[concours de patinage] JAY vs JORDAN

Jay avait parfois cette tendance crispante à oublier les rendez-vous qu’il donnait à ses amis. Il avait la fâcheuse habitude de ne jamais noter les choses en pensant les retenir de lui-même, surestimer ainsi considérablement les aptitudes de sa mémoire qui avait le don de lui faire défaut au pire moment chaque fois –on pourrait parfois appeler ça le karma mais Jay n’ayant généralement rien à se reprocher dans la vie, on dira que c’était tout simplement la poisse.
Il s’était réveillé en panique après avoir trop dormi, surpris dans son sommeil par la sonnerie d’un sms de Jordan.
Merde.
La patinoire !!
En vitesse grand V, il s’était douché, habillé, avait avalé goulument un biscuit noyé de café pour se réveiller et s’était hâté de rejoindre sa meilleure amie sur le lac gelé, patins en main, cheveux en bataille et chaussettes dépareillées.

« Je suis pas en retard !! Il hurla avant de se précipiter jusqu’au rebord où l’attendait Jordan.
— Hey gars, tu te montres enfin ! T'avais peur que je te mette la raclée de ta vie ou quoi ?
— Moi ? Peur de toi ? fit-il en bombant le torse dans une attitude faussement arrogante avant de s’asseoir pour enfiler ses patins. Pour être honnête, j’avais complètement oublié et je tapais le meilleur rêve quand ton sms m’a réveillé, j’te remercie pas ! »

Il testa la résistance de ses patins sur la glace, et se lança dessus, assez peu confiant au début, le temps que ses membres reprennent l’habitude.

« Jordan Zuri Kiele, je vous défie en tournoi de patin à glace ! répondit-il en se tournant théâtralement vers elle, manquant de tomber au passage. Le perdant sera contraint de faire le larbin pour le gagnant pendant une semaine ! »

Il s’échauffa un instant sur la glace avant de revenir vers Jordan.

« Tiens mate un peu l’artiste ! »

« Et de quoi tu rêvais ? De toi m'acclamant aux JO après ma meilleure perf ?
— Là c’est toi qui rêve ma grande, je crois que c’est toi qui va me faire la meilleure ovation dans pas longtemps ! »

Jay adorait Jordan, parce qu’il savait qu’avec elle, il pouvait se laisser aller aux joutes verbales les plus légères en sachant pertinemment qu’elle n’allait jamais mal le prendre.
Il fut honnêtement assez étonné de sa propre performance –sachant qu’il sortait à pine du lit, c’était un véritable exploit et il se serait lancé volontiers des fleurs si Jordan n’avait pas su lui couper l’herbe sous le pied en effectuant à son tour un saut qui lui sembla aussi compliqué que douloureux pour les muscles.

« Jordan si ton pantalon a craqué tu me dois un gage, obligé, fit-il après avoir émis un sifflement admiratif et moqueur à la fois. Mais j’applaudis l’audace haha ! »

Il fit une grimace de concentration absurde avant de se lancer une nouvelle fois.

« Moi j’te parie que ça tu sauras pas l’faire ! »

« MOUIIII, c'est pas mal. T'aurais pu faire un double, ou un triple. Au moins !
— Et finir avec une déchirure du muscle fessier comme toi ? Je ne tomberais pas dans ton piège, Kiele, mais bien tenté ! »

En bon adolescent qu’il était, l’imagerie de sa phrase le fit ricaner comme un imbécile et il aurait presque manqué de glisser bêtement et tomber sur ses propres fesses si ses réflexes n’avaient pas été aussi réactifs.
Jordan réalisa un flip à l’exécution pour le moindre magistrale aux yeux de Jay –il ne lui en fallait pas beaucoup pour l’impressionner sur des patins à glaces, d’un autre côté– et avant de lui laisser place libre pour faire preuve de ses talents à son tours –ou risquer de se casser un genou, ça pouvait marcher aussi– elle se pencha pour lui chuchoter quelque chose à l’oreille.

« Et t'as intérêt d'assurer, je crois que y'a la petite de l'hippoball qui te regarde.
— Mais- ! Il se retourna pour jeter un œil autour de la piste et ne remarqua pas la silhouette désormais familière de la fille dont elle parlait ; il en fut un peu soulagé et se tourna de nouveau vers Jordan avec un ricanement nerveux. Va falloir m’expliquer ces histoires là parce que moi je comprends rien et tout le monde m’embrouille avec cette fille alors que je la connais même pas ! »

Jay n’avait rien contre elle –comme il l’avait dit, il ne la connaissait pas, il ne pouvait donc pas la juger– mais les bruits de couloirs qui commençaient à s’élever à leur sujet lui donnaient l’impression qu’il avait manqué un épisode et il n’aimait pas être le seul à ne pas comprendre les vannes ; encore plus quand ces dernières le concernaient.

« Tu vas moins rigoler quand j’aurais finis de t’éclater et que tu devras m’apporter le petit-déj’ au lit pour toute la semaine, ouvre grand les yeux ! »

Le sourire narquois de Jordan n’annonçait rien de bon quand à la suite de la discussion.

« Tu comprends rien, Jay.
— Bah oui c’est ce que je viens de dire ! S’exaspéra le jeune homme, en riant de dépit. Explique moi, non ? Au lieu de me narguer là ! »

Elle ne lui répondit pas cependant –mis à part de terribles remarques qui le heurtèrent profondément dans sa masculinité (non)– et acheva la conversation pour effectuer une nouvelle figure plutôt pas mal exécutée, quoique maladroite sur la fin –l’équilibre disait-elle.

« C’est ça de pas aider tes potes en galère, ça donne la poisse, rétorqua Jay en feintant l’indignation quand bien même son sourire en coin disait tout le contraire. Tu t’es pas fait mal ? »

Une fois rassuré, il s’éloigna d’elle de quelques mètres en glissant au hasard sur la piste avant de se retourner vers son amie.

« Bon on dit que si je gagne, tu m’expliques tout ce bordel, ok ? »

Et sur ces mots, il s’élança de nouveau en priant pour ne pas finir les fesses par terre.