Nuit blanche. Cernes violettes. Cicatrices douloureuses. Tu erres sans but dans une partie peu fréquentée du château, l'air triste mais de mauvaise humeur, espérant vainement réussir à t'aérer l'esprit et la pensée. Grande silhouette à la démarche lente, on pourrait croire à un fantôme de loin, avec tes cheveux blancs, si décolorés qu'ils en paraitraient presque transparents, et tes vêtements gris vieux de plusieurs années. Tes yeux sombres se perdent sur les dalles en pierre du château, ne s'accrochant à rien sauf aux images qui se rejouent en boucle dans ta tête. Arrivant au fond du couloir, tu relèves la tête, plisses les yeux. Silhouette familière, avachie sur le sol, bouteille à la main. Le cinquième étage est pourtant toujours vide, c'est le meilleur pour traîner sans se faire avoir et pour passer un peu de temps seul.
L'ayant reconnu, tu arrives au dessus de lui, lentement, silencieusement. Tes yeux fatigués se promènent sur sa carcasse et l'étudient brièvement. Il n'a pas l'air dans un meilleur état que toi, sur le pallier de la misère, vous vous trouvez sans doute sous le paillasson. Tu te demandes ce qui a bien pu le pousser à s'installer là pour squatter, tout seul. Sans un mot tu te laisses glisser à côté de ton ami Gryffondor, poussant cependant un long soupir. Tes paumes se promènent momentanément sur les marques dessinées sur tes bras, douleur bien étrange, comme si des centaines de milliers de fourmis rouges mordaient à l'unisson ta peau meurtrie. Les mots finissent pas franchir les lèvres. ▬ Toi aussi, ça va pas fort? Pas besoin de saluer, dans ces instants. Pas besoin de formalités, ni de politesse. Du moins c'est comme ça que tu réfléchis Joey. La tête se tourne, cherche son regard tandis que ta main agit presque seule et trouve la bouteille logée dans la sienne. ▬ Je crois qu't'as besoin d'un compagnon de boisson. Faible sourire et petit coup d'épaule pour tenter d'éclaircir son visage pâle. Aussi pâle que le tiens. T'es égoïste, un peu. Si tu dis ça c'est certes parce que tu veux lui tenir compagnie maintenant qu'il est là et que tu lui es tombé dessus; mais c'est aussi et surtout parce que te mettre une murge t'aidera certainement à dormir ce soir et à regretter avec un peu plus de douceur demain. Et cette idée te ravie. Douce brûlure intérieure qui te semble caresse face à celle cuisant ton cœur depuis ce dimanche d'automne. Ce dimanche où le masque est tombé, l'illusion s'est brisée. Tu avais cru ne pas l'aimer Joey et tu pensais t'en remettre sans devoir attendre. Mais la vérité c'est que ton cœur ne voyait qu'elle et qu'il refuse de la laisser partir si vite. Alors que son ton moqueur et son regard hautain te hantent l'esprit, que tu rêves de son visage empli de douceur et de ses lèvres de soie venant caresser le coin de ta bouche pour y déposer un baiser brûlant plus que le feu. Une sensation acide que tu regrettes et que tu aurais préféré ne jamais connaître. Tu la remplaces par le feu de la deuxième gorgée d'alcool qui glisse dans ta gorge. Douleur presque apaisante, qui réchauffe ton corps et dessine un véritable sourire sur tes lèvres.
Douleur ambiguë se répercutant dans la poitrine atrophiée, alors que tu te traînes dans les couloirs, loque humaine, déchet flamboyant d’une émotion trop vivace qui a finit par consumer ce qui restait de ton âme. Plusieurs jours déjà sur un régime alcoolisé de réalité fugace telle la fumée, mains traîtreuses se souvenant de la douceur de la peau, de la caresse de l’épiderme tressautant sous les assauts de tes lèvres. Tu ne sais que penser, incapable de regretter, incapable d’accepter. Alors la trachée se fait assaillir par l’amertume alcoolisée d’une bouteille dénichée dans la chambre partagée avec Faust et Leto, amants de la même boisson et qui t’en ont fait concession en voyant ton état déplorable. La broche de préfet a été ôtée de la veste, neuve car l’autre cédée au profit de Age, et ton attitude ne présente plus en rien la splendeur responsable que tu détenais avant tout cela, avant d’aimer, avant de pécher. Mais as-tu seulement péché ? Pouvais-tu savoir, pouvais-tu deviner ce que la destinée te réservait ? Oui. Age te l’avais annoncé, mais tu n’avais pas écouté, sourd à cette promesse de déclin, aveugle à cette indication de la chute. Les pas résonnent sourdement dans le couloir déserté alors que tu finis par t‘effondrer contre un mur, tête frappant contre la pierre, pas assez fort, jamais assez fort. Gorgée après gorgée, le corps se réchauffe de l’amertume du firewhisky, les pensées sont dépassées, surpassées, le silence écrasant les enveloppant d’une brume insonorisante. Pendant quelques instants c’est le vide, néant affectif, olfactif, auditif, sensitif, que rien ne trouble, que rien n’interrompt, où les battements cardiaques pourraient presque s’arrêter pour une paix éternelle. Mais des pieds heurtent les pavés et tout revient, décuplé car trop longtemps retenu, et ta tête bascule en avant, cogne contre tes bras croisés sur tes genoux, car tu ne veux pas affronter un importun vagabond venu s’épanouir de ta détresse. Mais c’est un frottement, un corps glissant contre la pierre pour s’installer à tes côtés, qui affronte tes tympans, et lorsqu’il soupire tu reconnais Joey, le joyeux Joey, morne et indifférent, dans un état émotionnel proche du tien. Ses cheveux sont blancs aujourd’hui, parure hivernale changeant du roux habituel, et tu contemples quelques instants les cicatrices qu’il n’a jamais cherché à cacher, et qui sont si semblables aux tiennes. La tête se secoue en réponse à ses propos, et tu lui cèdes la bouteille alors qu’il te met un coup d’épaule, donnant lieu à un sourire, faible et éphémère, car au final, ne pas être seul, c’est une bonne chose. La bouteille se soulève à deux reprises, alors que c’est à son tour d’essayer d’oublier, et tu murmures, d’une voix éraillée par le silence, la supposition la plus évidente qui peut être. Une fille? Dans ton cas tu ne sais même pas si tu es en chagrin d’amour, si tu aurais pu l’être, si tu l’avais été. Elle reste ancrée dans tes pensées, chacune de ses paroles, chacune de ses saveurs, comme une part de toi qui t’a été octroyée contre ton gré. Mais tu n’avais jamais voulu braver les interdits, se confronter à une telle rude réalité, tu ne voulais pas d’un sort aussi terrible, aussi lourd et pestilentiel que celui que tu t’es vu offert alors que tu n’avais fait que céder à un désir que tu pensais naturel. Et tu reprends la bouteille des mains frêles de Joey pour la porter à tes propres lèvres. Tu es fatigué et tu ne veux plus penser. Tu veux juste oublier.
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