S A D N E S S

Les codes n’ont aucune importance – rentre tard la nuit en se faufilant entre les corps endormis et évitant les surveillants à moitié assoupis, besoin de se perdre dans le vide des ténèbres qui censurent toute onde de lumière après le coucher du soleil. Inspiration inaudible et douloureuse emplie les poumons de fumée cendrée et d'air congelé, solitude partagée avec la seule conscience à demi éteinte, cils caressant pommettes hautes à chaque battement de paupières. Lassitude controversée par ce sentiment de paix qui vient la dominer à chaque fois qu'elle admire la noirceur du labyrinthe qui s'étend sous ses yeux détenant les réponses à toutes les énigmes qu'elle aurait pu posé, mystères irrésolus et monde ébloui tandis qu'elle laisse couler tout le mépris qui avait pu la contaminer durant la journée. Négativité enchaînée et cœur léger face à l'immensité qui se prolonge devant elle — être parallèle dans un monde cruel.
Et lorsque sa victime la plus fidèle la rejoint, premier à défier les lois pour venir la retrouver, elle sent l’inquiétude grimper et le bruit de la respiration qui se brise à chaque seconde; un million d'aiguilles qu'on lui incruste une à une dans la peau qui ne reflète aucun défaut, un million d'aiguilles qui font que sa douleur est sienne, fulgurante et accablante, explosive et terrassante, intensité multipliée par l'idée qu'elle se fait de ce qui a bien pu lui arriver pour que la plaie se rouvre plus béante que jamais. La torture incessante de l'âme fatiguée paralyse ses pensées pour tout résumer à l’unique désir de penser toutes les blessures et faire disparaître la cicatrice encore fraîche – endolorie qu’elle sait être la source de sa fatalité, calamité meurtrière de sa vitalité. Elle aurait voulu le protéger.
Bruit des os de son cou qu'elle fait craquer est seule réaction qu’elle se permet, regard égaré pour ne pas avoir à affronter une vision qui la brisera bien plus qu'elle ne l'admettra jamais – nouvelle inspiration pour empoisonner les organes déjà calcinés.
« Qui a réveillé les morts? »

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Il se consume avec autant de noblesse que la cigarette, chagrin détestable qui la prend à la gorge et sert fort, prêt à briser la sérénité dont le pardon a été imploré pour effacer tous les péchés. Mais la veillée semble ne jamais s’arrêter, présence sans vie qui s’est échappée du cortège mortuaire – noces funèbres venant accompagner chacun de ses pas, damnation dont elle a tenté de le libérer depuis qu’elle a rejoint les abîmes. Perdition dans un jugement qu’il a décidé de s’imposer et qu’elle meurt d’envie de supprimer, réparer ce qui a été brisé et lui rendre ce qui lui été arraché. Réalité démantelée au statut de tourment – déchirement lassant.
« Il y était prédestiné. »
La peine tord l’échine, main se posant sur l’épaule de la carcasse vidée, dévorée par l’obsession d’être coincé au purgatoire, châtiment épouvantable suite à un jugement déraisonnable. Elle écrase sa clope pour le regarder, corps glissant près du sien dans la pénombre – sol accordant la seule stabilité qu’elle ne pourra jamais lui accorder. Supplice intenable, souffle glacial de la faucheuse ordonnant une nouvelle danse, ivre de la peur de le voir lui échapper, de le sentir s’incliner devant les portes des limbes, agonie qu’elle veut supprimer même si cela mène à s’y abandonner. Empathie empoignant le cœur, le squelette se repli pour se mettre près de lui, nostalgique aux échos mélancoliques, blasphème menaçant les accords de sa voix qui sonnent dès lors comme un ultime soupire.
« Je t’en prie, ne considère jamais l’idée de la rejoindre. »
Mots révélés comme un secret à enterrer, les yeux  liquéfiés rien qu’à l’idée d’y penser, ses cils viennent effacer les preuves d’un simple battement qui redonne toute la clarté d’esprit qu’elle a perdu l’espace de quelques instants – force restituée et objectivité négligée lorsqu’il s’agit de sauver le prisonnier des marques qu’il s’est lui-même infligé. Mais sa compagnie est le seul antidote qu’elle peut lui procurer, modeste douceur et admirable existence – omniprésence à perpétuité, privilège réservé aux adorés ; élu favorisé.
« La peine a toujours été le seul moyen d’étancher ta soif.»

