Mattheus Haubenestel. Que dire de ce garçon ? À vrai dire, il est difficile de commencer par la description de son état psychologique, tant sa vie tourne autour de son corps. Ses cellules nerveuses ont toujours soif de dopamine, et cette accoutumance ponctue toute la vie de Mattheus. À l’heure où vous éteignez votre réveil pour la troisième fois, l’Alsacien est déjà sous la douche, en train de réfléchir aux prochaines réussites. Son esprit sportif lui donne la qualité d’aimer toutes les victoires : tant les siennes que celles des autres. Mattheus va même jusqu’à comptabiliser des scores de réussite personnelle pour chacun de ses amis.
Malheureusement, cette qualité a aussi le don d’épuiser ses proches : son entrain, affleurant l’hyperactivité, peut rapidement donner le vertige aux moins dynamiques. Il paraît que certains de ses amis préfèrent se laisser perdre plutôt qu’avoir à subir son enthousiasme exacerbé. De fait, cette joie sans limite se traduit physiquement : ses victimes subissent régulièrement une tape dans le dos, des cheveux ébouriffés et/ou un check musclé. Or tout le monde n’est pas capable de supporter tant d’extravagance. Ceux qui ont fui face à cet énergumène restent quand même des amis dans l’esprit de Mattheus : ni revanchard ni colérique ; il préfère s’accrocher aux bons côtés des choses.
Cet état d’esprit sportif contribue à accorder à l’Alsacien la mention « d’esprit sain ». Mais (nan bah oui, on va peut-être arrêter de lui cirer les pompes), il y a un mais. Mattheus n’est pas très bon à l’école. Voilà pourquoi du haut de ses vingt-quatre ans, il stagne toujours en dizième année. Disons-le clairement : les cours sur les runes l’ont anéanti intellectuellement. Pendant que certains passaient leur temps d’étude à s’affairer à la bibliothèque, Mattheus préférait s’enforcir l’abdomen et les adducteurs. Sa lenteur d’apprentissage lui a permis de profiter au maximum des exercices de quidditch, et de suivre le même parcours que son ami le Breton. Sans cet ami les cours à Poudlard auraient un goût différent : personne n’aurait pu l’accompagner dans ses courses d’avion en papier, ou de compet’ de cartouches d’encre collées au plafond. Doués en tours de magie, ils parviennent souvent à surprendre leurs professeurs. L’un d’eux a même réussi à encourager Mattheus pour le restant de sa scolarité en lui disant qu’il n’avait « jamais vu un tel exploit », en parlant de son parcours scolaire chaotique. Il ne pouvait pas être plus heureux : un enseignant l’avait félicité pour un exploit, peu importe lequel.
La corde sensible de ce troll des montagnes à échelle humaine reste sa région natale. En période hivernale, l’Alsacien aime sentir l’odeur de la neige et entendre le craquement des pas au petit matin. C’est pourquoi il lui arrive d’être un peu moins performant courant janvier-février : son esprit s’échappe jusqu’à l’orée de la forêt noire, pour entendre les petits oiseaux restés courageusement dans la région.
L’Alsace peut s’enorgueillir d’avoir fait naître un individu tel que Mattheus : né d’un couple improbable mêlant esprit cartésien et esprit abstrait, le blondinet d'1m95 est unique en son genre. Comment ne pas l’être en voyant ses parents ? Sa mère militaire dans l’armée de terre fait du corps un véritable objet de culte, tandis que son père au foyer valorise la force de l’intellect. Partant de là, Mattheus aurait pu devenir un successeur de Juvénal, ou un disciple de Pierre de Coubertin. Cependant il est impossible de faire de cet espoir une phrase au présent de l'indicatif : Mattheus
aurait pu être tout ça. Au lieu de ça, le petit Mattheus choisit d’être sportif à temps plein, laissant l’esprit sain à d’autres. Le soir il rêvait des histoires que sa mère lui racontait en rentrant de ses tours du monde : l’idée de faire partie d’une équipe militaire contaminait la petite tête blonde. Le matin il était réveillé par le sourire contagieux de son père, toujours là pour prendre soin de ce fils unique affectueux. Ses premières semaines d’école n’ont été évidentes, ni pour lui, ni pour ses enseignants. Sa matière préférée était la récréation, il ne comprenait pas pourquoi cette épreuve ne faisait pas l’objet d’appréciations par les professeurs. Pourquoi ne pas encourager les minutes d’exercices sportifs ? Mattheus aimait voir le sol rouler sous ses petites baskets ; sentir l’air froid brûler sa gorge ; empaumer le ballon rond en plein vol ; distinguer les voix encourageantes de ses amis ; goûter au goudron lors d’une chute spectaculaire. Cette passion dévorante prit le dessus sur ses premières ambitions militaires. En grandissant, Mattheus comprit qu’une défaite militaire était trop douloureuse pour être satisfaisante. Il est évident que son père fut rassuré en le voyant prendre un chemin moins belliqueux que sa femme. Le jeune garçon ressentit une joie démesurée lorsque sa mère comprit qu’il valait mieux l’inscrire à des décathlons plutôt que dans des jeunes camps militaires.
