C’était encore cette atroce douleur provenant de l’arrière de son crâne qui l’obligea à crisper son visage aux traits fins d’une exquise douleur, apportant ses longs doigts contre son front brûlant de fièvre, ainsi qu’à ouvrir ses yeux à la couleur si particulière, plongeant son regard dans le ciel sans fin d’une nuit étoilée. L’heure de l’extinction des feux approchait - si elle n’était pas déjà dépassée. À dire vrai, dans ce lieu magique qu’était l’intérieur de l’horloge, Alaine semblait déjà avoir perdu la notion du temps, seule la solitude et la tranquillité qui résidait entre ces murs de pierre semblait pouvoir consoler son âme peinée, semblait pouvoir consoler sa crainte de l’avenir. Et la nuit apportait avec elle, non pas ses cauchemars, mais ce pouvoir de guérison. La nuit réussissait à l'apaiser en ce jour fatidique, car même malade cette nuit-là, elle avait l’obligation d’observer les étoiles.

  Scintillants, se reflétant dans ses yeux, les souvenirs d’enfance affluaient. Les bons tout comme les mauvais. Comme toujours et à jamais. Ils dessinaient un doux sourire sur ses lèvres rosâtres, malgré la douleur qui persévérait dans son crâne et qu’elle tentait de camoufler désespérément. Jusqu’à qu’une voix masculine parvint à ses oreilles pointues, faisant naître en elle un léger sursaut, sentant son coeur rater un battement dans sa poitrine. Sa main se dirigea instinctivement vers sa poitrine, se déposant sur son cristal émeraude, en même temps qu’elle donnait un coup d’oeil timide vers l’homme qui s’approchait doucement de sa personne. Et son regard dévisagea durant de courtes secondes le visage blanchâtre de son interlocuteur, le regard lointain. Comme si elle découvrait sa personne, comme si elle le voyait pour la première fois. Alors que non, pas du tout. Ce n’était guère la première fois qu’elle l’observait ainsi. «Bonsoir, Hallelujah.» Et son regard fut détourné, sentant ce dernier s’approcher de nouveau, sentant la crainte et la gêne s’installer en elle ; la timidité certainement. «L'extinction des feux aura bien lieu. Donc…» Il se masse la nuque comme embêté de la situation, c’est vrai l’extinction. Peut-être pourrait-elle y échapper s’il restait à ses côtés ? Peut-être pourrait-elle ainsi rester plus longtemps, d'autant plus que sa compagnie n’est pas à déplaire pour la demoiselle. Peut-être était-il temps de prendre des initiatives.

 D’un geste lent, elle avait redressé son visage fiévreux vers lui afin que leurs regards se croisent, afin qu’elle puisse plonger ses pupilles dans les siennes. Elle avait dessiné sur son visage, un sourire chaleureux qui ne voulait éveiller aucune animosité envers son interlocuteur, cachant pourtant une certaine once de tristesse en son centre. Et enfin, elle avait murmuré de nouveau de sa voix douce et paisible en ce lieu silencieux : «Excuse-moi Hallelujah, mais peux-tu me permettre de rester ici encore un peu ?» Hésitante, elle avait tendu sa main vers la sienne, ne sachant pas comment exprimer sa demande. Et craintivement, elle avait déposé ses doigts contre la peau du préfet-en-chef de Serdaigle, prenant maladroitement sa main dans la sienne. «Tu peux rester avec moi, si tu en as envie. Même si je ne suis pas de très bonne compagnie…» Et elle détourna brusquement son regard, son sourire devenant de plus en plus triste et sa main tremblante.

 C’est vrai, pourquoi resterait-il avec elle ? Elle n’est qu’une pitoyable gobeline, après tout. Elle n’a aucun droit, ni celui de lui demander quoi que ce soit, ni celui de lui tenir la main. De plus, dans l’état où elle est, elle ne serait qu’embarra pour ce dernier. «Désolée.» Murmura-t-elle de nouveau, relâchant légèrement la main d’Hallelujah de son emprise. «Ma demande est égoïste, tu as sûrement du travail.» Elle avait vraiment eu du culot cette nuit-là, Alaine Padraigin Aslingt.