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Abattue sous les coups incessants de la douleur qui l'infeste, alcaloïde qui la prend à la gorge comme des doigts d'une brutalité qui la prive de tout oxygène – pression se concentrant sur le centre qui grésille sous le poids d'un souffle tremblant qu'elle refuse de laisser sortir. Mais l'épine dorsale se maintient droite sous le poids de la désolation, masse qui aurait fait chanceler Atlas s'il avait pu être à sa place. Mais pour lui elle ferait bien pire; mettrait en péril les débris de sa vie et sacrifierait les secrets de son existence contre une promesse de le voir accordé un bonheur éternel. Car la seule idée de le perdre se révèle être le pire châtiment qui pourrait lui être infligé, démunie de tout ce pour quoi elle se serait battue, privée de ce pour quoi elle avait survécu.
Puis c'est le désastre. Parce que la référence la fait instantanément vacillée, messager adoré – Hermès acratopège auquel elle aurait arraché les ailes s'il n'était pas le compagnon suprême. Toute l'aigreur est alors dirigée vers elle, le met de tous ses malheurs, la source de tous ces pleurs, la genèse de tous ses maux et l'incarnation même de tout ce qu'elle méprise. Hélas, elle s’était accommodée à l'idée qu'il ait finalement trouvé celle qui apaiserait l'avidité de son tourment inné – inégalé. Elle l'avait cru comblé.
Zeus aurait pu envoyer un éclair faire disparaître la terre qu'il aurait donné l'impression de n'être qu'une étincelle comparé à la charge d'électricité qui électrifie alors ses pupilles balafrées du saut de cette lâcheté qu’elle ne peut tolérer. Cent milles volts qui feraient exploser chaque particule qui s’échappe de ce corps qui se parjure d'une dérangeante tranquillité sous le choc de l'annonce insoupçonnée. Ce regard à faire flancher les géants et soulever les mécréants. Statut est modifié, passant de simple idiote suicidaire à mère meurtrière, elle devient celle qui a répondu à l’appel avant d’engendrer un Blackwell. Et Romeo en aurait remercié les dieux s’ils ne l’avaient pas privé du seul remède qui aurait pu transformer le drame en un dénouement moins fatidique – mais l’eau deviendrait sang et les fleurs auraient fanées que son égal n’aurait toujours pas trouvé une fin qui ne lui serait pas fatale.
La redescente est alors un enfer lorsque le menton se baisse devant le prince des ténèbres pour lui vouer ce culte qu’elle ne cessera jamais d’admirer – être renonçant à une part de cet égo exagéré pour lui offrir le seul acte de pureté dont elle peut réellement s’affranchir, ses lippes venant déposer un simple baiser sur sa peau écorchée ; quiétude du geste prête à être empoisonnée par cette calamité que porte ce chagrin justifié. Et c’est avec ces condoléances bien mesurées afin d’attendrir ses mots ancrés dans la réalité qu’elle articule la prédiction dont la véracité se fait sentir à la profondeur de la voix qui vibre dans chacun de ses membres. «Cet enfant n'aurait jamais vu le jour de toute manière. »
L’hommage est ainsi terminé, sa main quittant la sienne pour lui infliger une douleur semblable à celle ressenti lorsqu’elle avait craint qu’il ne fasse pas exception à la règle – qu'il ferait partie des mains braves hommes qui se sont retrouvés sous les ponts à cause d’une femme.
« Tu sais qu’on ne peut cesser de tout contrôler seulement par acte de foi, en particulier lorsque l’on croit avoir atteint le statut de roi. Comment as-tu pu être aussi naïf, moi qui te pensais pourtant toujours si attentif?»