Fais tourner – ft. Rebecca

Pourquoi ça sent le shit dans le couloir ?


Et toi, que fais-tu là, à observer le néant alors que tu es à deux pas de la salle commune des Serdaigle ? À deux pas d’éviter les emmerdes. On dirait que tu hésites. Une retenue de plus ou de moins, qu’est-ce que cela changerait ? Rien. Foutrement rien. À force de te faire punir, les profs auraient dû comprendre. À force de traîner tes godasses en retenue, ils auraient dû capter que leurs méthodes ne fonctionnent pas. Qu’elles ne fonctionneront jamais. T’es pas du genre à plier pour des sornettes pareilles. T’es pas du genre à troquer ta liberté, tes conneries, pour quelques heures dans un cachot. Des fois, tu te demandes qui est le plus con. Celui qui reçoit les sanctions ou celui qui les donne. Les profs, sans doute.

Tu soupires. Alors, tu y vas ? On dirait bien. Tu as besoin de distraction. Tu t’es sacrément fait chier en retenue. Ce soir, Rebecca n’était pas là. Elle était libre, loin des heures de retenues. Elle n’avait pas à besoin d’imaginer, avec toi, un plan débile pour vous évader. Elle n’était pas là pour plonger à pieds joints dans les mauvais coups, ou surenchérir sur tes conneries. Elle n’était pas non plus là pour voir ta formidable évasion, ce véritable petit chef d’œuvre que tu as accompli. Sauf que sans public, faire le con a moins de saveurs. Alors, le pas toujours très lent, tu te diriges vers les toilettes. Ça sent à plein nez. C’est étrange que personne n’ait encore capté. Et si c’était un piège ? Un truc pour t’attirer et te faire bouffer de nouvelles heures de colle ? Un coup des profs qui sont emmerdés de voir ta gueule de gland depuis sept ans ?

Tu racontes des conneries. T’as pas fumé et tu dérapes déjà. Allez, cache tes pensées sous ton air bête. Revêts ton air imbécile et pouces la porte. Fais comme d’habitude, puisque ça t’amuse de foutre en l’air les codes. Tu tires sur la poignée et pousses la porte, nullement déconcerté qu’un écriteau limite cet accès aux filles. Comme si cela allait t’arrêter. Toi, tu dégommes les limites. Surtout quand elles s'inscrivent sur des bouts de bois.  Quel rebelle.

Un vrai rebelle, comme cette nénette qui fume son pet’, sans souci, au milieu des cuvettes. Comme une espèce de cendrillon qui a pris cher par la vie. Tu ferais bien ton vieux con, ton gars désabusé. Ton gars bien, propre sur lui, qui sait mieux que tout le monde. Ouais, tu pourrais faire ton Serdaigle. Mais ce serait moins amusant. Penchant légèrement de la tête, tu observes la jeune femme. Tu glisses ensuite ton regard vers son pet. « Tu fais tourner ? ». Pourquoi être sérieux, n’est-ce pas ? Pourquoi suivre le droit chemin quand on peut prendre ceux de traviole ?

Bien entendu, comme toujours, tu ne reconnais pas la personne devant toi. Pourtant, tu devrais. T’as fait mille conneries avec elle et pris mille retenues justifiées par sa faute. C’est celle qui te manquait, même pas une heure plus tôt. Sérieux Arthur, tu pourrais faire un effort. Car franchement, ce look négligé qui dit merde au monde entier, ce petit regard qui envoie chier le premier connard qui ose y plonger, ce ne peut être que Rebecca.

Voilà, tu sautes à pieds joints dans la merde. T’es pas possible. Tu n’as donc aucun instinct de préservation. Tu flirtes avec les limites, sans te poser de question sur les conséquences. Non, tu ne t’interroges pas. Surtout pas. C’est trop chiant. Cela n’a aucun intérêt. C’est ennuyant. Et toi, l’ennui, tu l’évites comme la peste. Sans un mot, l’imitant sans le vouloir, tu la grattes la distance qui vous sépare et t’installes à ses côtés. Elle te tend la petite cigarette miracle et tu l’attrapes avec douceur. Poli, comme d’habitude, tu la remercies et portes le petit bâtonnet à tes lèvres. Elle est gentille, cette nana. Elle pourrait être ta pote, tiens. Du coin de l’œil, tu la détailles. Allure provocante, je-men-foutiste généralisé et cravate foutue n’importe comment. Tu inspires. Un jour, il faudrait que tu lui apprennes à nouer une cravate correctement. Ce ne sera sûrement pas aujourd’hui, car vous fumez. Et lorsque vous fumez, Rebecca et toi, vous avez toujours trop de choses à faire. Trop d’idées débiles à accomplir, trop de défis inatteignables à imaginer. Tu expires la fumée en tentant de créer un cercle. Tu n’y arrives pas. Tu pouffes et elle te menace d’heures de colle. Tu pinces les lèvres et retiens un rire. Cette fois, c’est certain. C’est Rebecca. C’est Bec.  

« D’accord. Ajoute-les à mon horaire, s’il te plaît ».

Tu prends une autre taffe, imperturbable, avant de jeter un regard vers elle. Elle en a fumé combien pour être dans cet état ? Elle paraît encore plus avachie que d’habitude. Et puis, vu l’odeur dans le couloir, ça fait un moment qu’elle infuse ici. Tu fais tourner et l’observes. Ce que tu fais là, tu ne sais pas trop.Tu as juste suivi l’odeur. Tu ignores ce que tu espérais trouver. Mais ce dont tu es certain, c’est que ce coin n’était pas censé subir le spectacle de tes ébats. Sa question te fait sourire. Tu secoues la tête et réponds : « Le coin est glamour, j’vois que tu connais mes penchants romantiques. Mais non, ce n’était pas pour ça ».

C’était pour quoi ? Tu ne sais pas trop quoi répondre. Tu hausses les épaules, comme pour écarter cette question. Comme d’habitude, tu t’es laissé porter. T’as vu qu’une connerie était là, prête à être saisie, alors tu l’as suivie jusque dans ces toilettes. « Tu sais que ça sent même dans les escaliers ? ». Vous risquez de vous faire choper. Ça n’a pas l’air de t’angoisser. Au contraire. Ça va mettre un peu d’action. Vous deux, vous êtes les batman et robin de Poudlard. Increvables, inatteignables. Un préfet débarque, vous êtes capables de sauter par la fenêtre. Un prof montre le bout de son museau ? Vous lancez des sortilèges de première année pour vous enfuir. « C’est quoi le plan pour se barrer ? ». Vous êtes au deuxième, sauter par la fenêtre n'est pas une option. Et puis, il faut bien que tu te prépares à l'idée de devoir fuir. Histoire de ne pas te retrouver avec des heures de plus. Parce que la dernière fois, tu t’es un peu fait couillonner. Cette fois là, quand vous avez enchanté ces ballons de baudruches en forme de cœur pour la St Valentin. Quand tu as eu la brillante idée d’y mettre de la peinture dedans. Qu’elle a eu l’idée de les faire exploser en plein repas. Que vous vous êtes fait chopper sans avoir la chance de riposter. Sérieux, des fois, vous n’êtes pas très malins tous les deux. À croire que vous aimez vous faire attraper la main dans le sac. Cela dit, ce ne serait pas étonnant. Sinon, pourquoi avoir signé de vos noms les ballons de baudruche ? Vous êtes vraiment des petits cons, tous les deux. Pas un pour rattraper l’autre.