redemption (Hennessy)

Autour d'elle tout semblait flou, à chaque mouvement qu'elle faisait ses muscles traîtres l'abandonnaient. Les bruits étaient sourds et sa respiration courte. Elle sentait que son air était obstrué et sa gorge encombrée. Chaque initiative lui coûtait un peu plus et la faisait retomber sa gueule contre le sol. Aucune pensée n'était venue perturber sa panique, l'adrénaline montait comme pour l'empêcher de retomber inconsciente à nouveau.

Lorsqu'elle arriva enfin à se redresser contre le mur, elle tomba immédiatement et dut se rasseoir, pestant contre son corps trop faible. Et alors que ses pensées se remettaient doucement en place, une colère se mit à grandir à l'intérieur d'elle. Arsene se noyait de honte. Reprenant peu à peu ses esprits, elle analysa sa position, ses options, et ragea contre son impuissance. Dépitée elle s'empara de son téléphone, les mains encore fébriles et tremblantes, et elle glissa sur sa liste de contacts, nerveusement.

Hors de question d'appeler Atlas. Elle ne voulait essuyer aucune défaite auprès de lui. Ses parents auraient pris Vega en chasse, et elle refusait qu'ils s'occupent de son cas à sa place – c'était à elle de planifier sa vengeance. Elle n'était pas sûre que Aster réponde. Darcy devait certainement être son meilleur choix, et elle s'apprêta à l'appeler, lorsque son nom à lui dominait l'écran.

Un sanglot la fit hoqueter. Elle serra les mâchoires. Elle n'avait pas réfléchi, elle l'avait appelé. Et lorsque quelques minutes plus tard il était apparu, elle s'était décomposée.

« Fais-moi sortir d'ici je t'en supplie. »

Et elle avait tendu les bras comme une enfant, son corps lancé de spasmes provoqués par ses larmes et ses geignements.

Arsene avait détourné le regard. Elle n'avait pas osé affronter ses yeux car elle savait qu'ils étaient les mêmes que la dernière fois. Inquiets, et compréhensifs, comme Hennessy l'était souvent. Elle se disait que si elle relevait la tête, il creuserait un peu plus au fond de ses sanglots. Pour Arsene c'était plus facile d'affronter les reproches, la colère, la haine, elle les côtoyait tous les jours et avait appris à en faire ses chiennes ; la tendresse et l'attention la rendaient fragile, vulnérable.

Elle songea que si c'était lui qu'elle avait appelé, c'est que finalement, elle, comme tout le monde, avait aussi un peu besoin de chaleur. Même si c'était dur à admettre – et à ressentir – elle était bien forcée de constater que ça lui faisait du bien d'être vue dans sa détresse, et accueillie comme une victime plutôt que comme une ratée.

En temps normal, elle aurait certainement refusé de voir un quelconque médicomage. Mais le temps n'était pas normal et les douleurs qui lui lançaient dans la gorge la rappelaient à la réalité sans cesse. Elle hocha la tête positivement, sans parler cependant car les mots lui étaient assassins, et elle s'accrocha à lui, fermant les yeux.

Arrivés à Sainte Mangouste, elle s'effondra en repoussant Hennessy du peu de force qui lui était donnée. Elle eut envie de vomir, mais ce qui s'échappa de sa toux étaient des postillons de sang et rien d'autre. Rapidement prise en charge, Arsene cru perdre connaissance à nouveau, et certaines images, certains sons étaient restés flous.

« Ne dis rien à Atlas. »

Elle était assise sur le rebord d'une table blanche où elle avait été examinée. Entre ses mains posées sur ses jambes il y avait un berlingot de jus d'orange entamé, avec une paille en plastique pliée plantée dedans. Son cou avait été recouvert d'un bandage propre et ils lui avaient fait changer sa blouse pour un t-shirt ample bleu marine qui jurait drôlement avec sa jupe.

Son corps était encore fébrile et sa peau incroyablement pâle, mais déjà elle ne toussait plus et même si sa voix était faible, elle parlait sans trop de mal.

« Je suis désolée de t'avoir appelé, je- »

Elle ne voulait pas se remettre à pleurer, mais sa vulnérabilité la rendait plus sensible. Elle frotta nerveusement ses yeux.

« Je savais pas quoi faire, mais tu avais pas à porter ça. »

Tout ça, et moi.
Elle serra les mâchoires, amère. Il y avait tant d'autres excuses qu'elle n'arrivait pas à formuler.

