suffit.

Hylas enhardi par l'effort et déluré par ses succès a la certitude de se trouver sous le juste étendard que tous devrait s'efforcer de suivre. Il est de ces braves gens qui détestent qu'on suive une autre route qu'eux et parfois Hylas dans la pureté de ses affections oublie son rôle de visiteur et endosse celui d'envahisseur. De sa passion incendiaire et violente, il calcine un sol qui n'est pas le sien, quand il s'implique avec son excès de zèle fraternel. Par amour Hylas fera de votre vie un peu de la sienne, dans le meilleur comme dans le pire et prendra tout, chaque lopin de terre, chaque parcelle de votre être car dans ses vrais élans d'affections, la modération est une grande inconnue au visage fuligineux.

HISTOIRE

Il faudrait lui passer sur le coeur.

Hylas fut un enfant frêle, à la mine cireuse qui s'agitait dans des mouvements fébriles, proie à des afflictions des plus timides aux plus perfides. Lové par sa mère dans le cocon de ses draps blancs, Hylas conservait malgré tout, une voix claire et un regard de vigueur. Alité et par la force des choses privé du monde, il se dégourdissait les jambes dans des rêvasseries candides. Un jour il était l'attrapeur de l'équipe d'Angleterre, l'autre il était le premier sorcier à mettre la main sur des quintapèdes. Il dessinait les contours des sentiers de la gloire, se promettait qu'une fois remis sur pied il en foulerait les pavés.

Il ne tenait jamais sur ses jambes bien longtemps. Quelques semaines à se promener dans les champs puis invariablement, la maladie le fauchait dans son élan. Il allait à sainte Mangouste parfois. La-bas des hommes en blouses blanches ne trouvait jamais d'étiquettes à coller sur sa condition générale. On disait simplement qu'il était un garçon de verre.

Ce n'était la faute de personne en particulier. C'était ainsi et il fallait s'y faire. Pour ne pas maudire sa condition on l'invita à relativiser par le pire. Pourquoi s'inquiéter d'insignifiantes brèches quand d'autres portent en eux des cratères ?

Hylas régnait sur un royaume d'une vingtaine de mètres délimité au nord par son imposant lit à badalquin et au sud par des fenêtres aux volets toujours grands ouverts. Minuscule dans cette pièce rendue froide par l'absence de chaleur humaine (ses parents travaillant la journée), il avait appris à se suffire et dans des hoquets qu'il ravalait en même temps que sa morve dégoulinante, s'efforcait de ne pas se laisser écraser par son propre poids.

Mais la solitude l'emiettait. En substance corrosive, elle grignotait sa volonté et sa candeur, allant l'envahir jusque dans ses fantaisies dont elle dispersait les cendres au quatre coins de son coeur essouflé.

Dans son corps d'enfant amoindri par l'âpre lutte menée aux infections, il ne parvenait à trouver aucune once de révolte. Il était un esprit orphelin, démembré, démantibulé. Il comprit qu'il y avait chacun son combat et que dans celui de l'âme ses bras ne lui seraient d'aucune aide. Mais Hylas ne se laissa pas abattre par les circonstances.

Il faudrait lui passer sur coeur.

Céder au désespoir c'était se mettre à terre et offrir sa nuque à la guillotine. Il ne
fallait pas tomber ou ce serait la fin du tout, la porte grande ouverte à la paralysie de l'âme ; La paresse, l'atonie, l'inertie, autant de choses qui le rongeraient plus durement que n'importe quelle maladie. Si son corps, amaigri par la force des choses était un mur ravagé, il conserverait le sanctuaire de son âme inviolé. Il en défendrait le territoire sacré, son unique et sa seule possession.

Alors tour à tour et parfois en même temps, Hylas fut la vigueur colérique, l'appétit jaloux, la folie de l'optimisme et bien d'autres. Il fallait se nourir d'émotions violentes puis les garder au creux du ventre pour se lever chaque matin et panser les plaies d'hier. Il fallait enduir ses boyaux d'un feu liquide pour les ressusciter et brûler les sangles de la torpeur, faire usage de son amertume comme défibrilateur ; Traiter son corps en entité étrangère pour proroger la faiblesse et l'empêcher de l'atteindre.

Il fallait s'accrocher à chaque aspérité, peu importe le terrain perdu ; l'important c'était d'être toujours au dessus du gouffre.

Puis peu à peu, la cohorte de maladie arrêta sa marche de guerre. Sa mère parla de miracle, le médecin parla plutôt d'echantement curatifs révolutionnaires, son père évoqua un système immunitaire épaissi par le temps. Qu'importe. Sainte-Mangouste, l'infirmerie et les journées alitées devinrent les relicats d'un temps inconnu.

Ceux qui avaient connu le gosse chétif et soufreteux aux bras de crépons furent étonnés.

Hylas n'avait jamais paru si grand.