caprice (ethan)

Du haut des escaliers, Mallory poussa un long soupir. Pourquoi devaient-ils toujours être capricieux lorsqu’il était pressé ? Et, surtout, pourquoi se perdait-il constamment lorsque c’était le cas ? Certains de ses camarades s’amuseraient à lui répéter, pour la centième fois, que s’il passait plus de temps dans la bibliothèque, peut-être pourrait-il retrouver son chemin plus facilement. Les petits pics de ses confrères Poufsouffle avaient tendance à l’agacer mais il préférait en rire devant eux. Bien sûr, tout cela ne relevaient que de la plaisanterie et c’était une chance qu’il était capable de prendre assez de recul pour encaisser toutes les remarques sur son manque de travail ces derniers temps.

Mallory faisait souvent face à des périodes de creux dans sa scolarité - elles arrivaient toujours lorsqu’il avait un besoin incontrôlable d’écrire, de dessiner ou de prendre des photos. Depuis quelques jours maintenant, si ce n’est semaines, le jeune Graves passait le plus clair de son temps à s’aventurer dans les couloirs méconnus du château de Poudlard à la recherche d’une prise de vue artistique, en parfaite harmonie avec l’architecture gothique de la bâtisse. Il avait demandé à certaines de ses connaissances de l’accompagner - sous-entendu, des modèles potentiels - mais la plupart avaient refusé au vu des nombreux devoirs qu’ils avaient reçu dernièrement.

Désormais que ses folies passagères furent passées aussi vites qu’elles étaient arrivées, Mallory réalisait, enfin, à quel point il était en retard sur son travail. Assez pour ne plus en dormir correctement et devoir se lever de bonne heure pour aller jusqu’à la bibliothèque étudier les sorts qu’il était incapable d’exécuter. Cependant, les escaliers n’en faisaient qu’à leur tête. La partie sur laquelle il se trouvait n’arrêtait pas de tourner, et de tourner, et de tourner… Et lorsqu’elle s’arrêtait, c’était toujours au mauvais endroit, à croire qu’elle faisait exprès de se détourner de son chemin habituel pour embêter Mallory.

Ce dernier se laissa tomber contre les marches, les jambes allongées et ses livres étalés à ses côtés. Un peu plus loin, sur les escaliers adjacents, il entendit des filles Serdaigle pouffer de rire en le saluant de la main. Elles lui firent remarquer qu’il en avait pour un moment ainsi et qu’il ferait mieux d’étudier ici qu’à la bibliothèque. Il sourit en retour, peinant à cacher sa frustration. S’il y avait bien une chose qu’il détestait par-dessus tout, c’était bien de perdre son temps et surtout, surtout, de s’ennuyer. Quel dommage qu’il n’avait pas assez d’audace pour s’essayer à la haute voltige…

Ses genoux vinrent se rabattre contre sa poitrine et il les encercla de ses bras en faisant la moue. Les escaliers s’arrêtèrent subitement face à une plateforme et un autre étudiant monta à son tour. C’était bien le seul à tenter le diable. Il le regarda et remarqua qu’il s’agissait d’Ethan. Mallory lui sourit et, d’un ton à la fois taquin et exaspéré, il dit :

« Bienvenue dans mon antre. Tu es pris au piège pour au moins cent ans ici… »

Mallory appréciait beaucoup Ethan, et pour cause : ils avaient passé de nombreuses années ensemble durant leur enfance. Leurs mères étaient particulièrement proches depuis leurs années de collège et il valait de soi qu’il fallait que ça soit aussi le cas pour leurs fils. En revanche, le jeune Graves n’avait de cesse de penser que dans d’autres circonstances, ils n’auraient jamais pu être amis. Pas ainsi.

« Je sais pas où tu veux aller, mais si c’est à la bibliothèque, c’est mort. Sauf si on lance les paris sur lequel de nous deux se cassera une jambe en essayant de sauter sur les autres escaliers. »

Une autre journée, une autre aventure à Poudlard. Je venais tout juste de sortir de cours, heureux de pouvoir me délier les jambes et de quitter le quatrième étage. Trop bondé, trop de gens, trop de cours et trop de bruit. Certains gens préfèrent la tranquillité et ça s'arrête à ça, mais pas dans mon cas. Toute cette effervescence m'agressait, créant une tension désagréable dans mes épaules et me donnant envie de partir aussi vite que possible. C'est ainsi que je m'aventurai dans les escaliers magiques, plus préoccupé par ma fuite que par leurs caprices. Je passai même devant le troisième sans m'arrêter, ce qui vu les circonstances qui suivraient s'avérait plutôt ironique. Ce qui me fit m'arrêter, c'est les ricanements d'un duo de Serdaigles qui lançaient des regards en direction d'un autre escalier. Curieux, je portai mon attention dans cette direction, repérant un Poufsouffle qui semblait avoir totalement abandonné la bataille, dépité sur les marches. Comment ne pas le reconnaître.

