Pas un mot || Edwyn Ollivander

Edwyn avait un problème avec les métaphores. Quelque temps plus tôt, alors qu'il était dans le train et que ces empaffés du ministère l'avaient fait brusquement arrêter, il s'était retrouvé avec une jolie blonde à ses pieds d'une manière plutôt littérale. Aujourd'hui, c'était encore le même genre de scénario. Une brunette, cette fois, qui lui était tombée dessus.

Il se baladait pourtant tranquillement dans les couloirs en quête d'un endroit tranquille pour quelques expérimentations simples et peu dangereuses sur les sortilèges quand elle lui était rentrée dedans et l'avait renversé au sol, plaquant une main pleine de peinture sur son visage et un doigt sur ses lèvres pour le faire taire. Non, vraiment, il aurait bien trouvé tout cela cousu de fil blanc s'il n'avait pas eu peur de se retrouver ficelé comme un saucisson. Était-ce une nouvelle malédiction ? L'ancienne qui avait évolué ? Un pur hasard ? Alors qu'il songeait à ces questions, les bruits de pas qui retentissaient s'éloignèrent et finirent par disparaître. La brune s'écarta et il put respirer plus facilement. Elle n'était pas très grande, mais elle avait une certaine force. Probablement assez pour lui mettre une rouste mémorable dans une bagarre, aussi s'était-il tenu tranquille. Puis, dans les histoires, c'est souvent avec des moments comme celui-ci que débutent de grandes aventures.

Il s'étira et contempla les "dégâts" en question, puis haussa les épaules, l'air pas trop scandalisé par ce qui venait d'arriver. Il y avait bien plus intéressant que quelques taches qu'il pourrait faire partir facilement.

« Rien de grave, mais si tu tiens vraiment à te faire pardonner, raconte. Tu as assassiné un pot de peinture et tu fuyais le lieu du crime ? »

Il la détailla un peu plus, tentant de l'imaginer avec un air fou, un couteau à la main, poignardant sauvagement un pauvre pot de peinture sans défense et dû se retenir pour ne pas éclater de rire. Mieux valait qu'il évite de passer pour un complet cinglé dès la première rencontre.

« Est-ce que ça part à l'eau ? Ou serai-je condamné à fuir éternellement la justice chromatique de peur d'être condamné moi aussi ? »

Bon, pour ce qui était de ne pas passer pour un complet cinglé, il était mal parti. Soit, après tout c'était elle la mieux placée pour montrer patte blanche au vu de la situation.
En tout cas, si c'était lavable, ce serait rapidement réglé. Dans le cas contraire, il faudrait probablement employer un peu de métamorphose, mais rien de trop complexe tant qu'on savait ce qu'on enlevait. Aucune inquiétude à avoir, donc.

Il hoche simplement la tête. Il n'ira pas parler de tout cela, ce n'était pas comme s'il avait vraiment quelque chose à y gagner, de toute façon. Et dénoncer ses camarades était plutôt mal vu. Machinalement, il faillit répondre « Je sais. » à son commentaire sur les moyens plus rapides de faire disparaître les taches, pour lui c'était juste une façon de savoir quel type de sort employer pour les faire disparaître. Un sort de nettoyage classique ne suffisait pas toujours.
Acceptant la main tendue, il se releva et la détailla un instant. Un assez long instant. Elle était assez séduisante mine de rien et il se dégageait d'elle quelque chose d'indéfinissable qui la rendait très attirante, d'une façon un peu irréelle.
Mais quand il la lâcha enfin, de vieux réflexes prirent le relai de son cerveau un peu embrumé et rassemblèrent quelques pièces du puzzle que constituait sa mémoire. Il se souvenait d'une fillette, très jolie également, venue acheter une baguette similaire et d'allitérations.

