Curious ? • • • Nirvana

Le son de la pluie battante contre les vitres se mêle à celui du nombre infinies de pages que l’on tourne. Dans l’air flotte cette odeur particulière, l’atmosphère confinée au fond de ces vieux ouvrages enfin libérée. Une belle après-midi qui annonce le début du printemps, et au milieu de ces rangées de têtes penchées sur leur travail, je ne fais pas exception. En apparence la bibliothèque semble calme. Il faut un regard avisé pour remarquer les changements. Les doigts qui s’entremêlent discrètement, les regards languissant, les chemises un peu plus déboutonnées que d’ordinaire mais aussi les sourcils froncés et l’inquiétude des examens nous guette.Tout le château commence à bourdonner, le printemps faisant ses victimes habituelles : rhume des foins, hormones, et surtout une nervosité générale qui enfle doucement. Irratation d’autant plus perceptible que même les spécimens les plus aventureux sont cloîtrés à l’intérieur à cause du mauvais temps.  Malgré mes efforts pour garder cette apparence flegmatique, cette renaissance m’affecte aussi, plus que je ne le pense.

Je m’empare d’un autre dictionnaire de runes J’ai toujours aimé ces langues mortes et mystérieuses. Ces codes à décrypter, ces murmures d’outre-tombe. Fascinant. Mais aujourd’hui les runes me résistent.

Mes pensées s’étranglent et s’emmêlent. Aucune d’elles n’ont pour sujet les runes. Il y a les conséquences du kidnapping, ce sentiment qu’une épée de damoclès s’élève sur nos têtes - ce kidnapping ne peut être qu’une phase intermédiaire d’un plan bien plus complexe, j’en ai la conviction. Le harcèlement stupide et cruel de Damon. Les révélations d’Aspileur. Mon étrange face à face avec Williams. Les conseils, la considération de Blackwell ainsi que ses critiques. La frustration de l’échec total des serdaigles à la coupe des maisons ainsi qu’au quidditch. Mes doutes habituels, mes craintes. Et puis ces souvenirs, ces phrases, ce sourire qui venait pointer le bout son nez aux moments les moins opportuns. Comme...hanté. Je baisse les yeux vers ma copie et je constate avec une certaine irritation que j’ai recopié deux fois la même phrase. Un soupir frustré s’échappe de mes lèvres alors que je la raie d’un geste élégant.

Quitte à être distrait, je m’autorise un regard autour de la salle. Un détail attire mon attention, plus loin, ces appendices verticaux fendent l’espace. Nirvana Orofin, semi-cervitaure  - surnommé Nirvana à cause de ce nom difficilement prononçable. Nirvana. Le groupe de rock ou la l'apocalypse des sens ? Connaissant la réputation de l’énergumène il répondrait probablement pour t’envoyer au 7ème ciel. Libertin de réputation, le gryffondor n’a pas froid au yeux. Je m’accorde le loisir d’observer un peu plus longtemps ces bois qui s’élèvent. Je me perds, pensif, dans une multitude de questionnements à ce sujet. Il relève la tête et je baisse automatiquement les paupières. Une fois de plus cette distraction me jouait des tours. L’air de rien, je m’empare d’un des volumes dont je n’ai plus besoin, emporte mon sac - en tant que serdaigle, mes notes avaient plus d’importance que ma propre vie, hors de question de les laisser sans surveillance - et je me rends dans les rayons pour le ranger à sa place.

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Est-ce qu’il m’avait vu ? Ca avait été si rapide, aussi bref qu’un éclair. Cela c’était-il seulement produit  où l’avais-je rêvé ? S’agissait-il d’un de ces moments où le temps se suspend, ces moments de rêveries ? D’un regard, on peut aisément capturer beaucoup de choses sur quelqu’un. Un geste, un regard, une façon de s’habiller, un détail nous renseigne sur ce rôle qu’ils jouent, ces choses que l’on tait mais que l’on montre. Chaque jour, je me cache. Redoutant le jour où je serai vu. Sauf que...quelqu’un t’as déjà aperçu . Moment fugaces dans le noir où la flamme s’allume avant de s’étendre.