Tu sais très bien que je le referais sans hésitation.

Elle avait hoché la tête, penaude, et sa voix dans un murmure avait acquiescé d'un Je sais. C'était ça, le soucis ; c'est qu'elle savait très bien qu'il le referait, et que si elle l'appelait encore il reviendrait. C'était peut-être pour ça que c'était lui, finalement, qui était là, et pas son frère ou Darcy. Hennessy était le seul à qui elle faisait réellement confiance, le seul avec qui elle avait fermé les yeux sans s'inquiéter qu'il disparaisse, ou la poignarde.

Elle ne s'en voulait pas d'avoir rompu – et préférait simplement ne pas y penser. Arsene s'arrêtait souvent au déni lorsqu'il s'agissait de faire un deuil. Elle allait enfermer tout ce qui était trop douloureux de l'autre côté de la porte, avec le reste de ses démons. Elle fermait et elle jetait la clé.

Avec Hennessy, la porte aux démons faisait du bruit et se rappelait à elle ; ils hurlaient de l'autre côté, ils fragilisaient le verrou et passaient des bras. A voir ses yeux attentifs la traverser la rendait vulnérable.

Elle secoua la tête dans un mouvement qui lui assurait qu'elle n'avait pas mal, mais ne releva pas les yeux vers lui. C'était trop dur de soutenir son regard.

« C'est plutôt mon orgueil qui en a pris un coup. »

Elle se para d'un rire teinté d'ironie et souffla, approchant la paille de ses lèvres pour finir le berlingot de jus d'orange. Lorsqu'il fut terminé elle le déposa sur la table à côté et finalement ses doigts partirent rejoindre ceux de Hennessy qui s'étaient posés près d'elle. L'étreinte était mince, mais pleine de tendresse. Il était bien le seul à avoir le droit à ce genre d'égard.

Elle avait finalement relevé les yeux.

« Merci. »

Il ne lui avait posé aucune question sur ce qu'il s'était passé. Sans doute avait-il compris qu'elle préférait ne pas en parler. Ca lui faisait ça de moins à justifier.

« Hennessy, ce jour-là.. »

Les souvenirs étaient trop lourds à porter. Après toutes ces nuits dans le silence et ces journées sans un regard, il était temps de s'expliquer. Et après ce qu'il avait fait pour elle, il méritait au moins ça.

« J'aurais du au moins te laisser un message, je le sais. J'ai été horrible et je suis désolée. »

Elle n'avait pas besoin de se justifier, car elle savait très bien qu'il comprenait, elle pouvait même imaginer qu'il s'était blâmé lui-même plutôt qu'elle, et ça la butait. Il était temps qu'elle reprenne ses responsabilités.

Arsene avait gardé le silence. Elle n'avait pas besoin d'en rajouter plus. Elle n'avait ni envie de s'expliquer, ni envie de se confondre en plus d'excuses, et avait tu toutes les justifications qui se seraient débattus dans sa gorge. Déjà car il méritait qu'elle n'ait pas eu raison de faire ce qu'elle avait fait ; ensuite parce que ça ne regardait qu'elle – peu importe ce qu'il pouvait en dire.

Elle avait fini par hausser les épaules, un mince rictus égayant le bord de ses lèvres. Le rôle de la victime était peut-être une place stratégique des plus confortables, mais pour son égo et surtout pour son indépendance, d'être plainte en permanence la rendait amère.

« Ne sois pas si dramatique. »

Arsene avait vécu et fait vivre des enfers plus ardents et violents que l'interrogatoire auquel elle avait du faire face. Elle songea que le monde entier en faisait un drame plus grand que ça ne l'était vraiment.

« Ce n'était rien qu'un mauvais moment à passer ; et il est passé. Ce n'est pas aussi éprouvant qu'on se plaît à le dire. En période de troubles c'est légitime de faire passer des interrogatoires à des suspects, peu importe d'où provenaient leurs preuves. En fait ce qui est scandaleux c'est qu'on a été finalement assez peu nombreux à accepter la procédure. »

Arsene avait toujours été froide et professionnelle, seulement c'était rare en sa compagnie à lui.

« Les aurors faisaient leur travail. Quand on arrête un suspect et qu'il se débat, s'insurge, hurle ou court, ça ne fait que renforcer les suspicions, tu ne crois pas? »