C’est ainsi que grandit Mattheus : son emploi du temps scolaire s’enrichissait de compétitions sportives, auxquelles ses parents venaient l’encourager. Plus il grandissait, plus sa mère essayait de participer avec lui aux compétitions. Lorsqu’ils rentraient, son père avait déjà préparé un repas réconfortant et revigorant.
[Ah oui, petite recommandation du narrateur : ne vous amusez pas à le laisser sans nourriture pendant plusieures heures, vous risqueriez de le trouver allongé en position fœtale sous une table.]
La famille Haubenestel suivait son rythme quotidien de
biathlons-pomme de terre-sommeil, lorsqu’un jour le blondinet alla chercher le courrier, et remarqua qu’un courrier atypique lui était adressé. À la lecture de la lettre, Mattheus rougit. Il se demandait s’il s’agissait encore d’une lettre d’amour chelou, codée en langage de fille. Peu rassuré, il décida d’attendre que sa mère soit partie en mission pour aller voir son père. Deux soirs de suite, il essayait de rester davantage réveillé pour savoir si sa mère préparait son sac. Mais ses paupières se fermaient toujours puissamment, conduisant le garçonnet dans un monde onirique. Le lendemain matin il décida de changer de stratégie : à présent, il guetterait tous les matins le départ de sa mère. Avant de partir en mission, il y avait toujours le même rituel :
maman boit son café, mange deux croissants, fait un bisou à papa qui la suit partout où elle va, et elle part en disant « j’y vais chef ! ».
Premier matin : rien du tout.
Deuxième matin : Mattheus ouvre difficilement les yeux. Il entend beaucoup de bruit en bas. Machinalement, il attrape la petite bouteille d’eau sucrée posée sur sa table de chevet, et la boit entièrement. Mattheus n’a pas le temps de commencer son entraînement, qu’il entend son père dire à sa mère «
je t’en ai préparé un deuxième ».
Oh.Le grand jour était arrivé. Sa mère allait enfin partir en mission. Il allait pouvoir décoder la lettre d’amour relou avec son père, et établir un plan d’attaque. Mattheus se faufile vers la porte de sa chambre et l’entrouvre discrètement. À quatre pattes, la tête blonde a une vue directe sur la porte d’entrée de la maison. Il n’entend pas ses parents. Il attend longtemps, très longtemps, trèèèèès longtemps. Au bout de cinq minutes, son corps le rappelle à l’ordre. Une cruelle tragédie va se jouer de ce pauvre petit être. Une envie soudaine change toute sa vie. Mattheus se tord de douleur de droite à gauche, de gauche à droite. La douleur abdominale devient insoutenable. S’agissait-il d’un sombre sortilège avant l’heure ? Trépasserait-il ? Mattheus prend son courage à deux mains : le pauvre petit s’agrippe à la porte, étire tout son corps à l’extrême pour se tenir debout sur ses papattes, entend une voix maternelle «
j’y vais… – » et se met à courir de toutes ses forces dans le couloir.
« Piiiiiiiiiiiiipiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii »
« Euh… Je te laisse gérer ? » bredouilla la courageuse mère. Elle referma discrètement la porte d’entrée et partit avec un air désolé.
Seul face à son désespoir, Mattheus était arrivé à temps devant le divin trône. Lorsqu’il sortit de l’autel, il tomba nez-à-nez sur son père. Mattheus fit un petit sourire espiègle : il avait réussi à s’isoler discrètement avec le
traducteur-ultime-des-lettres-chelous. Son père ne comprenait rien à la situation : sa femme partait, son fils hurlait, et maintenant cet andouille souriait après un simple pipi. Cette nouvelle semaine risquait de ne pas être simple… Mattheus attrapa la main de son père et le traîna jusque dans sa chambre pour lui montrer le curieux courrier caché derrière l’oreiller. Ses petites mains enserraient l’enveloppe, il espérait que ce n’était pas Jessica qui lui avait écrit. Il n’aimait pas ses oreilles décollées.
