Dove était une personne fort sympatique dans la mesure où elle était une des rares personnes qui continuait de m'étonner de par ses idées farfelues. Repeindre la forêt à coup de pinceau, ça, c'était une idée particulière. Tout ce qu'il faut pour me faire sortir du dortoir discrètement à l'horaire indiqué par la rouquine, ma chevelure écarlate camouflée sous un bonnet en laine et le reste de mon corps bien emmitouflé dans un pull au maillage serré et au col rond remontant juste en dessous du dernier bouton - ouvert - de la chemise que je portais en dessous. Et c'est tel un voleur que je me dirige vers la forêt interdite. Je fais particulièrement attention à mes pas, ne voulant pas risquer à ma partenaire de se faire attraper à un endroit où nous n'avions rien à faire.

Ce n'est qu'une fois dans le bois que je me permis un peu moins de précaution. L'odeur de l'herbe humide et le bruit du souffle du vent dans les arbres était, assez étrangement, plutôt rassurant, malgré la réputation de l'endroit. Je n'irais pas jusqu'à dire que je ne craignais pas l'endroit, mais c'était tellement agréable d'enfreindre les règles que je me moquais bien, à ce moment-là du moins, de ce qui pourrait nous arriver.

Suivant le sentier, je ne tardais pas à trouver celle que je recherchais. Suivie par une dizaine de pots de peinture en lévitation derrière elle, la sorcière semblait attendre patiemment mon arrivée. Je me contentais de lui adresser un bref signe de la main, pour éviter de faire trop de bruit, et ne répondis à sa question qu'une fois arrivée à son niveau, juste après m'être défait de son accolade. Plus nous éviterions de hausser la voix, moins nous avions de chance d'attirer l'attention d'une quelconque créature magique résidant dans ces bois.

- Seconde pensée? Parce que tu crois qu'il y en a eu une première? Voyons, Dove, ne fait pas l'idiote.

J'accompagne ma remarque d'un clin d’œil amical avant de sortir un pinceau de la poche arrière de mon pantalon, juste à côté de ma baguette. Large brosse au poil en bataille pointée dans la direction de mon amie, je suis prêt à passer à l'attaque.

- Alors c'est quoi le plan? On fait ça façon manuelle, on repeint tout uniformément où t'as une idée plus artistique derrière tout ça? Du genre, on peint des arbre sur des arbre, c'est super méta, performance artistique, représentation de la volonté de l'homme de dompter la nature?

Je m'emporte dans mon enthousiasme artistique. J'ai une tendance naturelle à me laisser aller dès qu'il s'agit de dessin. Ca se remarque sur mes bloc-notes et sur les coins de mes parchemins. Un peu d'encre, une plume et voilà que mon esprit divague, se laisse aller. C'est la même chose avec mes idées, dès que le cadre est un peu trop vague pour que je sois tenus par les consignes.

- Sinon, je dessine très bien les bites.  

Aucune idée, aucune limite. Cette petite escapade artistique pouvait donc partir très loin et risquait, par extension, de mal finir. Tout du moins pour ces pauvres arbres qui n'avaient rien demandé à personne. Suivant les pas dansant de la rouquine, je m'avances un peu plus dans la forêt, portant mon attention sur le décor qui nous entoure, la forme de chaque tronc, la courbure de chaque branche. J'essaye de voir les possibilités qui s'offrent à nous, d'autant que ce soir, tout est permis. Sauf peut-être notre présence ici.

Dove propose de ne pas se limiter à une seule chose, de laisser parler notre fibre artistique. Quitte à s'aide de magie si le besoin s'en faisait ressentir. Elle n'estimait peut-être pas avoir le talent pour les arbres sur les arbres, mais au fond, je savais qu'elle pourrait faire de grandes choses. Mais elle choisit les bites, et au fond, je me sentais un peu trahit qu'elle me vole mon sujet préféré. Et elle semblait parfaitement le savoir, vu la façon dont elle me taquinait, langue tirée et malice sur le bout des lèvres.

Après avoir choisi ma "toile", je me penchais vers la peinture à disposition et regrettais quelque peu le manque d'éclairage. On serait loin du meilleur rendu. Mais à priori, ce n'était pas non plus l'objectif de Dove. Je n'avais pas pu empêcher mon regard de guetter ses avancées, et bien que ça ne soit pas mon truc de venir loucher sur les bites des voisins, voyez vous, je ne pouvais m'empêcher d'émettre un jugement sur celle de mon amie. Une phrase que je n'aurai jamais cru avoir à formuler un jour. Bref. Le fait est que j'avais des choses à dire à ce propos, et que je n'allais pas me retenir.

- C'est pas terrible, tu veux peut-être un modèle?

Ok. Ce n'est qu'une fois les mots lâchés en liberté, filant aux quatre vents, que ça m'a frappé. Je sais, j'aurai probablement pu réaliser avant, mais l'intention était tellement loin du résultat que le possible sens de mes paroles ne m'était même pas venu à l'esprit. Avant de l'entendre. Parce qu'une fois que ce genre d'allusion parvenait à mes oreilles, mon radar à insinuations graveleuse était toujours là pour déceler la moindre possibilité de rebondir sur une blague pas très subtile.

