When one teaches, two learn ft. Cécilia

Dimanche. 26 jours. Non, c’est pas sérieux. Je ne vais quand même pas compter les jours un à un, n’est-ce pas ? Je me dis que je ne vais pas le faire, je me le répète depuis avant-hier, parce que ce ne serait pas sain. Puis ce n’est qu’une date arbitraire, qu’un estimé. Si ça se trouve le 15 mars va arriver et il faudra repousser à un autre jour, prendre plus de temps. J’aurai espéré naïvement pour rien. Non, ce délai doit, en théorie, me permettre à moi aussi de déterminer ce dont j’ai envie. Il ne s’agit pas simplement d’attendre dans le simple but d’attendre. Sauf que c’est difficile lorsque tout ce que j’arrive à envisager c’est qu’il change d’idée. Qu’il réalise que la compagnie d’un semi-vampire coûte plus qu’elle ne rapporte et qu’il va s’attirer plus de problèmes qu’il ne va en régler. À partir de là ce que moi je veux on s’en fiche bien, n’est-ce pas ? Pessimisme, ton nom est Ethan. Bon, admettons qu’il ait effectivement besoin de plus de temps. La limite, c’est quoi ? Déjà que j’ai passé le début de l’année à me traîner les pieds dans les couloirs. Enfin, ça semble horrible dit comme ça, mais je dois y penser. Si jamais le 15 ce n’est pas assez alors jusqu’où suis-je prêt à attendre ? Jusqu’où devrais-je attendre pour ne pas franchir la mince ligne séparant la bienveillance du manque de respect pour soi ? Ma première pensée c’est qu’il n’y en a pas, de date limite, mais je sais qu’il devrait y en avoir une.

Chaque fois que j’essaie de réfléchir calmement à tout ça, je ne peux m’empêcher de me remémorer le goût de ses lèvres, sa proximité brève, la façon dont il admirait le ciel. Ça ne m’aide pas à avoir un point de vue objectif et à peser le pour et le contre de manière rationnelle. Ceci dit, ça me permet d’être certain d’une chose : j’ai des sentiments pour le Serdaigle. Je ne pourrais pas le nier sans que mon nez allonge d’au moins trois mètres, au moins. Mais étais-je prêt à plus ? Désirais-je vraiment accepter de le mettre en danger ? Je pourrais bien tenter d’ignorer cette vérité toute la journée durant, mais je suis un semi-vampire, je me nourris de sang. Si je ne fais pas attention la soif pourrait me consumer et il se trouve que Bertram est un être humain. Ce serait comme de mettre une chèvre dans l’enclos d’un dragon en espérant que les deux arrivent à fonder une relation de confiance dans laquelle ils peuvent tous deux s’épanouir. Spoiler alert : not gonna happen. Ou alors suis-je trop fataliste ? Je lui fais confiance pourtant, non ? Mais et si ? Si je le blesse. Si je me retourne contre lui et qu’il réalise qu’il s’est trompé. Si un jour son regard se pose sur moi et que je n’arrive à y lire qu’un constat destructeur : tu es un monstre.

Et tout ça, c’est sans compter sur Gus qui est plus évasif qu’un poisson dans l’eau. On croit lui mettre la main dessus et il glisse, impossible de refermer sa prise. J’ai l’impression qu’il sait, qu’il a fait les recoupements qui s’imposaient et, maintenant, il m’en veut à moi aussi. Pas juste à Bertram. Je pourrais aussi ajouter à la liste de mes préoccupations le cas Payne – Da Silva, mais honnêtement ça commence à faire beaucoup et j’ai autre chose à faire. Cet après-midi, je dois retrouver Cécilia dans la salle des potions. Au programme ? Le philtre de mort vivante. La simple idée de prononcer le nom de cette potion devant elle me donne envie de grincer des dents. J’espère que ça ne lui évoquera rien de trop négatif. Si j’ai de la chance je vais m’en tirer avec des réflexions poétiques et baudelairiennes. Si je n’en ai pas… On verra bien. Ce que je sais, c’est qu’il est capital que j’arrive à laisser mes préoccupations personnelles en dehors de la classe. Je suis là pour l’aider dans ses potions, pas pour l’inquiéter avec des problèmes qui ne la regardent absolument pas. Puis la Serdaigle doit avoir déjà bien assez de choses à gérer dans sa propre vie.

J’ai commencé à l’aider en tant que tuteur l’année dernière et il s’agissait de l’une des rares élèves que je tenais à continuer à voir malgré les complications de mon horaire. Depuis que j’avais rejoins l’équipe d’hippoball, ces moments dédiés à l’aide de mes camarades s’étaient faits de plus en plus rares, sans compter que je manquais plus de la moitié des rencontres du club de potion à présent. Mais Cécilia était un cas à part. Une élève comme aucun autre. Je n’avais pas le cœur à la laisser chercher un autre tuteur, recommencer à zéro, apprivoiser une nouvelle personne. Puis qui sait si elle trouverait quelqu’un d’assez patient, assez compréhensif pour ses besoins particuliers ? Je ne pouvais tout simplement pas la laisser tomber.

Ainsi j’avais pris de profondes respirations, pour me calmer. Pour une énième fois dans ma vie j’eu une vague pensée pour la méditation et ses bienfaits, mais je n’aurais sans doute jamais la volonté suffisante pour m’y mettre. Et surtout pour trouver le temps de faire de la méditation. Bitch, I’m on a schedule. J’esquissai un sourire en coin. Voilà, ça c’est mieux. De bonne humeur, détendu, prêt à entrer dans la salle de potions pour aller préparer le matériel dont nous aurions besoin aujourd’hui. Je préférais le faire avec un peu d’avance sur Cécilia, pour gagner du temps et faciliter la leçon. Puis ça me donnait l’occasion de jeter un œil au local, de m’assurer que tout avait l’air en ordre, au cas où quelqu’un serait passé avant nous. Mais non, tout semblait à sa place. Parfait. Un regard à mon pineapple m’apprit que c’était presque l’heure. En attendant, je pouvais profiter de quelques minutes de silence tout en préparant notre espace de travail. Quel plaisir de profiter d’un peu de solitude, même s’il ne s’agit que de quelques minutes volées ça et là.