the tiniest lifeboat full of people i know {vacances solo Irlande}

Elle a les mains couvertes de cambouis.
C'est moche le cambouis. C'est salissant. Cela ne sent pas spécialement bon non plus. A son noir charbon se mélange le pourpre effacé d'une écorchure au genou.
Du haut de sa colline, son vélo mille fois retapé dans un état piteux à ses côtés, elle joue d'une main avec la chaîne sans réellement chercher à la réparer et regarde la vue en contrebas de sa ville natale.
D'habitude à cette heure de la journée en cette saison elle camperait sous la fenêtre de Virgil, probablement dans sa chambre attelé à un projet loufoque, elle crierait son nom et chanterait en frappant des casseroles jusqu'à ce qu'il sorte lui donner un peu d'attention ou que le voisinage le supplie de le faire, ou bien encore elle se faufilerait dans un de ces petits coins secrets où l'on peut regarder les joueurs de quidditch s'entraîner. C'est ce qu'elle faisait toujours, de puis qu'elle était petite, dans des vêtements similaires, une coiffure similaire, et une taille relativement éloignée de ses mesures actuelles.

Elle était Eireann, la femme enfant.
La cracmolle qui ne grandissait pas.
Celle qui ne changeait jamais, en mieux ou pas.
Elle était le prix des allumettes.

Elle avait passé tout le second semestre à errer, d'une façon différente de d'habitude. Elle avait essayé de grandir un peu, elle avait essayé de porter des fardeaux et des attentes qui n'étaient pas les siennes, elle avait fait de son mieux, vraiment. Mais elle n'était qu'humaine, et quand elle agissait pour autrui elle ne pouvait pas s'empêcher d'avoir ses propres espoirs, et quand ses propres rêves jetés et rejetés comme son estime et son existence trop imparfaite venaient briller sur le bout des étoiles dans ses yeux, elle ne pouvait complètement éteindre une flamme, une vœu informulé, une envie inimaginable, qui se noyait sous des préoccupation et des compassions plus grandes, mais qui restait là, inlassablement, au fond de sa tête.
C'était stupide.
Même après tout ce temps, elle y croyait encore.

Son portable vibre à répétition mais elle l'ignore, mélange d'amies invasives préoccupée par l'état de ses révisons et d'un père désabusé inquiet de l'avoir vue  se précipiter hors de la maison ce matin. Dans le panier en fer tordu de son vélo contre la pierre, elle peut encore lire quelques lettres grasses du gros titre de la gazette. Son poing de graisse noire et de sang se serre malgré elle, comme si elle le prenait personnellement, comme si elle avait osé rêvé d'un et siet qu'on lui avait dit non, à elle, Eireann O'Malley.

Les chiens aboient et la caravane est coincée sur la route. Immobile et immuable. Abusée et désabusée, la tête enfouie dans des genoux crasseux, à l'issue d'une traînée de poussière laissée par une course stupidement effrénée, celle d'une personne qui avait foncé et s'était laissée tombée sur le bas côté.

Celle d'une fille incapable de changer et incapacitée à rêver qui, désormais loin de tout, pleure derrière ses cheveux blonds.