Cause I'm with you ft. Best Bro

Qu’est-ce qu’un gars sympa comme toi fait sur un canapé comme celui-ci ? Dispute avec son meilleur pote ? Quelles sont les chances que ça arrive dites-moi. Je déglutis, n’osant pas tourner le regard dans sa direction ou même entrer en contact avec les coussins qui nous séparent. J’ai peur d’entendre fuser une réplique sarcastique ou des reproches à peine voilés. Mais ce n’est pas ce qui lui échappe, au contraire. Le sentiment qu’il révèle fait écho au mien. La crainte d’en avoir trop fait, de ne plus pouvoir faire marche arrière pour réparer les pots cassés. Ne plus oser faire un pas en avant de crainte de chambouler l’équilibre précaire qui est resté après la tempête. Je comprends trop bien. À croire que nous en sommes au même point, la même blessure au cœur et la même peur au ventre. La fin, toutefois, me surprend un peu. Assez pour que mes iris gris-bleu se posent sur lui. Si moi je suis en colère ? Ou même déçu ? Je risque un sourire.

« Il est probablement déçu de savoir que tu fumes toujours en tout cas. »

L’odeur te colle aux vêtements, surtout si tu te laisses dépérir dedans. Mais malgré tout on ne change pas. Je m’inquiète toujours pour ta santé, je vais continuer à être sur ton dos et à te faire chier avec ça. Même si, dans l’immédiat, je me ramène à l’ordre et détourne à nouveau les yeux. Passant ma main contre ma nuque, j’essaie de trouver une réponse plus satisfaisante.

« Je peux pas parler à sa place, je le connais pas ton pote, mais je pense que… Qu’à sa place j’aurais juste envie de retrouver mon bro. Et surtout… Surtout que j’aimerais m’excuser. Même si je regrette pas nécessairement certains des choix que j’ai fait et que je mentirai pas en prétendant le contraire, quelque part en chemin je l’ai blessé et ça, c’est… »

Je marque une pause, respire profondément en cherchant mes mots et en baissant la tête. À nouveau, j’ai l’impression d’être terrifié. Que tout ceci ne tient qu’à un fil et que la plus petite maladresse dans mon discours pourrait mettre un terme à tout ce qui nous uni, tout ce qui nous a rapprochés par le passé. J’ai beau essayer de prétendre le contraire, je n’en mènerais pas large si je devais vraiment perdre mon frère de cœur.

« C’est quelque chose que je peux difficilement me pardonner et que je regrette beaucoup. C’est ce que moi j’aimerais lui dire, à mon meilleur ami. »

Alors c’est ce que je devrais lui dire ? Il comprendra ? Ça me rassure juste assez pour oser jeter un regard vers Gus à la dérobée. Le regarder se réinstaller avec son coussin et chercher ses mots. Ouais je sais, je suis tombé à l’improviste, mais quelque part je pense que lui aussi il pensait à tout ça depuis un moment. J’espère en tout cas, parce que ça m’aurait fait mal qu’il ne soit pas aussi affecté par notre dispute que moi je l’étais. Mais je suis loin du compte, je m’inquiète pour rien. Les mêmes peurs, les mêmes regrets. À croire qu’on a vraiment grandit ensemble, c’est fou, n’est-ce pas ? Lorsqu’il soupire, je tourne moi aussi mes yeux vers la cheminée, tendant néanmoins l’oreille pour ne rien perdre de la fin. J’aurais juste envie que les choses redeviennent comme avant. Moi aussi. Mais pas que.

« Je pense pas que c’est ce que moi je voudrais. Je pense que ça me suffirait pas. »

Je fais mine de m’installer plus confortablement, de kidnapper un autre coussin qui traîne dans le coin et de m’enfoncer davantage dans le canapé. Je suis confiant, en pleine maîtrise de la situation, j’ai pas du tout peur que ça backfire voyons. Je n’évite pas son regard de peur d’y lire quelque chose qui me décourage de poursuivre sur ma lancée.

« Je pense que… j’ai pris mon meilleur ami pour acquis. J’aimerais qu’on retourne sur les toits, ça fait longtemps. Qu’on fasse plus de trucs, même des nouveaux trucs. Qu’on s’amuse plus, qu’on se parle plus. Et j’aimerais aussi pouvoir te donner un coup de main avec tes études et en échange tu pourrais peut-être me donner des petits cours de moto ? Je sais pas. Faire des trucs fun ensemble. Mettre de la musique si fort que les gens de la chambre d’à côté viendront se plaindre à trois heures du matin. Je veux pas juste que ça redevienne comme avant. Je veux être un meilleur ami pour toi, je veux… Je veux pas risquer de te perdre encore parce que je t’aime trop pour ça et que je sais pas ce que je ferais sans toi et bordel tu me manques. »

Oups. Je crois que je me suis laissé emporter un peu trop. Gêné, je me réassis plus droit, regard fuyant et main contre la nuque.

