gris obsolescence • silas

Par la lucarne elle surprend en plein méfait les rayons résiduels du soleil, caressant de leur éclat facétieux les serres et leurs habitants naturels. Entre elle et les enfants de l'astre il y a une année-lumière mais aussi et surtout d'orageux nuages déversant leurs trombes d'eau aux abords du château. Les lueurs du soir parvenant à passer outre la grisaille viennent défier cette dernière, leur confrontation se soldant par un spectre un peu trop fluet à son goût, plongeant dans la verdure environnante. Tess s'arrête, presque à contre cœur, en soufflant — car son temps est précieux — pour contempler le parc dans les dernières heures du jour et du dimanche: c'est une vision obligeante, il faut en convenir. Il y a une nostalgie obstinée à cette vue d'élèves déjà trempés, qui se pressant qui se bousculant sur les chemins pour se mettre à l'abri. C'est une lutte sans merci autant entre ces figures grêles qu'entre les forces de la nature au-dessus de leurs têtes, en ce soir d'une saison trop prématurément qualifiée de printemps.

Tess ne bronche pas, même lorsqu'elle réalise avoir malencontreusement oublié son manuel d'anatomie au pied d'un arbre — étonnant d'ailleurs qu'elle ne l'ai pas remarqué plus tôt: le monstre de papier doit bien peser dix kilos. Ce n'est que lorsqu'on l'interpelle qu'elle se détourne avec un sourire un peu contrarié pour répondre:

❝ J'arrive, j'ai juste oublié un truc. ❞
Après avoir coincé ses cheveux derrière ses oreilles elle entreprend de redescendre les escaliers, ce qui n'est pas une mince affaire, et pour cause: elle progresse bon an, mal an à contre-courant du flot d'étudiants se retirant dans leurs dortoirs respectifs. Il s'est bien écoulé un quart d'heure lorsqu'enfin elle parvient à une voûte de l'eddifice menant à ses flancs de pierre et il n'aura pas fallu plus au soleil pour tirer sa révérence. La rumeur pluvieuse est ici assourdissante et semble faire trembler jusqu'aux fondations ancestrales du château, l'affrontement est viscéral et lui pince le cœur. Ou bien c'est cette silhouette chargée de souvenirs, à la vue de laquelle Tess suspend son pas. Silas. L'impression est étrange; c'est une uchronie dans laquelle elle n'a jamais mis son cœur à nu et dans lequel ce silence imminent n'a pas lieu d'être. Et là, une impulsion, un élan pour tuer ce dernier dans l'œuf. Elle s'avance, décidée, et se campe devant le jeune homme. Mais sa posture s'adoucit lorsqu'elle lit la détresse dans les traits de son ami regretté. Alors, déconcertée et hésitante, elle dit:

❝ Salut étranger ❞
Son sourire reste modeste, et ce n'est pas là un reproche, car elle sait elle-même qu'en ses rares moments d'abattement elle évite l'aveuglante effervescence d'autres visages plus heureux. Elle se tourne pour observer la pluie quelques instants. Encore à l'abri sour l'arc de pierre, elle prend le temps de ravaler sa fierté et la peine que leur éloignement lui a causé jusqu'à maintenant. L'heure n'est pas à elle et elle demande, plus sérieusement:

❝ Dis, est-ce que c'est maintenant ? ❞
Son regard se porte à nouveau sur le prodigieux visage, et elle ajoute, après s'être éclairci la gorge:

❝ Est-ce que c'est maintenant que je te sauve la vie comme tu as sauvé la mienne, Silas ?❞Et il est désormais bien loin, son livre d'anatomie détrempé, parce qu'elle peut enfin rendre à Silas tout ce qu'il lui a donné.