« On s'est vu, il y a longtemps. Tu es la fille avec le prénom d'une déesse antique. Venus, c'est ça ? Je m'appelle Edwyn, mais la plupart des gens m'appellent "Ned". »

C'était plus simple. Ce qui l'était moins, c'était de rester de marbre face à elle. Une petite part de lui-même désirait l'impressionner, lui plaire et attirer son attention, son regard. C'était bizarre et il fit de son mieux pour l'enterrer très loin, après lui avoir mis quelques coups de pelle pour faire bonne mesure. Il détestait ne pas avoir les idées claires. Détournant les yeux, il s'attarda un peu plus sur la baguette qu'elle maniait.

« Ça fait longtemps qu'elle fait ça ? »

Elle semblait quelque peu tachée, mais en bon état. Peut-être n'était-elle plus en harmonie avec elle ? Cela arrivait parfois lorsque les gens changeaient en profondeur, subissaient une épreuve ou un traumatisme. Et certains cœurs et essences étaient également très exigeants concernant leur porteur. Lui-même avait la chance de posséder une baguette docile, répondant à la moindre de ses exigences sans jamais rechigner à la tâche, ni exiger quoi que ce soit de lui, mais ce n'était malheureusement pas le cas de tout le monde. Il tendit la main, paume vers le haut.

« Je peux la voir une minute ? Je te passe la mienne en attendant, si tu veux. »

Il ne craignait pas de la perdre. C'était sa baguette, elle lui reviendrait d'une manière ou d'une autre.

Démasqué en quelques secondes à peine. Il allait finir par se présenter sous son nom complet à ce compte. Enfin, ce n'était pas un drame non plus.

« Ah, tu connais Andy. »

C'était une constatation et il était trop absorbé par le problème en cours pour s'inquiéter des circonstances de cette rencontre. Plus tard, probablement. Il prit la baguette cédée sans trop de réticence et commença immédiatement à l'examiner. Les paroles de la Poufsouffle l'interrompirent dans sa réflexion et lui arrachèrent un rire franc.

« Mais qui invente de pareilles salades ? Non, je te rassure, tu es une sorcière à part entière, être à cent pour cent humaine ou non n'y change rien. Tu as le don et la baguette le reconnait. Sinon elle ne fonctionnerait tout simplement pas. »

Au vu des circonstances et de l'attrait qu'elle exerçait sur lui, il n'était pas difficile de deviner quelle était la part non-humaine de son héritage. Merlin, ça devait être vraiment horrible d'avoir ce "don" au quotidien. Reportant son attention sur la baguette, au prix d'un effort de concentration certain, il fit tourner celle-ci entre ses doigts, puis lança quelques sorts mineurs, faisant apparaître une douce lueur, une gerbe de fleurs, quelques oiseaux et traça des lettres en l'air sans la moindre présence d'étincelles. Il la lui tendit, le manche en avant.

« Bonnes nouvelles, ta nature n'est pas en cause et ta baguette fonctionne parfaitement. Le problème, c'est que c'est une baguette de cerisier et qu'elle a besoin que tu sois sûre de toi et maîtresse de tes émotions pour fonctionner correctement. Ce genre de chose arrive parfois avec certaines baguettes exigeantes quand leur sorcier change fortement, rien d'anormal. »

Il lui accorda un sourire qui se voulait rassurant. C'était peu courant, mais pas excessivement rare. Malheureusement, il n'y avait pas trente-six solutions. Deux seulement. L'une était coûteuse et l'autre demandait des efforts.

Ok. Baguette. Problème. Solution. C'était simple et routinier, ça. Il pouvait le gérer. Elle tombe amoureuse, sa baguette cesse de fonctionner. Émotionnellement, c'est un peu le bordel quand on est amoureux, il en sait quelque chose. Même si, en général, ça ne suffit pas à provoquer ce genre de souci. Étrange. Rien d'insoluble, cela dit.

