«
Florence ? Florence ? »
Madame Woolf appela deux fois, pas une de plus. Si elle ne répondait pas après deux appels, une cinquantaine supplémentaire ne seraient pas plus efficaces. Elle laissa échapper un long soupir de fatigue maternelle avant de soulever lourdement son pied pour grimper les marches de bois grinçant de la maison familiale. Sa fille était un véritable enfer. Il suffisait qu’elle plonge son attention dans la moindre bricole pour doubler sa peine et devenir sourde en plus d’être muette.
À peine avait-elle passé la dernière marche du petit escalier qu’elle manqua d’en dévaler l’intégralité à la vitesse supérieure. Elle avait glissé sur un objet non identifié et s’était rattrapé à la rampe métallique d’une main tremblante, une ou deux marches plus bas. Après un bref moment de pause où elle contempla la futilité de sa courte existence, elle souleva son pied droit pour découvrir une sorte de babiole tout droit sortie d’un film de science-fiction empalée dans son talon.
«
Florence ! »
Inutile d’hurler ainsi, elle le savait. Mais ça lui faisait un bien fou. Après avoir difficilement retiré l’objet de sa perte de sa chaussure, elle avança d’un pas carrément énervé vers la porte de sa fille.
«
Florence, si tu es encore sur ton ordinateur-- » elle se tue dès la porte ouverte en découvrant son interlocutrice assise en tailleur, en train de trafiquer quelque chose au chalumeau. «
Florence ! Pour l’amour du ciel ! Qu’est-ce que tu fais ? »
Aucune réponse ne vint de sa fille. Elle avait beau être face à elle, elle semblait dans un tout autre monde. Furieuse d’être ignorée ainsi, Madame Woolf fit un pas en avant et, après avoir hésité à frapper la babiole de l’enfant tel un ballon, elle saisit la main de sa fille et la tira sur le côté. Voyant une réponse plus que molle de la part de la môme, Madame Woolf, en bonne éducatrice, pris immédiatement sur elle de faire son travail de mère, et claqua sèchement la joue de sa fille. Elle se saisit des lunettes de protection qui étaient posées sur le nez de Florence.
«
C’est pour ça que tu m’as fait acheter ces lunettes ? Mais tu as complètement perdu la tête ma pauvre fille ! J’ai failli trébucher sur tes idioties, j’aurais pu me casser le cou ! »
Florence, pour toute réponse, souffla d’un air impatient en regardant ailleurs. Le bras levé de Madame Woolf fut stoppé par l’appel d’une voix plus âgée que sa cible.
«
Maman ? Je suis prête !-
Ah, oui ! Je suis là ma puce ! » répondit Madame Woolf en se recoiffant rapidement. «
Ne crois pas t’en tirer à bon compte, toi. » relança-t-elle à Florence alors que Beau pénétrait la chambre.
«
On part quand tu veux. Je crois que le train est dans pas bien longtemps. » dit-elle nonchalamment en entrant. «
Il y a un problème ? » elle ajouta, en lisant l’ambiance de la pièce.
«
Ta sœur jouait avec un chalumeau. Un chalumeau ! Tu y crois, à ça ?-
Oui. » répondit simplement Beau en rigolant. «
Pas toi ? »
-
Eh bien… Oui, oui bien sûr ma chérie. » Florence lâcha un regard plein de détresse à sa sœur, mais Madame Woolf, occupée à se remettre la robe en place, n’y préta pas attention. «
Je vais préparer la voiture. On part dans cinq minutes ? »
Et en un rien de temps, Beau et Florence se retrouvèrent seules.
C’était la première fois que Florence allait se retrouver réellement séparée de sa sœur.
Beau entra à Gryffondor. Elle se fit beaucoup d’amis, s’intégra parfaitement à la vie à Poudlard, obtint des notes juste assez bonnes pour être considérée une bonne élève et continuer son espièglerie. Comme quoi, bien qu’elle lui manquât, elle n’avait pas besoin de sa sœur pour se débrouiller. Aucune surprise.
Florence continua l’école primaire. Elle se referma encore plus sur elle-même et passa son temps à développer ses compétences en mécanique et à apprendre des choses certes utiles, mais sans lien avec ses études. Elle avait des notes folles à l’écrit et des bulles à l’oral. Sans oublier le fait qu’elle lui manquât, elle se sentait complètement perdue sans sa sœur. Aucune surprise.