« Enfin, c’est ce que je lui dirais à lui, mon meilleur ami, s’il était là… Bien sûr. Mais il est pas là… C’est con… »

J’ai choisi de me jeter à l’eau, de prendre un risque et de lui dire les choses telles que je les ressens. De lui partager ce dont j’aurais vraiment envie : retrouver mon meilleur ami et ne plus commettre les mêmes erreurs. Ne plus laisser le quotidien et les aléas de la vie nous éloigner l’un de l’autre. Faire plus de choses ensemble, se remonter les manches et bosser fort ensemble pour faire de cette amitié quelque chose de durable et solide, pour que nous n’ayons plus de regrets. La réplique de Gus me laisse un instant perplexe et j’ignore si c’est dit innocemment ou pas. Comme ça il me faudra beaucoup de cours avant qu’il ne me laisse seul avec sa précieuse femme ? J’ai si mauvaise réputation que ça maintenant ou il a juste peur que je l’abîme ?

T’inquiète pas, mon cœur est déjà pris. J’ai pas de vues sur ta femme.

« Ça va, je suis certain que je ne ferais pas un si mauvais conducteur que ça. »

Telle est la réponse que je me force à donner. J’ai pas envie d’imaginer le pire, de lui prêter de mauvaises intentions. Le bénéfice du doute, voilà ce que j’ai envie d’offrir à Gus. Peut-être que je devrais pas, je ne sais pas. Mais j’ai envie de le lui donner. Et je crois que j’ai fait le bon call parce qu’il reprend en m’avouant que mon meilleur pote est un crétin fini. Qu’il faudrait être con pour faire la gueule à quelqu’un comme moi. Je m’empresse donc de m’en mêler.

« Ouais, c’est un vrai crétin. Mais c’est le mien alors attention à comment tu parles de lui devant moi. »

C’est dit avec le sourire et, surtout, le regard doux. Moins un reproche qu’un rappel. Je suis là, I’ve got your back et je ne laisserai personne dire de la merde à ton sujet, pas même toi. Ceci étant dit, même si j’ai fait mon propre petit discours, je ne représente qu’une moitié de l’équation. S’il y a eu conflit à la base, c’est que Gus s’est senti blessé, qu’il avait des choses à me reprocher. Et que, de mon côté, il y a aussi eu des trucs que j’ai pas aimés, même si y’a des chances que j’aie juste mal compris. Alors autant en profiter pendant qu’on est là, que la conversation fonctionne et qu’on a l’air de faire des progrès.

« Et de ton côté, si ton meilleur ami était là tu lui dirais quoi ? Est-ce que… Est-ce qu’il y a des trucs qu’il aurait besoin de savoir ? »

J’hésite à retenir mon souffle. Va-t-il me faire des reproches ? Est-ce qu’il hésite encore à renouer ? J’ose croire qu’on est bien partis, mais j’ai quand même peur. Après tous ces progrès, ce serait tellement souffrant de voir tout ça prendre une mauvaise route. Mais en même temps est-ce que je pourrais vraiment le lui reprocher ? Non, je pense pas. Je veux qu’on y trouve notre compte tous les deux, que les choses s’arrangent et qu’il ne reste pas de ressentiments, d’un côté comme de l’autre. Alors, quoi qu’il me dise, je vais l’encaisser et le respecter, parce que je lui dois au moins ça. Mais, une fois de plus je m’inquiète pour rien. Faudrait qu’il sache que je tiens à lui, parce que je le lui dis pas assez. Je suis profondément touché, comme en témoigne mon regard de bébé chien. Tu tiens à moi ? Reaaally ? Une des meilleures choses qui lui soit arrivé ? Moi aussi je dois détourner les yeux et je croise les bras pour essayer de pas devenir émotif. Surtout pas ici dans la salle commune. D’accord y’a personne, mais on sait jamais. Et même si c’est déjà beaucoup plus que tout ce que j’aurais pu demander, Gus n’a pas encore fini.

Faut qu'il sache que je le soutiendrai quoi qu'il arrive, même si je suis pas toujours d'accord avec lui. Ça aussi ça me touche. Genre vraiment. Ouais bon, je crois que je me sens devenir sentimental, assez pour accepter le bout de plaid qu’on m’a offert et me blottir dessous, en regardant ailleurs. Two bros chilling on a couch without making eye contact because they’re not gay. Enfin, pas gays l’un pour l’autre en tout cas, autrement ça se discute, mais passons. Argus ne compte pas m’abandonner et, vraiment, ça me rassure. Ça me soulage. Ça me permet de recommencer à respirer sans sentir mon cœur qui chute dans ma poitrine. Crois-moi que j’ai pas envie de me débarrasser de toi, mon nain préféré. Mais il faut que ça reste entre nous, parce que c’est des trucs difficiles à assumer et que je devrais pas vendre la mèche à son bro. À la place il va juste écouter Black Sabbath et lui enseigner à faire de la moto. J’acquiesce pour le rassurer.

