Aïssatou rit. Elle rit de toutes ses dents blanches de toutes les tuiles que lui envoie la vie, et les balaie d'un éclat de sa voix claire. Rien n'est sérieux, rien n'est grave, et Aïssatou aime la vie et la chérit, ainsi que tous ceux qui la portent en eux. Et elle prend dans ses grand bras et serre contre son coeur tous les cabossés, les tristes, les pessimistes, les peaux de chagrin et les ratés. Car la vie est si belle et si brillante, qu'elle se doit de la partager avec le monde entier. On ne la connait que de bonne humeur et le sourire aux lèvres.
Aïssatou pétille et est en constante ébullition. Elle à toujours une idée au coin des lèvres et un projet qui mûrit en tête. Un moldu dirait qu'elle est surdouée, mais elle n'y croirait pas une seconde. Elle se dirait juste inspirée, ou encore créative. Et pourtant. Elle passe d'un sujet à l'autre, ne se fixant que quand elle est intéressée, et est d'une brillance intellectuelle admirable. Si elle n'est jamais capable de dire pourquoi elle est arrivée à une conclusion, sa conclusion est régulièrement d'une justesse implacable, bien qu'elle doive reprendre tout le raisonnement à l'envers pour être compréhensible.
Et c'est exactement le professeur qu'elle est. Brillante, et d'une pédagogie particulière : soit on percute, soit on ne comprend pas. Mais c'est là toute la richesse de cette femme: elle aime ses élèves. profondément. C'est sa troisième année, et si elle sait qu'elle ne doit pas faillir, elle sait surtout qu'elle ne doit pas les laisser tomber. Qu'est-ce qu'un directeur, quand on a en face de soi toute la future richesse du monde sorcier? Alors elle donne toute son énergie, explique, inlassable, de trente façons différentes, donne des cours particuliers, abandonne ses bons élèves pour se concentrer sur les perdus pour leur dire "moi, Aïssatou Cissé, je crois en toi, et si tu n'as pas compris, c'est que j'explique mal. Toi, mon cher élève, tu es brillant, c'est juste que tu ne le sais pas encore, et que je n'ai pas encore trouvé la bonne façon de te parler. Mais je te promets que je trouverais."
Et elle meurt à chaque fois qu'elle le pense, un petit peu plus, en pensant à celui qui n'a jamais su apprendre d'elle. Elle en meurt, son estomac crie, sa gorge hurle, son coeur grogne et sa bouche se tait. Car elle est l'éternelle heureuse, et sur ses épaules repose le sort du monde futur. Alors, elle ne peut lâcher, elle ne peut faillir, elle qui les aime tant.
Je vous promet, mes chers élèves,
je ne vous laisserais pas tomber maintenant.
Aïssatou est née au Sénégal, de l'union de deux sorciers dont l'Histoire ne retiendra pas les noms, étant tous deux tailleurs d'un talent et d'un goût assez discutables. Ils lui enseignèrent tout de même un certain goût pour l'esthétisme et la beauté en règle générale, mais leur contribution s'arrête là, occupés assez rapidement avec ses quatre petits frères.
L'enfant est dynamique, curieuse de tout, et elle attend avec une impatience mal dissimulée la pierre de rêves qui décidera de son entrée a Uagadou. Lorsqu'elle arrive finalement, après la visite tant attendue du messager dans ses rêves, dans son école de prédilection, elle déchante assez rapidement: l'école est grande, très grande, et le nombre d'élèves, venus de toute l'Afrique, l'impressionne franchement. Entourée d'amis,
elle se déconcentre rapidement de ses études et devient rapidement incapable de suivre, plus intéressée par le monde extérieur à l'académie plutôt que parce qui peut bien se passer à l'intérieur.
Elle a quatorze ans lorsqu'elle tombe amoureuse pour la toute première fois. Il est beau, il est grand, il promet de la faire voyager. Bien sur, il est un peu plus vieux qu'elle, mais elle s'en fiche, à ce moment là. La seule ombre au tableau, c'est qu'il s'agit d'un de ses professeurs. Mais elle se dit, adolescente naïve, que si elle se cache bien, si elle ne dit rien à personne, tout ira bien. Sous son impulsion, elle promet de se concentrer sur ses cours. Elle est et restera , avec le retard accumulé, une des rares élèves de l'école africaine incapable de se métamorphoser en quoi que ce soit, la discipline l'ennuyant mortellement, de surcroît, mais elle se révèle être une redoutable utilisatrice de sortilèges informulés, lancés avec les mains, comme le veut la tradition. Et elle se prend d'une passion violente et éternellement inassouvie pour les potions et l'alchimie, qu'elle pratique d'une façon extensive sous la houlette bienveillante de son amant.