Et me revoilà parti, ces pensées qui s’enroulent dans mon esprit, le bloquent comme des lianes. Des souvenirs qui s’empilent, comme les dictionnaires de runes poussiéreux que je consulte. Thoughts that make me feel.Je déteste ça. Vu ou pas vu, j’opte pour la fuite justifiée, me réfugiant dans les rayons, à l’abri de tout regard. Essayant de repousser ces pensées hors de mon esprit, je force ma concentration sur la trivialité des runes.

Et au bout de la rangée apparaît le jeune homme aux bois de cerf. Je fais semblant de ne pas le remarquer, bien qu’inquiet que ce soit mon regard qui l’ait attiré ici.

Yo. T'as fait tomber ça sans faire exprès.

Sa voix sonne, irrévérencieuse dans ce sanctuaire qui demande silence et discrétion. Je me tourne vers lui alors qu’il me tend une feuille de note qui m’appartient, son corps affalé contre les étagères, comme s’il comptait rester ici un moment. Comme Yannis Damon lorsqu’il veut me bloquer le chemin Je lui réponds avec un murmure timide, évitant de croiser son regard.

Oh. Je suis terriblement distrait. Merci.

Je récupère la feuille en question et la range dans mon sac. Je m’attends à ce qu’il cherche un livre dans ces rayons ou bien à ce qu’il retourne à sa place. Mais il reste. Et je ne peux pas m’empêcher de le remarquer. Je m’empare du volume manquant  avant de reposer mon regarde sur cette silhouette différente. Une centaine de questions me brûlent les lèvres, serait-ce le bon moment de les poser ?

Est-ce que ça a fait mal ?

Je lui demande dans un souffle avant de m’expliquer.

je veux dire, quand ça a poussé de ta tête.

Curiosité, quand tu nous tiens.

Un murmure et une excuse. C’était du Bertram Godfrey tout craché. Celui qui respecte le règlement à la lettre, celui qui essaie de se faire oublier, tâche fade et insignifiante dans l’arrière plan de cette vie dont vous êtes le héros. Cette image que j’avais construit de mes mains, ce masque reprenait le contrôle. Et pourtant, lorsque ma curiosité était piquée, j’avais tendance à esquisser ce pas en avant, vers l’abîme. Ce qui pour la plupart des gens ressemblait à une question pertinente entre deux camarades, était en réalité un saut à pied joint hors dehors de ma zone de confort. Un bond que je réalisais presque sans en réaliser son importance ou encore ses implications.

T'inquiète, ça peut arriver de faire tomber des choses sans s'en rendre compte surtout si on est concentré ailleurs.

Il en parlait comme s’il le savait. Maintenant la distraction des serdaigles était légendaire. Enfin quand je dis “ distraction” je ne parlais pas de suivre un papillon des yeux au lieu d’écouter les anecdotes de Monsieur Phillips. Je voulais dire marcher dans les couloirs, la tête débordante  de pensées, de plans, d’idées et se retrouver dans un endroit complètement différent de celui où on était censé se retrouver.

Son téléphone émet un son qui me ferait presque sursauter, fixant l’appareil avec horreur. Mais il est con ou quoi ?! En silencieux dans la bibliothèque, tout le monde savait ça ! Un bref sourire étire ses lèvres. Bonne nouvelle, j’imagine. J’absorbe docilement ces informations qu’il me fournit. Donc c’était douloureux lors de la perte, pas lors de la pousse étrange...Je reste pensif, en silence.

Tu veux les toucher ou les voir de plus près ? Les fleurs dégagent normalement un petit parfum mais comme ma peau dégage naturellement une odeur de verveine, elle est plus puissante et masque donc certainement la leur.

Voilà qui était doublement surprenant. Lisait-il dans mes pensées ? Evidemment que j’avais envie de les voir de plus près. De les toucher. Mais je n’aurais jamais osé le suggérer. Il n’attend même pas ma réponse pour baisser la tête et exposer cette partie de son anatomie.

Oh euh...okay...merci.

Un regard à gauche et à droite.Moi j’espère juste que le bibliothécaire ou le stagiaire ne débarqueront pas à l’improviste. Je ne souhaitais pas que des rumeurs sordides courent entre moi et Nirvana, planqués derrière un rayon de la bibliothèque.