Considérant que je n'étais attendu nulle part et que le pauvre Mallory semblait avoir besoin d'aide, pourquoi pas. Empruntant un autre escalier, je parvins à rejoindre une plateforme à la bonne hauteur, attendant simplement que les marches viennent se placer devant moi. Ce n'était qu'une question de temps avant que je rejoigne mon cadet, le saluant avec un vague sourire. Il ne semblait pas mécontent de me voir, bien que sa réplique en disait long sur son état.

« Voilà qui est bien dramatique. »

Répondis-je sur un ton légèrement moqueur, m'asseyant à mon tour, à ses côtés. Bras appuyés contre mes cuisses, mains jointes et dos légèrement voûté, je regardais les autres escaliers et leurs mouvements imprévisibles alors que Mallory reprenait la parole. J'en conclus rapidement qu'il tentait de se rendre au troisième étage, mais que les escaliers avaient choisi de ne pas coopérer. J'eu un demi-rire lorsqu'il parla de paris et de sauter. Clairement, je ne nous voyais pas essayer cela non plus.

« Je laisse ces cascades aux rouges. Je préfère te tenir compagnie et t'aider à reprendre espoir. Suffit d'attendre qu'il y ait contact avec une nouvelle plateforme et on est partis d'ici. Tant pis pour la bibliothèque. Tu voulais aller y faire quoi de toute façon ? »

Ethan ne serait sûrement pas lequel avec qui Mallory irait faire la fête. Non seulement parce que leurs mères respectives étaient de vieilles amies et qu'elles savaient sans doute tout de la vie de l'une et l'autre (cela comprend celles de leurs fils, bien entendu), mais aussi parce qu'il était incroyablement calme, pour ne pas dire, un peu ennuyeux. Mallory aussi, pouvait être considéré comme tel mais il s'efforçait de prendre des airs de grand fêtard alors qu'il n'était ni attiré par l'alcool, ni par les foules endiablées. Ce n'était pas une tâche aisée que de paraître extraverti lorsque l'on en était le parfait opposé.

Son ami d'enfance prit alors place à ses côtés et, soudainement, c'était comme si les problèmes de Mallory s'étaient envolés. Il détestait être seul pour la simple et bonne raison que cela lui laissait beaucoup trop de temps pour réfléchir et se remettre en question - mais aussi, être anxieux.

« De toute façon ? » S'offusqua-t-il faussement, sur un ton moqueur. « Venant de toi, c'est gonflé... » Mallory ria un peu avant d'être honnête : « J'allais... je sais, c'est étonnant, j'allais étudier. Lire des livres. » Bon, presque. « J'ai du retard sur mon travail, j'ai séché trop de cours ces dernières semaines et on a beaucoup de devoirs. »

Il finit par soupirer lourdement avant de laisser sa colonne vertébrale s'écraser contre les marches derrière lui. La position était inconfortable mais il fit mine du contraire en allant lier ses mains sur l'arrière de sa nuque, parfaitement détendu.

« Surtout en divination. Je déteste ça ! Comme si j'en avais quelque chose à faire de l'alignement des étoiles... » Mallory soupira d'agacement jusqu'au moment où il pivota vers Ethan pour le regarder. « Oh, attend. Bouge surtout pas, la lumière est parfaite. »

Sur sa pile de livres reposait un vieil argentique. Mallory le prit dans ses mains et aussitôt l'oeil contre le viseur et prit un portrait de l'autre Poufsouffle sans crier garde. « J'espère que tes cheveux vont pas ressortir d'une couleur encore plus criante quand je vais faire développer mes pellicules. » Il ria doucement et ne chercha, bien entendu, pas à vexer Ethan.

« Sinon... Tu proposes qu'on descende à quelle plateforme ? Parce que ces fichus escaliers font tout pour me frustrer aujourd'hui, je crois. »

J'avais demandé à Mallory ce qu'il comptait faire à la bibliothèque et, bien sûr, mon ami de longue date s'amusa de ma formulation. Il n'était un secret pour personne que j'aimais être à mon affaire. Les séances d'étude ne me faisaient pas peur et j'étais particulièrement sérieux. Maintes fois je m'étais dit que j'aurais pu finir chez les Serdaigle si j'avais seulement été un peu moins humaniste.