Bienveillante, à ce moment là, le mot est faible. Aïssatou est convaincue de la pureté de ses sentiments pour elle, et ignore les cruelles rumeurs qui disent qu'il flirterait avec d'autres élèves. Car il est si parfait, si formidable, et il a daigné poser son regard sur elle. Pour une fois, quelqu'un lui porte de l'intérêt, et ça, ça compte.
Bien sur, elle n'est pas parfaite, et elle prend chacune de ses remontrances pour se modeler, remodeler, et de perfectionner par rapport à ses attentes, tandis qu'elle s'isole petit a petit de ses amis et de sa famille.
Elle sort diplômée de l'école, et se dirige vers sa branche de prédilection, quelque chose qui la rendrait célèbre: ses potions de beauté dont les filles de son dortoir sont si friandes. Mais il le lui interdit formellement. Premier coup au coeur.
Elle tente de lui apprendre, de lui expliquer, déploie tout ce qu'elle a dans le ventre pour tenter de faire entendre sa voix, mais rien n'y fait. Il ne veut pas que sa petite perle sorte, et il assure qu'il s'occupera de tout pour deux. Résignée, elle accepte, et tente de faire amende honorable pour son incartade qui lui a déplu.
Elle a vingt-trois ans quand ils se fiancent, devant les familles respectives. A cet instant là, il en a déjà trente-sept.
Elle l'aime, profondément, et est convaincue qu'elle pourra être heureuse si elle change encore un peu, juste un peu, tandis qu'il devient de plus en plus agressif.
Le premier coup part un mois après les fiançailles, et s'écrase sur son visage, lui cassant le nez tout net. Il s'excuse, beaucoup, et pleure, et lui offre des fleurs, tout en expliquant que c'est arrivé parce qu'elle l'a agacé, une fois encore, pour une broutille. Elle le croît, du moins en surface.
Au fond de son coeur, un voyant d'alarme s'est allumé.
Le second coup, évidemment, arrive peu de temps après.
La jeune femme s'excuse encore mais elle n'y croit plus. Sous l'impulsion de sa mère, pleine de bon sens face à la situation, elle planifie le plus discrètement possible sa fuite, loin du monstre que l'être aimé est devenu.
La nuit ou elle part enfin, la fenêtre d'une heure est mince mais suffisante pour mettre de la distance entre elle et lui. C'est sans compter la fourberie de l'homme qui l'attend, alors qu'elle part avec son sac.
Il tente de l'amadouer, de la convaincre de rester.
Mais Aïssatou n'est plus dupe. Elle l'aime encore, prisonnière de cette relation, mais pour la première fois depuis longtemps, elle s'aime plus qu'elle ne l'aime lui. Et tandis que les larmes coulent, elle refuse catégoriquement de rentrer.
Il s'énerve.
Mais elle ne se laissera plus jamais faire par cet homme, et elle le sait. Tandis qu'il s'approche, elle lance le premier sort pour le tenir à distance, sans coup de semonce. Alors, siffle t'il entre ses dents, ce sera un duel.
Le second sort lui indique qu'il a raison, tandis qu'elle commence à prendre la fuite. Dans une panique formidable, il la blesse, elle aussi, et tout est flou. La seule chose dont elle se souvienne encore maintenant, c'est de son dernier trait de génie.
Alors qu'elle est rattrapée et qu'un diffindo mal placé lui handicape la jambe, elle sort une de ses potions qu'elle fait exploser en vol.
La fumée se répand partout, et il hurle. Il hurle qu'il va la retrouver, et la tuer.
Quand la visibilité revient, elle est déjà partie, et les traces de sang ne mènent à rien.
Aïssatou est partie, et jamais elle ne remettra les pieds sur le continent qui l'a vu naître.
L'arrivée en Angleterre est un choc, mais c'était là la seule solution, une obscure cousine de la tante par alliance de la soeur du frère de son père ou quelque chose comme ça est sur place, et elle la recueille, le temps que la jeune femme se remette de ses émotions et se décide à faire quelque chose d'autre de sa vie.
Pour remercier Fatou, son hôte, elle fait de plus en plus de potions qu'elle vendra dans sa boutique, sur le chemin de Traverse. Les deux femmes se serrent les coudes, et rapidement, cela fonctionne bien.
Lorsque le courrier l’appelant pour enseigner à Poudlard arrive, Aïssatou pense d'abord à refuser. Mais la vieille Fatou l'embrasse sur les deux joues, et lui conseille de filer sur place le plus vite possible.
Aïssatou accepte, et laisse derrière elle une quantité incroyable de formules de potions diverses et variées pour la vente, la plus célèbre étant son blanchisseur de dents magique. Elle fait encore des cauchemars fréquents, mais ils tentent à s'espacer, ces derniers temps. Elle n'a plus peur de sortir seule, et se retrouve régulièrement à prendre soin de sa personne, à sa plus grande surprise.
Elle reprend petit à petit le contrôle sur sa vie.