« Hm. Allons par là, je n'aime pas l'idée de causer au milieu des couloirs. »

Il fit quelque pas jusqu'à la porte d'une salle vide dont il fit tourner la poignée. Verrouillée. Un coup de baguette rapide et la serrure émit le cliquetis caractéristique du déverrouillage. Il poussa la porte et entra. Certes, il aurait pu la laisser passer devant, mais il tenait à lui démontrer qu'il n'y avait pas de piège ici. Juste un peu de poussière. Il dégagea un banc d'un autre mouvement épuré et s'assit dessus.

« Bien, c'est mieux. En gros, le souci est au niveau émotionnel. Je ne suis pas dans ta tête, mais ça n'empêche pas de suggérer des solutions qui devraient marcher.  »

Allons, étale ta brillance ô maître des baguettes. Un petit sarcasme auto-dirigé, rien de tel pour se rappeler de ne pas trop en faire. C'était noté. Il remercia son subconscient d'avoir une aussi haute opinion de lui. Toujours un plaisir.
Il mit en avant les solutions qu'il envisageait, les comptant sur ses doigts.

« Première option, la version facile, mais coûteuse : tu changes de baguette pour une qui soit moins sélective et plus docile. Cela dit, comme l'année a déjà commencé, tu devras attendre la période des fêtes pour t'en procurer une. Je veux bien te prêter la mienne en attendant, au besoin, tant que tu y fais attention et me prêtes la tienne en contrepartie. »

Oui, pour beaucoup, ce genre de discours tenait du blasphème. Mais c'était sa baguette et elle était d'un type particulièrement docile et soumis, il en disposait selon son bon plaisir et s'il décidait de la prêter, elle accepterait ce fait et lui reviendrait sans la moindre rancune. La baguette ne faisait pas le sorcier, de toute manière.

« La seconde option, plus difficile, est de reprendre le contrôle sur tes émotions. Ton cas semble un peu particulier et l'amour que tu éprouves a dû bousculer tes repères en profondeur, mais si tu parviens à reprendre le dessus, ta baguette devrait t'obéir à nouveau. Si cette solution te tente, je crois pouvoir mijoter un philtre de paix léger histoire que tu puisses aborder tout ça avec un peu plus de sérénité. »

Ça semblait être une bonne méthode également. Et s'il dosait bien sa potion, cela n'aurait aucun impact sur ses performances académiques ou sportives. A ce propos :

« Tu joues au quidditch ? »

Il fallait peut-être qu'il s'attarde sur un point de détail, pour dissiper tout doute à ce sujet immédiatement.

« Tu sais, ce n'est pas ton amie ou ta relation, le souci. Le souci, c'est là et là qu'il se trouve. »

Il pointa l'emplacement de son cœur et sa tête, à moitié conscient seulement du fait que cela pouvait être compris d'une manière un peu vexante. Ce n'était pas comme si ce genre de chose l'affectait beaucoup. Les gens qui avaient envie de se vexer se vexaient de toute façon, quoi qu'on leur dise.

« Pour revenir au quidditch, comment tu te sens quand t'es sur ton balai ? Dans l'action d'un match ou simplement quand tu peux voler à ta guise ? »

Il n'était pas un bon joueur de quidditch, mais comme tous les enfants sorciers, il était monté sur un balai étant petit et avait trouvé la sensation de liberté grisante - et la chute qui l'avait suivie assez douloureuse.

« Si ce qui trouble ton cœur et ton esprit disparaît dans ces moments-là, peut-être que tu pourrais tenter de voler plus souvent ou essayer de te concentrer sur cette sensation quand tu lances tes sorts ? Un peu comme quand on lance un patronus et qu'on doit se concentrer sur un souvenir heureux. »

Bon, c'était peut-être un peu tiré par les cheveux et il n'était sûr de rien. Tout cela relevait probablement plus du domaine des médicomages et la magie était une chose complexe qui refusait encore de lui livrer ses secrets malgré les efforts constants qu'il faisait dans ce sens. Dans tous les cas, ça ne pouvait probablement pas faire de mal d'essayer.

