waves at you — AsterっAntigone

tu as mal dormi.
peut-être que c'est parce que tu t'es fait réveiller en pleine nuit.
peut-être que c'est plutôt l'appréhension de la retrouver dans la tour de l'horloge.
peut-être, peut-être, peut-être.
cela ne t'a toutefois pas empêché de taper ton parchemin du bout de ta plume avec impatience tout en jetant périodiquement un regard à ta montre, t'éclipsant de la salle de classe dès que la cloche avait sonnée.
te voir traverser le château d'un pas pressé, c'est commun.
te voir grimper les escaliers plutôt que de les descendre — vers les profondeurs des sous-sols pour retourner à ta vie de reclus, un peu moins.
mais à force d'avoir arpenté les couloirs par le passé, pour trouver des endroits plus calmes pour t'y réfugier, tu connais ton chemin vers le point de rendez-vous que tu lui avais proposé.
et une fois arrivé, quelques minutes avant l'heure, tu t'étais dirigé vers la plateforme principale, observant les quelques silhouettes floues déambulant dans la cour en contrebas. à midi, t'indiques les immenses aiguilles en face de toi, tu tends l'oreille, captant du même coup les bruits de chaussures claquant contre la pierre.
antigone s'avance, se place devant toi, et ton expression réservée craque, laisse apparaître un mince sourire.
il n'y a que nous.
oui. que tu murmures, en réponse à son exclamation précédente. tu ne sais pas si c'est une bonne chose, d'être seul en sa présence. autrefois, c'était facile de l'ignorer, mais à force de persistance, elle s'était taillée une place dans ta vie et soudainement, tu n'avais plus été capable de faire abstraction au charme du sang de vélane qui coule dans ses veines.
pendant un instant, tu veux te rapprocher, mais tu chasses la pensée parasite, reste figé sur place sans esquisser le moindre geste — même quand c'est elle qui s'invite dans ton espace personnel quelques secondes.
puis elle se rétracte, impose de nouveau une certaine distance, déclarant qu'elle s'était levée tôt pour te montrer ce qu'elle avait fait.
on a pas tous la chance de faire la grasse matinée.
tu t'exécutes quand la gryffondor te demande de fermer les yeux, après avoir froncé les sourcils et jugé que comme il n'y avait pas de public, t'embarrasser rien qu'en face d'elle n'était pas un problème outre-mesure.
la pression dans tes cheveux te rend perplexe, et celle au niveau de ta gorge d'autant plus, mais tu attends patiemment qu'elle t'autorise de nouveau à lever les paupières.
et quand elle le fait, ton regard tombe instinctivement vers le bas, note le noeud papillon à la couleur criarde et tu retiens difficilement un rire léger. tu n'as pas besoin de vérifier ce qu'elle a posée sur ta tête, tu sais très bien ce qui s'y trouve.
est-ce que c'est parce que j'ai osé dire que je ne porterais ni de rose, ni de chapeau, que tu as décidé de me prouver le contraire?

tu lèves les yeux vers le plafond, plus amusé par le ridicule que tu arbores, que mortifié. pour quelqu'un qui a bâti sa vie autour de préjugés et d'apparences, tu sembles en secouer les fondations, un jour à la fois.
si tu le dis.
tu n'as pas l'habitude des couleurs, on t'a toujours drapé de teintes ternes et sobres et tu t'en es contenté sans jamais protester. au final, tu y trouves un certain réconfort, à porter quelque chose qui ne détonne pas dans le paysage, tu peux rester effacé, une ombre longeant les murs.
ton sourire quitte tes lèvres, lentement et tu fronces les sourcils face à son constat.
mais antigone n'a pas tort. il y a rarement quelque positivité qui éclaire ton visage, tes traits trop souvent coincés en une expression pincée ou indifférente. et le peu de fois où tu te fais civil et souriant, c'est factice. pour plaire à tes parents, alors que tu ne veux être qu'à des lieues des réceptions mondaines dans lesquelles on te force à aller.
puis, il y a les moments, rares, comme aujourd'hui, où c'est sincère — exacerbé par ce qu'elle dégage, mais bel et bien réel.
je ne suis pas triste.
en colère contre l'humanité, plein de haine et de ressentiment, mais pas triste.
le silence ne dure qu'un instant, de nouveau brisé par ses mots qui tombent un peu trop près des insécurités qui t'habites.
à ce point ? c'est soufflé, doucement, lacé d'une incertitude à peine voilée. tu me vois avec quelles couleurs ? en excluant le rose.
à défaut de sourire, il n'y a pas de tension dans tes épaules, rien qu'une lueur inquisitrice dans ton regard.