« Mea culpa. »

Lui répondis-je donc en rigolant avec lui. Formuler la chose de cette façon, pour moi, c'était ironique et j'en convenais. Toujours est-il que nous reprîmes vite fait notre sérieux et que j'écoutai Mallory me parler de ses difficultés scolaires, de ses retards. J'hésitais entre y aller d'un commentaire probablement trop mature pour mon âge et simplement me montrer compréhensif. J'ignorais pourquoi il manquait ces cours et, à dire vrai, ça m'inquiétait un peu. Est-ce qu'il avait des soucis dont je n'étais pas au courant ? Poursuivant sur sa lancée, le jaune précisa quel était le cours qui lui déplaisait particulièrement. La divination. Même moi j'esquissai une grimace. S'il y avait bien un cours que j'étais heureux de ne plus avoir en DEMA, c'était ça. Sans doute n'étais-je pas assez superstitieux.

« J'aurais bien aimé t'aider, mais c'est une des rares matières que je déteste aussi. »

Puis, hors de nulle part, voilà que Mallory me demandait de ne pas bouger. C'est sans protester que je m'exécutai, habitué à ces requêtes qui en aurait confus plus d'un. Pour ma part, je connaissais l'amour de mon cadet pour la photographie. Il ne me dérangeait pas de lui servir de modèle de temps en temps simplement parce que j'avais confiance en son talent et, par ailleurs, que je voulais l'encourager à suivre sa passion. Vint ensuite le commentaire sur mes cheveux qui m'y fit passer une main nerveuse. Sujet sensible, surtout venant de la part d'un des rares individus à connaître ma situation familiale.

« En parlant de ça, je commence à avoir des repousses. C'est vraiment beaucoup d'entretien cette teinture. »

Parfois j'avais envie d'arrêter mais... Je repensais à ma mère. Je repensais à ce qu'elle avait dit ce jour-là. Tu lui ressembles tellement. Je n'étais même plus certain d'aimer la couleur. Ça faisait quelques années maintenant, c'était simplement devenu une habitude, un trait via lequel on me reconnaissait. Un trait qui me permettait de me démarquer de mon père.

Heureusement, Mallory me tira de mes pensées, demandant à quelle plateforme je proposais que l'on descende. Je soupirai, regardant autour de nous pour voir les options. En vérité nous n'aurions sans doute pas trop le choix, c'est l'escalier qui finirait par décider où il voudrait nous laisser aller. D'un autre côté... Je venais de finir mes cours de la journée et je n'étais attendu nulle part.

« Aucune idée. J'aime bien ce qu'on a présentement, petit moment relax à discuter comme ça. Ça faisait un bail. T'es pressé de partir toi ? »

Les cheveux verts d'Ethan avait beau être uniques en leur genre, il ne serait pas la même personne sans eux. C'était très vite devenu sa signature à Poudlard si bien qu'on le dénommait plus régulièrement par le Poufsouffle aux cheveux verts que tout autre sobriquet. Mallory avait bien évidemment connaissance des raisons qui l'ont poussé à adopter un tel changement capillaire mais il trouvait ce choix respectable et original. S'il avait eu un peu plus de volonté (et si on ne lui avait pas répété des années qu'il était très beau en brun), il se serait lancé dans des délires teintés de bleu ou de jaune. Il ne savait jamais trop.

« Tu pourrais essayer une nouvelle couleur plus facile d'entretien ? Ou te renseigner sur des sorts... je ne sais pas. Enfin, je sais que cela te tient à coeur, c'était juste une idée passagère. »

Conclua Mallory l'air songeur.
Ethan lui dit alors, solennellement, qu'il appréciait sa compagnie et cet instant de partage. Le regard perdu dans l'immensité des lieux à détailler chaque colonne et ses moulures, Mallory eut un sourire qui s'étira presque jusqu'à ses oreilles. Il aurait presque pu rougir s'il ne connaissait pas Stoker depuis des années maintenant. Il se contenta de rire nerveusement, sans même comprendre pourquoi.

« Non, non. » Il se décida à le regarder tandis que ses doigts trituraient l'appareil photo posé sur ses genoux. « Tu demandes au pire des procrastinateurs s'il veut procrastiner un peu plus... Je pourrai même remettre la faute sur toi dans le futur si jamais je n'ai pas de bons résultats à mes examens ! »

Mallory lui donna un petit coup de coude dans les côtes pour le taquiner. Il ne le pensait pas sérieusement, bien entendu, mais tous les prétextes étaient bons pour ne pas travailler. Il n'avait jamais été un grand bosseur, quand bien même le monde des sorciers est passionnant, son esprit se retrouvait toujours distrait, rêveur, liquéfié par des pulsions qu'il était incapable de contrôler, au plus grand regret de ses professeurs. C'était sans doute la raison pour laquelle il avait de grands rêves mais de petites ambitions. Mallory s'imaginait dans un futur grandiose où il serait constamment animé par des envies qu'il n'aurait pas à limiter, acclamé par la foule, aimé et presque envié. De l'autre côté, il réalisait que sa fainéantise n'avait d'égale que son manque de confiance en lui, ce qui l'amènerait, selon lui, seulement à décrocher un petit poste ridicule dans la Gazette du Sorcier. L'idée lui donna le cafard et un long frisson le parcourut.