C’était juste une curiosité scientifique. Premier stade : l’observation. Mon regard caresse ces appendices tortueux, je remarque les bourgeons fragiles et tremblotant, bientôt prêt à éclater.  Je remarque  cette peau de velours qui recouvrent les bois, lézardées par endroits de coups maladroits. Une légère odeur de verveine se dégage.Un parfum familier, celui de mon savon, de mon shampooing mais dans son essence la plus pure, la plus sauvage, inaltérée par la magie ou les produits chimiques. Je n’avais jamais remarqué l’odeur avant.


Ca sonnait dans mes oreilles comme une proposition indécente. Mais ça doit être comme des cheveux, il ne doit pas sentir grand chose.

Evidemment que j’ai envie de toucher.
Mais...pour la science.

Deuxième stade, la manipulation. Mes doigts timides s’avance. C’est le dos de mes doigts qui commencent cette danse, remontant le long d’un des bois. Ce n’est pas lisse. C’est velouté. Un peu rugueux. Arrivé au bout d’une ramification, mon index affleure délicatement l’un des bourgeons. Ils sont plus solidement ancrés qu’il n’y paraît. Est-ce qu’il y a du jeu entre la peau et l’intérieur ? Je pince légèrement pour m’assurer de la dureté. C’est un peu bizarre. Un sourire étire mes lèvres. Etrange sensation que celle de toucher quelque chose d’inconnu.C’est désormais avec la pulpe de mes doigts, plus sensible, que je trace le trajet inverse. Sous mes doigts je sens le relief, les protubérances et les imperfections.

J’ai conscience de la sensualité et de la douceur inhabituelle de mes gestes. Seulement ce n’est pas tous les jours que j’avais l’occasion de faire ce genre d’expérience. J’en profitais, confiant que ces gestes inhabituellement sensuels avaient dû passer inaperçu aussi bien de Nirvana que du reste du monde.

Je souffle discrètement dans cette atmosphère religieuse de bibliothèque.

Etrange...ce n’est vraiment pas ce à quoi je m’attendais...

Je me plonge dans des considérations et des curiosités magique avant de lui demander à voix basse :

J’imagine que tu dois ressentir le changement de saison plus fort que tout le monde, n’est-ce pas ?

C’ était un peu étrange de toucher ces bois mais tout à fait édifiant. Cela ne correspondait pas tout à fait à ce que j’avais l’esprit et malgré moi, j’avais laissé cette phrase passer qui suscite sa curiosité et mon embarras. Emmêlement de pensées inattendus, j’hésite sur ma réponse. Je ne souhaiterais pas le froisser. Toujours à voix basse, je tente de me justifier.

Ah...heum... Comment dire….plus doux ou justement plus rêche, plus dur ? Je ne sais pas trop.

C’était un peu entre les deux. Je l’évite du regard. Ma curiosité désormais assouvie, les centaines de questions que je pouvais avoir commencent à s’envoler. Et en même temps, je me demande...est-ce qu’il m’a suivi ? C’était une drôle de coïncidence...juste parce qu’il avait remarqué que je le regardais ? Bon au moins, ma curiosité pour sa condition d’hybride était sincère. Quand je l’observais dans les couloirs, cet étrange contraste entre naturel et artificiel, les questions bourgeonnaient autant que ses bois. Veste en cuir et écouteurs se mêlaient aux bois fleuris. Un curieux mélange, en effet.

Je me souviens que lorsque j’étais plus jeune des tonnes de rumeurs couraient sur ces ….créatures ? non, personnes. Qu’ils broutaient l’herbe quand on avait le dos tournés et bien d’autres mesquineries sur leur hybridation animale. Mais moi je les regardais et je me demandais simplement si c’était douloureux, où se trouvaient la frontière. A quel point leur sens étaient aiguisés ou différent des nôtres. Est-ce que c’était difficile de se coiffer le matin ? Est-ce que ça leur causait des douleurs lombaires à force ?