  Le regard perdu dans la contemplation des pierres autour de nos deux personnages, c’est un sentiment d’étonnement qui s’empare soudainement d’elle en ressentant une tendre pression qui vient réchauffer son cœur et écarter ses doutes bien trop pesants ; Hallelujah avait serré sa main dans la sienne - telle une réponse envers son regard fuyant mais doucereux. Le comportement de son interlocuteur vint la forcer à créer un doux sourire sur son visage, un sourire qu’elle ne pouvait contrôler, trahissant ses plus profonds sentiments de bonheur. Depuis quand était-elle devenue si transparente ? Certainement depuis toujours, Alaine ignorait que ses sentiments étaient aussi perceptibles.  Ainsi, elle vint redresser ses yeux à la couleur améthyste pour plonger son regard dans le sien - découvrant la profondeur de ce dernier, plongeant dans cette magnifique couleur océanique qui la faisait rêver. Elle vint ressentir sa peau contre la sienne dans un mouvement répétitif, bien loin d’être désagréable ; il semblait caresser délicatement sa main.  Puis, ce fut au tour de ses lèvres de rencontrer sa peau fiévreuse ; une sensation qui fit battre son coeur, qui fit naître un étrange sentiment de chaleur dans le creux de sa poitrine et brûler ardemment son visage. Ce dernier lui donne l’impression de prendre feu, se mélangeant avec un sentiment d'étonnement à l’égard de cet acte qui reste pourtant très agréable pour la demoiselle. Il vient confirmer ses dires, secouant négativement la tête. Ce geste l'a fait sourire de plus belle. Puis ajoute la réponse qu’elle attendait tant : « J'accepte, mais cela ne m’empêchera pas de te coller une punition.» Un sourire tendre à son encontre apparaît sur son visage, signe qu’il plaisantait. Et cette fois, pendant que dans sa tête Hallelujah réfléchissait à sa décision, la gobeline vint rire légèrement avant qu’il ne décide de l’attirer vers lui, contre lui, contre sa personne. Elle sent son bras passé contre sa taille et elle se laisse entraîner lentement dans cette danse figée avec lui, ignorant ce que cela pouvait occasionner.

      «Pour commencer, j'aimerai savoir ta présence ici.» Sa voix résonne entre la pierre et à son tour Alaine entre dans un dilemme qui n’appartient qu’à elle. Elle ferme les yeux durant quelques secondes, cherchant les mots pour expliquer la raison de sa présence ici. Peut-être qu’en surface la question que venait de lui poser Hallelujah paraissait simple et sérieuse, néanmoins en profondeur c’était tout autre chose ; bien plus intime et complexe. Et pendant qu’elle semblait réfléchir le sourire d’Alaine n’avait pas disparu, il était resté rassurant et chaleureux. «Je. J’ai. Hum.» Elle rouvre légèrement ses yeux, recherchant les termes pour construire sa phrase. «Je ne sais pas vraiment comment expliquer mes sentiments, je n’ai pas l’habitude de parler de moi et de ce que je ressent. Mais je suppose que j’avais besoin de réfléchir. Je semble être un peu perdue avec moi-même en ce moment. C’est pourquoi j’ai choisi d’être présente ici ce soir, dans un lieu oublié et solitaire.» Et elle n’avait rien murmuré de plus à l’encontre d’Hallelujah, évitant d’introduire des détails inutiles qui pourraient l’ennuyer comme par exemple la date du jour qui semblait tant la préoccuper ou encore le fait qu’elle voulait rester ici quoi qu’il puisse en coûter. Elle avait simplement redressé son regard vers celui du préfet, prenant l’initiative de déposer sa main fiévreuse contre sa joue glacée - caressant à son tour sa peau si douce de ses longs doigts fins. «J’ai conscience que je ne devrais pas être ici à cette heure-là avec toi. Alors ça ne me dérange pas que tu me donnes une punition. C’est ton devoir, après tout. J’assumerai mes actes.» Et ainsi après ses murmures innocents (car elle était bien loin d'imaginer quoi que ce soit en prononçant de telles paroles), elle vint déposer sa tête contre son torse, fermant ses paupières. «C’est agréable.»