« Ça reste entre nous, je lui répéterai rien. J’emporterai tes secrets dans la tombe. En plus Black Sabbath… Je crois que je vais être un peu jaloux de ton bro, vous avez de bons goûts musicaux. »

Est-ce qu’il est trop tard pour aller chercher la radio et monter sur les toits ? Il est pas encore 3am techniquement. Peut-être même qu’il est encore un peu trop tôt. Mais, avant que je ne puisse lui en parler, Gus a reprit la parole, au sujet de la cigarette cette fois. Ah, ce fameux running gag que j’ai moi-même évoqué. Maintenant qu’il le dit comme ça, je me sens un peu forcé de passer aux aveux aussi. Je me frotte la nuque, tentant de m’expliquer avec le regard fuyant.

« En vrai je crois que c’est pas aussi littéral que ça. Enfin, ouais, il aimerait sans doute que t’arrêtes pour de vrai, mais… T’sais j’ai déjà lu quelque part que certains ados commençaient à fumer pour avoir de l’attention tu vois ? Alors… Enfin, si j’étais ton bro, je te ferais sans doute la remarque chaque fois que je peux pour que tu saches qu’on porte attention à toi. Que ta santé compte pour quelqu’un, parce que tu mérites qu’on s’inquiète pour toi. Et qu’on veuille te voir réussir et t’épanouir et être heureux. Alors… Peut-être que ton bro a choisi de prendre ce rôle-là, quitte à être chiant, parce qu’il t’aime beaucoup. Et qu’il s’excuse si des fois il est un peu chiant avec ça. »

Je suis pas aussi coincé et plein de jugements que j’en ai l’air. Ma campagne anti-tabac c’est pas qu’une question de balais volant dans le cul, mais bien de porter attention à mon meilleur ami et de montrer qu’on le remarque. Qu’on fait attention à lui. Qu’on veut qu’il soit en santé. Peut-être est-ce maladroit, peut-être n’est-ce pas toujours bienvenu, mais au moins j’ai la chance de lui expliquer mes motivations, sans savoir à quel genre de réaction m’attendre. La réponse est un marmonnement que mon oreille fine arrive à capter. C’est pas grave s’il est chiant, ça me dérange pas. Tel est donc le verdict. Je suis effectivement chiant, mais c’est pas un drame. C’est pas grave. Il me déteste pas pour autant. Quelque part il y a de quoi être rassuré. Je m’interdis tellement de choses, crains tant de faire un faux pas, je ne peux pas en vouloir à ceux qui me pensent ennuyeux et sans intérêt. Je ne peux pas en vouloir à Gus de me trouver chiant parce que je sais qu’il a raison. Mais, au moins, ça ne dérange pas. C’est pas nécessairement ce que j’aurais voulu, le rôle que j’aurais aimé assumer, mais c’est le mien.

Mon ami de pratiquement toujours en profite donc pour évoquer ce qui l’avait motivé, à la base. Emmerder sa mère. Ouais, rien de nouveau sous le soleil. Leur relation semble assez compliquée et, malgré moi, me fait me sentir d’autant plus reconnaissant pour le lien qui existe entre moi et ma propre mère. C’est juste dommage que Gus n’ait pas ça. Que leur situation soit plus complexe et moins harmonieuse. Peut-être que, avec le temps, ça changera en mieux ? Je le leur souhaite en tout cas, du fond du cœur. Ce moment passé, mon camarade blaireau s’excuse, n’aillant pas voulu m’inquiéter, même s’il est bien conscient que j’ai toujours fait attention à lui. Je lui adresse un sourire amical, un peu détendu.

« Faut bien. Les canards de l’espace ça ne court pas les rues et j’ai pas envie de perdre le mien. »

Ce après quoi je me permets de m’installer plus confortablement et de retirer mes souliers. Maintenant qu’on a prit possession du canapé, pour ne pas dire de la salle commune, autant en profiter. Surtout que j’ai l’impression de pouvoir vraiment me détendre pour la première fois depuis un petit moment. Depuis la nuit que j’ai passée avec Bertram au salon commun, au premier. Je peine à réprimer un léger sourire en coin à cette évocation, mais heureusement mon gros bon sens revient vite au galop. Pendant que j’y pense, c’est peut-être pas une mauvaise idée d’en parler. Enfin, je vais devoir faire attention, moi qui suis parfois aussi délicat qu’un hippogriffe dans un magasin de porcelaine. Alors je me râcle la gorge et cherche mes mots, effrayé à l’idée de gâcher ce qu’on vient tout juste de sauver.

« Et sinon… Enfin, on est pas obligés d’en parler maintenant. Je sais que vous avez discuté, il m’a raconté dans les grandes lignes, mais du coup… Je me demandais ce qu’il en était de ton côté, vis-à-vis de Bertram. Et ce que tu penses de tout ça. J’avoue que… j’aurais aimé pouvoir te demander ce que t’en pensais plus tôt. Parce qu’en vrai ça me fait peur et que je sais pas si je devrais me permettre… ces choses-là. Imagine si je le mettais en danger juste en passant du temps avec lui. »