Mais avec Dove, c'était pas tout à fait le ton habituel. Kate, elle, avait l'habitude de recevoir ce genre de remarque de ma part. C'était même la plus grande partie de nos interactions, notre façon de ponctuer nos phrases, presque. Certains auraient probablement pu croire à nous entendre que "suce ma bite" était son surnom. Mais Dove, non. Du coup, ça m'a mit pas mal mal à l'aise. Alors après la seconde de silence malaisante qu'à prit mon cerveau pour effectuer toutes les connexions neuronales, j'ai immédiatement baissé la tête, espérant que limiter son angle de vue sur mon visage et la pénombre de la nuit soient suffisant pour camoufler la teinte changeante de mes joues.

- OK non, attends. Je la refait.

Petite toux du malaise pour reprendre mes esprits. Un bref coup d'oeil en direction de l'élève à la cravate rouge. Inspiration profonde pour m'imprégner de courage plus que pour remplir mes poumons d'oxygène.

- Tu veux que je te dessine un modèle?

C'est toujours pas très probant, sûrement parce que ça a perdu l'impact de la spontanéité. Et Dieu sait que c'est pas avec la qualité de mes blagues que ça fait rire les gens, mais plutôt l'aspect "tac-au-tac" qui était comique. Résultat, en plus du malaise de ma mauvaise formulation, c'était à présent la lourdeur du flop qui venait s'ajouter à l'atmosphère.

- Je te jure que ça sonnait mieux dans ma tête. Je voulais pas être obscène ok.

Je ne la vois pas, mais je sens dans la lourdeur du silence toute l'étendue de l'échec de ma blague. Je l'imagine, sans la regarder, les yeux écarquillés, sourcils froncés et la lèvre supérieur légèrement retroussée. Ce genre de tête qui pourrait commencer à me faire la morale à tout moment. Mais fort heureusement, il se passa autre chose que ce que le petit théâtre de mon cerveau avait imaginé pour sa projection du début de soirée, et c'est sur une note plus humoristique -ou étais-ce sarcastique? - que rebondit la rouquine.

Elle rit. Et elle ne s'en cache vraiment pas. Reste à savoir si elle rit de moi ou avec moi. Mon instinct me dit que la raison de son hilarité se trouve plus dans la façon qu'elle a trouvé de me mettre mal à l'aise pour pas grand-chose. Enfin "pas grand-chose". Y a trop de Tudor à Poudlard pour que je m'amuse à me les mettre à dos pour avoir corrompu la pureté d'esprit de leur soeur.

Le fait est qu'on fini par échanger de place. Elle prend mon tronc, je prend sa bite. Oui, tant que Dove n'est pas au courant, ne pensez pas une seconde que je vais arrêter les connotations dégueulasse. Puis avouez. Vous avez ri, hein? Bref. Le fait est que je devais tout de même dessiner un penis, et un beau, histoire de montrer un exemple illustré à la jeune femme pour d'autres utilisations diverses et variées. Normalement j'aurai accompagné le mouvement de description audio, mais vu que la situation était déjà tendue, j'ai préféré éviter. Pourtant, c'est elle qui est venu ajouter une couche.

-  En tout cas, moi j’trouvais que c’était une belle bite.
- Arrêtes avec les bites, c'est pas très joli dans ta bouche, princesse.

Silence quand je remarque avec stupeur que je peux encore déformer mes propos. Et là, le dilemme se présente. Est-ce que je fais mine de rien, et on enchaine. On passe à la suite, cette phrase n'a jamais eu le potentiel d'être interprétée de façon à ce que Dove ait des bites dans la bouche. Ou alors, je m'excuse, et ajoute une épaisseur de malaise à la situation. Le truc, c'est que, étant un gamin -oui, j'en ai conscience, j'ai pas pu m'empêcher de sourire, même si j'ai arrêté la courbure de mes lèvres en route. Mais avec cette expression figée, essayant clairement de déguiser un rictus immature en un masque de réflexion sur la manière de terminer mon chef-d'oeuvre, il était évidement qu'elle finirait par me cramer.

- Ok je voulais dire le mot pas que t'ai vraime-

La blague est annulée. J'arrête tout simplement ma phrase en milieu de mot avec un soupire, exaspéré par ma propre bêtise. Incroyable qu'il y ait encore des gens pour me supporter après tant d'années. Moi-même, je commençais à en arriver à ma limite de bullshit/minute. Une unité dont j'avais toujours su pousser les limites à ses extrêmes.

- Tu sais quoi? Je propose qu'on arrête tout simplement de parler du mot en B. Genre on pourrait parler de pomme de terre. Perso j'adore les pommes de terre. Et toi, t'aime les pommes de terre? Tu crois qu'on pourrait dessiner un champ de pommes de terre dans la forêt?