À terme, Florence parvint à développer des mécanismes pour se débrouiller sans Beau. Pour commencer, elle refusait de passer du temps avec ses petits camarades, ou même n’importe qui par ailleurs. Elle se forgea un mécanisme de défense qui l’incitait à ne pas espérer quoique ce soit de quiconque. Ainsi, elle n’eut jamais le cœur brisé par une mauvaise amitié, car elle n’en avait aucune. Contrairement à ce qu’elle laissait, et laisse paraître, elle déteste la solitude. Elle la hait.
Elle prenait cependant désormais le temps d’écrire sur son gros téléphone pour communiquer avec ses proches. Ça se résumait principalement en de très courtes phrases au ton froid et dur, mais le fait de pouvoir au moins tenir ce qui ressemblait à une discussion avec sa fille attendrit quelques peu la rigueur de Madame Woolf.
Il lui arrivait d’envoyer quelques messages à Beau pendant l’année, mais elle préférait noter tout ce qu’elle avait à lui raconter pour pouvoir partager ces moments pendant les vacances de noël ou d’été. Le lien fort entre les deux ne s’effrita jamais.
Et finalement, quatre années passèrent.
Florence gagna quelques centimètres, Beau quelques dizaines.
«
Bon ! Nous y voilà ! » s’extasia Monsieur Woolf.
Quel bonheur, quelle joie de voir ses deux filles partir en école de magie. Finalement, même la petite Florence y allait. L’idée de faire un pas de plus vers une descendance digne de ce nom donna un petit coup d’adrénaline à Monsieur Woolf, culminant à un point de charge entre ses deux jambes, qui manquèrent de le lâcher tant son plaisir était grand.
«
Ah je me souviens de ma première fois ! Que de souvenirs, que de bons moments ! Ah si seulement je pouvais revivre ma première année à Poudlard. » Son discours continua sur à peu près vingt minutes. De la voiture, jusqu’aux quais 9 et 10.
Beau fit un clin d’œil à sa sœur et fonça au travers du mur en un clin d’œil. Monsieur Woolf s’agenouilla près de sa fille.
«
Bon, alors n’oublie pas, c’est tout droit, et pas de détours ! Donc, ferme les yeux un instant. » Monsieur Woolf ferma les yeux en souriant, sans vérifier que sa fille fit de même. «
Et imagine-toi le quai 9¾ ! Un beau quai, avec des murs de briques et un superbe train de-- »
Le son d’un caddie partant à pleine vitesse l’interrompit dans son discours. Il rouvrit les yeux juste à temps pour apercevoir une petite forme passer au travers du mur face à lui.
«
… Florence ? »
Florence eut un haut-le-cœur lorsqu’elle se rendit compte que son caddie venait de lui échapper des mains et partait désormais à pleine vitesse au travers du quai. N’importe qui aurait crié attention, aurait prévenu les autres passagers du danger imminent qui manquait de les renverser.
Florence, elle, mit simplement une main devant sa bouche, d’un air tout juste un peu désolé.
Le caddie dévala le quai, manqua de renverser trois familles, et s’apprêtait à s’éclater contre un petit vieux qui regardait ailleurs lorsque, sans aucune raison particulière, il se mit à se soulever dans les airs. Il se balada tranquillement au-dessus d’une bonne douzaine de têtes avant de venir se déposer paisiblement juste devant Florence.
C’est à ce moment qu’elle se souvint qu’il n’y avait pas que des choses sans valeur dans son caddie. Sa première pensée alla à son matériel de fabrication. Elle se jeta sur la petite valise contenant le kit complet. Elle eut tout juste le temps de s’assurer que rien n’était cassé avant qu’un battement d’aile la fasse sursauter. Athènes ! Elle… l’avait quelques peu oublié. L’oiseau semblait l’avoir compris, et ne semblait pas très heureux de la situation. Impossible de savoir si c’était son but, mais on aurait pu jurer que la chouette lui faisait une moue terrible. Un petit rire bourgeois interrompit la scène touchante.
«
Tout va bien, petite ? »
Un homme en robes verte rangea sa baguette en caressant sa longue chevelure blonde.
«
Inutile de répondre si tu n’en as pas envie, un simple merci fera l’affaire. »
Un long silence fut tout ce qu’il reçut.
«
Eh bien. Pas même un remerciement ? Puis-je connaître ton nom, petite insolente ? »
Pour toute réponse, Florence sorti son téléphone et pianota dessus.