« Tu sais ce qui serait drôle ? » Mallory se pencha vers Ethan comme pour lui dire un secret. « Qu'on devienne tous les deux professeurs dans quelques années et qu'on se retrouve sur les escaliers, coincés, en se disant que, de toute façon, ça va rendre les élèves heureux. » Il ria de plus belle, sans s'en cacher cette fois-ci. Cette image lui donna un peu plus d'espoir que la précédente car, en dépit de ses désirs impossibles, il aimait suffisamment Poudlard pour vouloir y consacrer sa vie.

Mallory était au courant des envies d'Ethan quant à rejoindre le corps enseignant de l'école et il devait avouer qu'il arrivait très bien à l'imaginer ici. Il avait toujours été un élève très studieux et sérieux. Il y arriverait, il n'en doutait pas une seconde.

Penser sérieusement à mes cheveux avait de quoi rendre mon humeur plus morne, toute cette histoire étant chargée de trop de choses pour qu'il en soit autrement. Heureusement, Mallory avait la connaissance de la situation nécessaire pour y contribuer son grain de sel de manière pertinente, y allant d'un conseil qui n'était pas con du tout. J'esquissai une moue songeuse. Une autre couleur hein ?

« Je me demande si j'arriverais à porter le rose. Je rigole. »

Mais pas totalement en vrai. Mais qu'importe. Je verrais bien ce que je ferais de ces cheveux la prochaine fois que je les teindrais. Ça pouvait attendre puisque, évidemment, je n'allais pas faire ça dans les escaliers. La conversation avait donc poursuivit son cours et j'avais avoué aimer ce petit moment relax de discussion dans les escaliers, demandant à mon ami de longue date s'il n'était pas d'accord. Comme j'aurais pu m'y attendre, la réponse était positive, accompagnée d'un coup de coude et d'une petite pique. Mettre la faute sur moi dans l'avenir s'il n'avait pas de bons résultats à ses examens ?

« Hey, pas question ! Nos mères vont me tuer, j'ai promis que je veillerais sur toi ! T'as qu'à bosser pour tes exams comme tout le monde. »

Avais-je répondu sur le même ton fraternel et joyeux, y allant de mon propre petit coup de coude à son endroit. Je devais l'admettre, cette pause inattendue dans les marches me faisait plus de bien que je ne l'aurais imaginé. Il était facile dans une si grande école de parfois se sentir seul ou isolé, je devais l'admettre. Retrouver un visage familier et prendre le temps de discuter me rapprochait de la sérénité d'esprit. Et, visiblement, je n'étais pas le seul à adopter un état plus contemplatif, plus rêveur, plus calme. Mallory se rapprocha de moi, comme pour me faire une confidence. Tu sais ce qui serait drôle ?

« Dis toujours. »

Qu'on devienne tous les deux professeurs dans quelques années et qu'on se retrouve sur les escaliers, coincés, en se disant que, de toute façon, ça va rendre les élèves heureux. Et, à son éclat de rire, je ne pus m'empêcher de m'esclaffer un peu moi aussi. L'image avait le mérite d'être drôle et, quelque part, assez plaisante. C'était un avenir dont j'avais envie. Imaginer la présence de Mallory avec moi ne faisait qu'ajouter à la beauté du rêve. Lorsque nos rires se firent calmés, je me fis plus sérieux, le regard perdu dans la contemplation de l'architecture des lieux et des tableaux qui se partageaient les immenses murs de la cage d'escalier.

« Je sais pas pour toi, mais j'y compte bien. J'adore cette école, même si je n'y suis pas vraiment populaire ou rien de ce genre. Je me sens bien ici, à Poudlard. Puis... ce serait bien de prouver aux gens que les personnes comme moi peuvent aussi leur apporter autre chose que des cauchemars ou des clichés horribles de films d'horreur. »

Je marquai une pause, reportant cette fois mon attention sur mon camarade. Si ma position sur le sujet était claire, et même les matières que j'aurais aimé enseigner n'étaient pas un secret, je ne pouvais en dire autant de Mallory. Mais, puisqu'il en parlait, maintenant j'étais curieux.

« Et toi alors, tu sais que tu ne pourras plus procrastiner si c'est toi le prof ? Et tu voudrais enseigner quoi ? »