Mais je ne trouvais pas l’audace de l’interroger, surtout dans un lieu où la loi du silence régnait. Je dépassais déjà quelques limites bien tracées.Quand je brise les règles, je préfère le faire discrètement. Quand personne ne regarde. Dans le noir. Avec un complice. De préférence un brun aux yeux verts et au sourire de lutin. Mes pensées s'emmêlent encore, comme des écouteurs oubliés dans la poche d'une veste.

Il mentionne ses saisons préférées avec une candeur à laquelle je ne m’attends pas. Il répond un peu à côté de la question. Quoique...c’était intéressant de pouvoir prédire les averses…. Dans un pays où il pleut 65% de l’année.

Ah ? Intéressant. Juste les averses ? Pas les orages ?

La pression atmosphérique changeait nettement plus violemment lors de ces évènements. Il me semblait logique que la détection des orages puisse faire partie des capacité de monsieur météo. Une idée fugace me traverse l’esprit. Celle de raconter aux premières années que les bois des semi-cervitaures sont des antennes qui permettent d’annoncer la météo. Hilarant, n’est-ce pas ?
Il me retourne la question et j’hésite à mentir sur une information aussi futile.

Je crois que je préfère l’hiver. Tu sais. Les fêtes, les pulls, les chocolats chauds...C'es plus sympa pour étudier.

Je lui adresse un faible sourire. C’était une conversation bien agréable, mais j’avais encore du pain sur la planche. Je resserre le dictionnaire de runes contre moi, prêt à repartir.

Cette conversation impromptue commence à emprunter ces sentiers ennuyeux et familiers de l’ordinaire. Parler des saisons, vraiment ? C’était sans doute l’équivalent semi-cervitaure de parler du beau ou en l'occurrence du mauvais temps. Je trouve sa réponse banale et sans intérêt. Il ne le dit pas mais c’est évident que quelqu’un comme lui préfère les rayons de soleil et la nature qui s’éveille, comme en ce moment sur ses bois. Evidemment qu’il préférera les jambes et les bras dénudés aux gros pulls qui masquent la silhouette. Les sorcières en robe d’été doivent avoir un parfum particulier.

Tu dois préférer le printemps, non ?

Je me demande ce que les gens penseraient s’ils me voyaient à murmurer mystérieusement derrière un rayon de bibliothèque avec Nirvana. Probablement un tas de choses sordides. C’est donc le moment d’écourter cette étrange apartée et de revenir vers mes versions runiques.

C’était sans compter sur l’absence de retenue de mon interlocuteur qui esquisse un geste que je n’aurai jamais deviné. Il m’attire contre lui, comme un vieil ami ou encore….Bref. Ses paroles et ce geste ont l’art de provoquer un éventail de réactions que je parviens à voiler avec un sourire le plus innocent du monde.

Moi, stressé ? Non, je ne suis pas stressé. Tout va bien. Ahaha !

Un mensonge éhonté. De toute évidence je suis constamment sous pression. Mentir, toujours mentir. Les responsabilités qui s’accumulent. Ces choses que je ne veux pas gérer mais qui ont la fâcheuse tendance à s’afficher sans cesse derrière mes paupières sans me laisser de répit. Des noeuds, partout. Dans ma tête, dans mon dos, entre mes côtes. Des noeuds et des verrous.

En revanche, il est plus urgent de régler ce délicat problème, ce sous-entendu qui me vise là où je préférerais qu’on m’ignore. Mon regard se pose sur ses iris. Le but c’est de bien vendre l’information. Ce genre de justifications j’ai déjà dû m’en servir quelques rares fois.

Et un date….? C’est gentil mais...comment dire… Je suis flatté mais je ne suis pas intéressé par les garçons.  

Un doux rejet. Je sais qu’avec mes cheveux longs et mes bonnes manières c’est la supposition que tout le monde se permet de faire. Cependant… ma sexualité inexistante n’appartient qu’à moi et à personne d’autre. Je ne pouvais pas clairement affirmer que Nirvana n’était pas mon type, mais en tout cas je n’étais pas spécialement intéressé. Je m’écarte doucement de sa prise. La proximité physique me met mal à l’aise. Et j’ai encore des affaires à récupérer.