elle recule et tu ne bouges pas, feint l'immobilité alors que bourdonne sous ta peau l'envie d'avancer d'un pas. tu forces ton regard à la quitter pour se poser sur le verre de l'horloge, à observer le paysage distordu au travers celui-ci.
cela ne t'empêche toutefois pas de noter sa présence dans la périphérie de ta vision, et par le fait même, tu ne sursautes pas quand elle tend le bras pour récupérer le noeud — t'ayant fait part d'une couleur qui t'irait selon elle.
orange... tu muses, t'efforces d'imaginer la teinte évoquée sur ta personne et fini par conclure que, peut-être. pourquoi pas, même ? qu'est-ce qui t'en empêche ?
toi, probablement.
le corbeau avait raison après tout, tes chaînes, tu les as enfilées sans rien dire et tu t'y es plié sans chercher à te rebeller. on te donnerait la clé que tu ne saurais pas quoi en faire.
avance.
tu lèves plutôt le bras pour récupérer le chapeau qui trône encore sur le sommet de ta tête, le tournant distraitement entre tes doigts pour occuper tes mains — avant de faire quelque chose que tu regretterais.
tu n'es pas aveugle, perdu certes, mais tu sais discerner la distance instaurée et les limites à ne pas franchir.
ça n'a pas toujours été comme ça, et l'époque où tu n'avais pas ces stupides envies de plaire à tout prix, de lui plaire, te manque terriblement. c'était plus facile d'apprécier sa présence sans les pensées parasites qui te murmuraient de chercher son contact.
maintenant, à défaut de te chercher, elle recule.
je sais.
tu esquisses finalement un sourire.
j'ai pris l'habitude d'être gris, il est probablement temps de choisir moi-même mes couleurs.

c'est risible, comme rencontre.
un instant, tu te plains d'une couleur criarde, celui d'après, c'est le temps des aveux dissimulés en analogies bancales et des questions qui s'aventurent trop près d'une part d'ombre et pleine d'angoisses que tu souhaites étouffer à tout prix.
c'est à ton image au final, plein de faux-semblants et de contradictions.
tu ne dis rien pendant quelques secondes, carre la mâchoire quand ses doigts se posent une seconde sur ton visage, te ferme les yeux.
et pourtant, plongé dans le noir, tu ouvres tout le même la bouche.
je présume que je n'ose, tout simplement, pas rectifier la situation.
tu manques du courage des lions, de la justice des blaireaux et de la sagesse des aigles.
tu n'as que ton ambition, et même, tu ne sais même pas si c'est réellement la tienne ou celle que l'on t'a forcée au fond de la gorge depuis ta naissance.
c'est plus facile de se laisser faire. de se laisser mourir, comme tu le dis. mais au fond, tu es fatigué, las de faire tout ce qu'on te demande. l'avantage, c'est que je suis au courant de ce qui cloche.
si tu déplores la façon dont on t'a ouvert les yeux — tu aurais préféré en faire la découverte par toi-même, plutôt que de te faire cracher la vérité en pleine figure et en compagnie de ta fiancée, le mal, ou plutôt le bien, est fait.
mais bon, une chose à la fois. je ne changerai pas mon monde en un claquement de doigts.
ce serait trop aisé.

aussi rapidement qu'elle avait changée, l'ambiance se transforme de nouveau.
las et fatiguée, de l'angle de ses épaules à sa tête qu'elle secoue après que tu aies lâchés tes mots précédents.
tu ne caches pas la confusion qui s'est fait une place sur ton visage, tes doigts s'étant arrêtés de jouer avec le carton jaune qui constituait le chapeau. elle ne t'avait pas demandé de changer, c'est vrai. tu savais seulement que ton monde gris et terne avait besoin d'être remanié, que le orange était une bonne idée.
si j'ai à changer, c'est pour moi, je sais.
quand antigone se décale, à quelques pas de distance, tu t'étais légèrement avancé — mû par l'inquiétude plutôt que l'envie réelle de la poursuivre. elle qui semblait si rieuse précédemment, t'apparaît bien loin désormais.
et lorsqu'elle commence sa phrase, marque une pause, tu n'oses pas la brusquer, l'encourageant plutôt en silence de terminer ce qu'elle veut dire. sauf que ça ne vient pas, c'est plutôt une exclamation qui t'arraches un infime sursaut qui lui échappe.
je suis vexé d'être mis si rapidement dans le même panier.
tu te veux amusé, mais ton timbre est trop creux, manque de sincérité.
si tu le dis, antigone. le silence s'étire, tu ne sais pas quoi ajouter, et quand tu t'exprimes de nouveau, tes paroles dépassent ta pensée. mais est-ce que tu le penses réellement ?

tu avais maintenu une certaine distance, pas suffisamment près pour la toucher.
mais d'un pas, elle la réduit — au point où tu peux sentir son souffle effleurer ta peau, te repousse du plat de sa main et tu abdiques.
recule, restant sagement en place.
tu observes le visage d'antigone s'animer, son rire s'abîmer avant de franchir ses lèvres et ultimement, son éclat s'éteint tout aussi subitement qu'il était apparu. et tu ne sais pas quoi faire.
tu présumes que tes mots n'étaient pas les bons, que tu aurais dû te taire. c'était mieux pour tout le monde après tout, que t'évites de vous mettre dans l'embarras comme ça.
j'en doute fortement. que tu murmures.
tes yeux découvrent finalement le monde pour ce qu'il est, après avoir passé une éternité à porter des oeillères pour masquer tout ce qui ne convenait pas à l'idéologie dans laquelle on t'avait endoctrinée.
n'es-tu pas satisfait de qui je suis ?
si. tu maudis seulement l'affection que tu lui portes.
on est pas bien, tu penses ?
cette question te laisse interdit, te force à réfléchir avant de laisser ta langue se délier pour s'exprimer.
actuellement, je ne crois pas. ton prudent, ton incertain, avec tes doigts qui sont toujours crispés sur le papier. je préfère les couleurs et les lézards aux situations... tu agites la main vaguement, nerveux. pareilles.
tu inspires doucement, alors que ton expiration est, quant à elle, tremblante.
je ne t'ai même pas dit merci. tu lèves le chapeau et pointe le noeud qu'elle tient toujours du menton. j'oserais dire qu'au final, c'était un portait plutôt ressemblant.