Mattheus présenta l’enveloppe à son père qui reconnut rapidement l’enveloppe et le cachet de l’école : il rêvait de voir cette lettre. En tant que moldu, il n’en avait jamais reçu, mais depuis quelques années il avait entendu parler de cet endroit reculé où était enseigné la magie. Depuis peu, il accumulait toutes les informations possibles et imaginables qui fuitaient partout sur les réseaux sociaux. Il n’en avait jamais parlé à son fils, de peur de lui imposer son propre rêve. Saisi d’émotion, son cœur battait la chamade et les larmes inondaient ses yeux bleus. Il enserra alors son fils, avant même d’avoir pu lire la lettre. «
Ça y est c’est foutu. J’suis marié c’est ça ? Nan mais elle est moche Jessica. » pensa Mattheus. À cette pensée, il se mit aussi à pleurer toutes les larmes de son corps. Si petit et déjà marié… Et en plus avec c’te fille pas belle.
Azy c’est injuste.Cette tragique étreinte digne de Sophocle fut brisée par un claquement de porte très discret de la mère de Mattheus.
« Désolée, il ne restait plus que des brioches ».
Son père se releva, mais Mattheus continuait à pleurer «
là voilà, c’est le banquet du mariage qui commence. C’est fou-tu. ».
Interrogative, la mère ne comprenait rien à la situation. Pourquoi ces deux
zigotos pleuraient dès le matin ? Ok, la pluie c’est chiant, mais faut relativiser dans la vie…
Le père de Mattheus commença à expliquer à sa femme toute la situation : ce qu’était l’école des sorciers, l’enveloppe de Beauxbâtons, etc. Il ouvrit la lettre et essaya de faire comprendre à Mattheus qu’il ne s’agissait pas d’un faire-part de mariage forcé. Au fur et à mesure de l’explication, Mattheus pleurait de moins en moins, et sa manche se remplissait de plus en plus de morve dégoûtante. Il n’allait pas se marier avec Jessica, et c’était déjà ça de gagné. Une fois terminées ces explications scolaires, les parents regardaient leur fils bizarrement, comme s’il avait grandi en une seule fois. Sa mère serra discrètement sa mâchoire et ravala son émotion. Elle s’accroupit et planta son regard dans les yeux bleus de Mattheus :
« Mon fils, tu dois réussir une nouvelle compétition. Même si je ne t’accompagne pas cette fois-ci. »
L’apprenti sportif déglutit d’émotion. D’abord il fut rassuré de chasser le fantôme Jessica-mariage de son esprit. Ensuite il ressentit une peur d’être tout seul dans un environnement inconnu. En plus Beauxbâtons ça fait fille quand même. Enfin, un dragon commença à grogner à l’intérieur de ses tripes. Son corps se contracta et il hurla à pleins poumons :
« T’AS MENTI. TU ÉTAIS CENSÉE ÊTRE PARTIE EN MISSION LÀ »
Il fonça telle une fusée, jusque dans sa chambre et claqua dignement la porte. Abasourdi, les parents se regardèrent et échangèrent télépathiquement une remarque : «
Mais il est c… urieux ce gosse, ou quoi ? ». Sa mère, atterrée par la maturité de son fils préféra descendre réchauffer les brioches. Son père, prit l’air le plus sérieux du monde pour aller toquer à la porte de Mattheus. Il lui indiqua tranquillement qu’on était dimanche, et que s’il ne sortait pas de cette chambre, il allait inviter Jessica pour le dîner. La menace fonctionna à merveille : Mattheus sortit de chambre l’air penaud mais déjà prêt à manger son petit-déjeuner.
De jour en jour, la famille Haubenestel s’était fait à l’idée de cette nouvelle scolarité atypique. Mattheus a donc commencé à étudier à BeauxBâtons et a été agréablement surpris de découvrir de nouveaux sports, stimulant de nouveaux muscles. Sur place, il fit la connaissance d’un ami Breton, pour le plus grand bonheur de l’équipe pédagogique. Leur duo était si infernal que cela s’était terminé avec un joyeux coup de pied aux fesses après deux redoublements. Par chance, ces deux andouilles ont quand même été repris par Poudlard.
Bien sûr, ses parents lui manquent un peu depuis qu’il est à Poudlard, mais ils viennent parfois assister aux matchs internationaux. Il ne pouvait pas être plus heureux qu’aujourd’hui : l’âge de boire des bières-au-beurre, des potos, du sport. Que demande le peuple ?