« Enfin, c'est juste une théorie, mais ça pourrait éventuellement t'aider à tenir le coup le temps que la potion soit prête, voire t'aider à t'en sortir sans. »

Il détourna le regard vers une fenêtre poussiéreuse, regardant sans vraiment voir ce qui se trouvait au-delà. Je sais que je ne sais rien. C'était probablement la chose la plus frustrante qui soit. On disait l'omniscience ennuyeuse, l'ignorance bienheureuse, mais en savoir juste assez pour contempler l'immensité de son ignorance était désespérant. Soit, il changea de sujet.

« Tu ne m'as toujours pas dit ce que tu étais en train de faire avant de me percuter. »

Si ça pouvait la rassurer et l'aider à aller mieux, c'était déjà une victoire en soi. Néanmoins, cette histoire de tag l'intriguait quelque peu. Elle en disait trop peu pour que ce soit juste une simple marque laissée sur un mur. Un simple "V was here" n'aurait pas été aussi silencieux. Et un peu bête aussi.

« Pourquoi ? »

Pas Qu'as-tu dessiné ?, il aurait pu poser cette question aussi, mais il n'avait pas besoin d'elle pour y répondre. Il lui suffisait d'aller faire un tour dans le couloir d'où elle venait lorsqu'ils s'étaient croisés. Non, quitte à avoir l'auteure de l’œuvre, autant lui en demander le sens et ne pas avoir à l'interpréter. Il interprétait toujours les œuvres d'art de manière farfelue, de toute façon.

Il aimait beaucoup l'art et pouvait rester de longues heures à contempler une toile, une sculpture ou un dessin. Pour chercher à en découvrir les moindres facettes, les moindres détails. La décrypter, en somme. Parce que c'était reposant aussi.

« Pourquoi cette méthode, aussi ? »

Il y avait des tas de manière de s'exprimer, celle-là devait exprimer quelque chose ou posséder un intérêt en elle-même pour qu'elle l'ait choisie. Ou peut-être n'était-ce que celle qu'elle connaissait le mieux ?

Envoyer un message en tirant profit de l’anonymat ? Oui, il pouvait comprendre ça. Il pouvait comprendre les ramifications de son don aux allures de malédiction. Aux yeux des gens, elle était une personne à regarder, à désirer, mais ses mots n’avaient d’importance pour eux que dans la mesure où les écouter leur permettrait de lui plaire, d’attirer son attention. Personne ne la voyait en tant qu’elle-même, pas sans le spectre de son ascendance flottant entre eux comme une barrière invisible, déformant tout ce qu’elle faisait.

Mais Edwyn ne la regarda pas. La regarder et continuer à penser d’une manière efficace était difficile, il ne voulait pas perdre le peu qu’il gagnait à ne pas le faire. Il n’aimait pas l’idée de la détailler. Elle n’était pas une pièce de viande sur l’étal du boucher, mais une personne avec un intérêt propre, en tant que telle.
Il y avait certes des avantages à exploiter son ascendance, même si ça devait être moralement répréhensible d’une certaine manière. Enfin, tout le monde ne s’en souciait pas. Il se demanda un instant si c’était encore plus fort avec une vélane à part entière et comment il pourrait s’en prémunir en cas de besoin, mais tout cela n’avait pas grande importance pour l’instant.

« Tu ne penses pas qu’il y a toujours un peu de toi dans tout ce que tu fais ? Créer, c’est toujours un peu se trahir, non ? »

Et, d’une certaine manière, c’était aussi vrai de la destruction que de la création. Ce qu’on détruisait, la manière dont on s’y prenait, cela devait avoir un sens aussi. Il repensa à l'aérosol, ça avait l'air marrant à utiliser. Un pshiiit et de la couleur partout.

« Ça a l'air plutôt sympa. Je m'y essayerais bien, mais je n'ai jamais eu de talent pour les arts plastiques. »

Ou la musique, le chant et bien d'autres domaines. Il dansait acceptablement, à la rigueur. C'était peut-être pour ça qu'il trouvait l'art fascinant. Pour le pudding, par contre, pas d'explication rationnelle en vue.