«
Qu’est-ce que ? Petite esc-- » Son altercation fut interrompue par le bras de la jeune fille qui lui montra le téléphone sur lequel on pouvait lire en lettres grasses : «
who are you ? »
«
Oh ! suis-je bête, je ne me suis pas présenté. Excuse-moi petite. Je me nomme Ussain Herald, tu as sûrement entendu parler de moi dans la gazette du sorc-- » Sa tirade fut de nouveau interrompue par le téléphone de Florence, à nouveau tendu vers lui.
«
what do you want ? »
«
Erm. Eh bien. Je… je m’assurais que tu allais bien petite, voilà tout. »
Ayant sa réponse, Florence prit son caddie à deux mains, et se mit à le pousser vers le train, sans un mot, une lettre ou un regard supplémentaire, laissant Monsieur Herald complètement désemparé.
Florence chercha sa sœur du regard pendant un moment mais avait du mal à la trouver. Il y avait un tel monde qu’elle avait presque l’impression d’étouffer quelques peu.
«
Salut ! » Une voix aiguë interpella.
La petite dernière de la famille Woolf répondit par un regard interrogatif en direction de la personne l’interpellant sans raison. Une fille d’à peu près son âge, aux cheveux, plus blonds que le soleil, rangés en deux couettes symétriques lui souriait. Elle pointa Usain du bout du doigt.
«
Tu as vu ? Il est cool mon frère. »
Bien sûr qu’elle l’avait vu. Elle venait de se trouver face à lui. Quelle question idiote. Ne savant même pas quoi penser d’une telle perte de temps, Florence tourna le regard à l’opposé de son interlocutrice.
La voilà.
Beau était en pleine étreinte avec trois ou quatre élèves de son âge, et en saluait régulièrement d’autres en riant à gorge déployée.
«
Moi c’est Jessica Herald, mais tu peux m’appeler Jess, comment tu t’appelles ? » continua la petite blonde.
Florence voulu faire un pas en avant vers sa sœur, mais l’idée de venir lui coller les pattes devant tous ses amis la gela sur place. Elle eut comme un coup de chaud. Allez, ça fait des années qu’elle attendait ça. Passer du temps avec sa sœur.
«
Eum… bah… en tout cas avec les copines on a de la place dans notre wagon si tu veux venir. »
Non, non elle ne pouvait décemment pas coller sa sœur constamment. Elle était grande maintenant. Elle avait onze ans, bientôt douze, il fallait qu’elle se débrouille toute seule. Beau avait ses amis, elle n’avait pas à être forcée de se coltiner sa cadette toute l’année. Elle allait trouver son propre chemin. D’une façon ou d’une autre.
«
Si tu as peur de pas avoir assez d’argent j’en ai plein je pourrai te payer des grenouilles en chocolat. »
Florence tourna les talons vers la petite blonde et tapota rapidement sur son téléphone en tremblant. Elle fit plusieurs fautes et dut s’y reprendre à plusieurs fois. Elle n’avait vraiment, vraiment pas envie de faire ça. Mais c’était ça ou se planter tel un piquet devant la douzaine d’amis de sa sœur, tous infiniment plus cool qu’elle. Finalement, elle montra le téléphone d’un coup sec du bras en détournant le regard d’un air gêné.
«
hi i’m florence i’m not very talkative nice to meet you. »
Finalement, s’il y avait une chose que Florence craignait secrètement plus que l’ennui, c’était de passer une année supplémentaire toute seule.
Jessica lu le message d’un air attentif puis sourit.
«
Cool ! » Elle fit une accolade à Florence, ce qui la crispa violemment, avant de commencer à la tirer à l’intérieur d’un wagon. «
C’est quoi ton animal ? Oh ! Il est beau ! Moi j’ai un chat, il s’appelle Grizzly, tu veux le voir ? Il est déjà dans le wagon tu verras. »
Et c’est sur un violent éternuement de Florence que le train quitta le quai 9¾ et se dirigea vers Poudlard. Pour une toute nouvelle aventure.
Monsieur Woolf courait après le train en hurlant.
«
BEAU ! BEAU OÙ EST TA SŒUR ? BEAU RÉPOND MOI ! »
C’est un haussement d’épaule souriant qu’il reçut de la part de sa fille.
Il n’avait plus qu’à espérer que Florence était à bord du train, ou Madame Woolf l’étriperait. Ou pire, demanderait le divorce !