Forget coffee, there's nothing like a fresh cup of blood in the morning ► ft. Mae

Enfin, le sang. La préfète m’avait enfin tendu la poche tant attendue et, sans délai, j’avais pu commencer à m’abreuver pour espérer étancher ma soif et retrouver des forces. Je l’entends à peine me souhaiter bon appétit, trop occupé à être soulagé par ma bouche emplie de sang de bœuf. Je devais avoir des airs de voyageur qui vient d’échapper au cruel désert aride et qui, après des jours sous le soleil, pouvait enfin s’abreuver à satiété. Je crois bien que je bu les trois quarts de la poche d’un coup, ne m’arrêtant que pour avoir un peu de surplus à ramener avec moi au dortoir, au cas où. Lorsque j’eu fini de boire, je lâchai un soupir me léchant les lèvres avant de les essuyer du dos de la main. Vraiment il était temps. Si tout allait bien ? Je m’empressai d’acquiescer.

« Ouais, ça devrait aller maintenant. »

La jeune femme reprit la parole en m’expliquant ce que nous allions faire à présent. Lui étant redevable, et surtout étant conscient qu’elle cherchait seulement à faire son boulot de préfète, je décidai de me montrer coopératif et de ne pas chercher à la contredire.

« D’accord, je comprends. »

Certes, j’avoue que ça me déplairait grandement de faire perdre des points à mes camarades pour une histoire comme celle-là, mais le mieux est encore de montrer patte blanche maintenant que j’ai pu boire. Le danger est écarté, c’est ça qui compte vraiment. Je me garde bien de lui dire que je pourrais sans doute facilement entendre l’avancée des autres préfets si on veut pouvoir les éviter car, quelque part, il me semblerait fort peu sage de dire à une préfète en chef que j’ai de quoi m’aider à éviter d’être trouvé pendant mes sorties nocturnes éventuelles. Je me contente donc de la suivre sagement, sans rien trouver à répondre lorsqu’elle évoque l’heure. Par contre, pour ce qui est de la fin…

« À qui le dis-tu. Pour moi non plus c’est pas agréable tu sais. Je sais pas si je réussirais à me le pardonner si… Tu sais bien. Je fais toujours attention, c'est pas un truc courant ce qui s'est passé ce soir. »

C’est gênant d’en parler et, quelque part, je me dis que non elle ne sait pas. Qu’elle risque de juste rester renfrognée et de me faire la morale au lieu de comprendre que c’est un truc avec lequel je vis tous les jours. Que c’est une peur constante pour moi et que, par conséquent, je fais déjà tout ce que je peux pour me gérer. Je ne bois pas d'alcool, je ne vais pas dans les soirées, j’évite les bains de foule et je m’impose certains trucs pour rester bien sage et tranquille. Mais tout ça elle ne le sait pas et c’est ce qui est un peu frustrant. J’espère qu’elle ne va pas bêtement me mettre dans le même groupe que des élèves délinquants purement et simplement par manque d’informations à mon sujet.

La jeune femme cita l’évidence en allumant sa baguette : elle n’avait pas la capacité de voir la nuit. Je suppose que c’était une capacité que peu de gens possédaient, après tout. Au moins elle ne semblait pas vraiment m’en vouloir, conservant un sourire encourageant. Je me forçai à emprunter une expression similaire, quoi que plus réservée. Au vu des circonstances, je n’avais pas nécessairement le cœur à la rigolade. Plus tôt je serais rentré à ma place, dans mon dortoir, et plus vite je pourrais oublier cet incident et me réinstaller confortablement dans ma routine d’étudiant modèle. Curieuse, la préfète en profita cependant pour m’interroger. Beaucoup de gens étaient-ils au courant de ce que j’étais ? Autant y aller franc-jeu.

« À peu près tous les gens qui font partie de mon entourage et avec qui j’interagis régulièrement. Je n’aime pas en parler, mais… les gens se doutent de quelque chose quand ils comprennent que je ne vais jamais manger dans la grande salle. »

Le vampirisme n’est pas aussi facile à cacher que l’aimeraient le faire croire les romans pour jeunes adultes. Mae réitère qu’elle ne m’enlèvera pas de points, ce qui me laisse perplexe. J’avais cru comprendre qu’elle ne m’en retirerait que si nous croisions un autre préfet ? Ou alors peut-être qu’elle est maintenant décidée à ne pas le faire même si nous devions en croiser un ? Quelle que soit l’explication, le mieux était toujours d’exprimer ma reconnaissance.

