divergences (elli)

Très franchement, Leif ne portait pas le professeur Jernigan dans son coeur. Et en général, Leif était du genre à aimer les autres. Les raisons, il était forcé de l’avouer, lui-même ne les comprenait pas. Peut-être qu’il avait fini par relever les regards en biais que celui-ci lui dressait, qu’il avait fini, au cours de leurs quelques discussions, par comprendre que c’était Elli, justement, qui ne l’appréciait pas - et lui rendait bêtement la faveur.
Ou peut-être que la politique d’une coupe de cheveux approximative, en tant qu’adulte, lui semblait profondément irresponsable.
Dans le doute, et incapable de trouver une réponse adéquate à cette perte de contrôle de ses sentiments d’ordinaire si sobre, Leif se tourna vers la troisième option. Entre l’expression d’un drame sérieux, le genre de relations qui était aussi contraignante que prise de tête, et un simple dérapage lié à l’humour, Leif préférait couper court à tout problème.

Le jugement capillaire, c’était très bien. Il prendrait sans doute quelques heures de colle lorsqu’on lui demanderait quel était le problème, mais il en avait assez d’éviter le professeur d’étude des sorciers parce que l’air s’électrisait à chaque fois qu’ils se croisaient.
C’était le cas un peu trop souvent, d’ailleurs, et peut-être une de trop : Leif avait hérité d’une retenue. La décision aurait soulevé ses protestations s’il n’était pas assez conscient des problèmes additionnels que cela lui causerait. Mieux valait ne pas protester. Et puis, quelque part, il l’avait mérité : même si dans la forme, il restait poli, Leif avait peut-être dépassé les bornes, cette fois.

Il se jura de ne plus se lancer dans une discussion sur son avenir avec ce professeur, à en voir le résultat, et préféra songer aux erreurs qu’il avait pu commettre. L’erreur, tout court, qu’il avait commis, pour se retrouver ici. La raison, à vrai dire, il n’avait pas besoin d’en douter - il ne la connaissait que trop bien.
Porteur d’un rêve aussi bienveillant qu’utopique, il se refusait à laisser la moindre erreur tâcher le tableau d’un futur règne ; et malgré ça, les propos désabusés de cet homme aigri l’avaient atteint plus d’une fois.

Malgré ce caractère désagréable, au regard de Leif, et toute l’apathie qu’il lui inspirait, Leif était forcé de l’admettre : Eli Jernigan était quelqu’un d’intelligent. Très intelligent, même, puisqu’il ne se laissait pas bercer par son charisme presque hautain, ses sourires soporifiques et bienveillants.
Pour bien des gens, il était un modèle. Et pour ceux qui surmontaient son charme, et bien… il était détestable.
Leif incarnait l’ambition et la réussite, comment apprécier une telle expression de force ? Dans bien des coeurs, il suscitait la jalousie.

Rares étaient ceux qui le pensaient véritablement médiocre, après tout, Leif n’échouait que rarement.

Il n’était pas assez arrogant pour penser que le professeur éprouvait de tels sentiments à son égard - après tout, Mr. Jernigan était quelqu’un de profondément bienveillant. Désagréable, cassant sur les bords, mais ce n’était pas une mauvaise personne. Pour lui comme les autres, ou les autres, au moins, il ne désirait que leur bien.
Du moins, il voulait le croire, car Leif venait de toquer à la porte du professeur, arrivant à l’heure convenue de sa retenue, et se présenta en face de son bureau.

« Professeur Jernigan. » s’annonca-t’il simplement.