« Merci. »

Ce serait bête de nuire aux efforts de ma maison et à leur travail acharné parce que j’ai été trop con pour bien gérer ma soif une soirée. Après un moment de court silence, la Serpentard y va d’une nouvelle question, plus délicate celle-là. Je déglutis, le goût métallique du sang de bœuf encore en bouche. Depuis combien de temps suis-je comme ça ? Vampire ? Semi-vampire ? Une part de moi a très envie de lui dire que ça ne la concerne pas, même qu’elle ajoute toute seule que je ne suis pas forcé de répondre. Mais la demoiselle m’a aidé et n’a pas retiré de points aux jaunes et noirs malgré le danger relatif que je présentais pour sa personne. Peut-être devrais-je aussi y mettre du mien.

« Semi-vampire. Je suis né comme ça. Un père vampire et une mère sorcière, tout bêtement. »

J’aimerais bien lui retourner une question pour essayer d’entretenir une certaine forme de conversation, mais il serait sans doute indélicat de lui demander depuis combien de temps elle est une sorcière et de qui elle tient ça, n’est-ce pas ?

Il était au fond ridiculement simple d’expliquer comment j’étais devenu ce que j’étais, l’ayant toujours été. J’étais le fruit de l’union d’un vampire et d’une sorcière, tout bêtement. Il n’y avait pas eu là de tragédie, de bain de sang ou de trauma à porter pour toute une vie. Tout au plus j’avais été un imprévu, une surprise et un incident de parcours sans doute non-désiré. Quant à savoir si ce que j’étais m’avais apporté des ennuis ? Tout dépendant ce que la préfète voulait dire par là, mais je n’ai jamais été du genre à aimer me plaindre.

« Je n’irais pas jusqu’à appeler ça un don, mais bon. Ça se gère, la plupart du temps. »

Quand je ne prends pas la décision stupide d’attendre jusqu’au lendemain matin pour aller chercher une poche de sang. Et quand la soif ne se fait pas sentir dans un moment trop inopportun, ce qui pourrait potentiellement faire de moi un danger public. Sans compter que je dois aussi me cacher pour boire, parce que généralement ça met les gens mal à l’aise. Ça limite aussi les interactions sociales que je peux avoir avec autrui et bon, il y a toutes sortes d’autres désavantages, mais une fois encore : ça se gère, la plupart du temps. Certes, ce n’est pas toujours facile, mais les raisons que Mae évoque me laissent perplexe. Être différent avait ses désavantages, oui. Mais avais-je été envié ? Jalousé ?

« Généralement c’est plutôt l’inverse qui se produit. Je ne compte plus le nombre de fois dans ma jeunesse où j’ai entendu ma mère insulter d’autres parents qui refusaient de me laisser jouer avec leurs gamins ou même d’approcher leur chien. Vu les réactions parfois j’ai l’impression d’être pris pour un alligator. »

Je dis ça avec un brin de cynisme, passant la main dans mes cheveux et laissant mon regard vagabonder vers les fenêtres où je peux déjà apercevoir les premiers rayons du soleil. C’est sans doute l’heure tardive, et mon épuisement, qui me permettent d’aborder un sujet aussi sensible sans me refermer totalement. Je le regretterai sans doute demain matin, ne connaissant pratiquement pas Mae et n’ayant pas l’habitude de me confier comme ça, mais pour l’heure ça va. J’ai hâte de retrouver mon lit et la conversation n’est pas fondamentalement désagréable. Mieux encore, c’est à son tour de me faire une confidence sur son propre don. Métamorphomage ?

« Je comprends mieux pourquoi tu parlais de désir et de jalousie. Mais bon, généralement dans mon expérience, les gens ne voient que les côtés positifs. Je suppose qu’il y a aussi des désavantages à être métamorphomage, non ? Des trucs auxquels les gens ne pensent probablement pas parce qu’ils ne le vivent pas. »