make a mess of things — isaiah

Par-dessous la cornée il y a ce venin odieux rampant dans les sillons de deux iris couleur firmament, pigment pas même fardé d’une ombre d’indulgence, appendice obscur où l’on s’égarerait bien trop aisément. Il les enténèbre constamment, les bariole d’une teinte abominable à coups de grossiers traits de pinceau. Amertume ébranlant les fondations-même d’une bâtisse pourtant ancrée profondément dans les strates souterraines, maculant les rideaux et ciels de lit de son abject goudron. Aricie Blackwell exsude la haine, elle en abreuve les noires glycines de son être; elle en a d’ailleurs assez pour deux, de telle sorte que jamais Perséphone et toi n’avez eu à vous jalouser en la matière. Il faut croire, au contraire, qu’un tel ressentiment ne vous a que plus soudés, comme le sont les deux ailes d’un oiseau de malheur aux prises avec un vent peu clément, un seul isthme malmené par les flots dont il est cerné.

À peine la lumière baignant la pièce aseptisée esquinte-t-elle vos yeux qu’un calcul intraitable vous prédestine tous deux. Du reste, n’êtes-vous pas rien de plus que deux moitiés d’une même chair à canon qu’on a précipitée dans les bras d’une mère réticente et évasive, dès lors et à jamais estropiée ? Par le même procédé minutieusement réitéré, elle vous prive de toute affection du plus tendre de votre enfance jusqu’à ce jour. Sans doute aurait-il pu en être autrement ? Mais tu ne te l’es jamais figuré; ta génitrice est et restera à tes yeux ce curieux alliage d’humeurs acrimonieuses, rongeant jusqu’aux lattes de plancher du vieux manoir familial, d’un visage admirable quoique tourmenté par la haine et de mains émaciées, éternelles réprobatrices croisées sur le piédestal d’une paire de genoux infirmes. Après s’y être écorché par deux fois, tu ne t’y laisses plus prendre. Lui prêter ton chagrin ou ta rancœur serait comme sustenter un genre de gueule insatiable qui finirait vite par happer son propre pourvoyeur.

Petit écho malgré toi, tu t’enhardis et te mets à cultiver ta propre espèce de folie, à bien des égards semblable à celles que nourrissent bon nombre de gamins, et que ton géniteur ne peut qu’encourager. À coups de peau égratignée sur les ronces et les rochers, d’épis bruns dépassant des fourrées, de chasse aux gnomes, de courses de bille jusque dans les entrailles de la demeure, tu bâtis un empire que tu penses tien. Un empire à quatre mains puisque ta sœur en est elle aussi brillante architecte. Bientôt l’empire turbulent devient sa propre raison d’être et non plus un stratagème pour endiguer les incendiaires mirades et reproches maternels.

Enfin, l’empire s’étend pour être le fait et l’usufruit d’autres encore que Persy et toi. Son existence n’est en fait qu’entamée lorsque tu foules de tes pas avides de première année les pavés de ton second foyer. Et tu es là et en tous lieux à la fois, trop empressé de désapprendre les bonnes mœurs qu’on a vainement tenté de t’inculquer entre quatre murs bien vite soufflés. Conforté dans ta conviction de n’avoir comme limite que le grandiose empyrée, tu enchaînes les calamités, sang neuf, insatiable et peu charitable envers les partisans de la discipline. Pareillement, ce sont tes accointances, ta curiosité et ton mal de patience qui te font déserter ton épicentre ancestral lorsque les années scolaires, unes à unes, tirent leur révérence. Les colonnes qui prétendaient autrefois à enserrer un azur dont tu connaissais déjà la saveur ne sont plus que l’ombre d’elles-mêmes, à l’image d’Aricie. Et puisque la teinte semble ici un brin trop chatoyante, on y joint ton manque de discernement entre les deux pôles manichéens. Car tu as beau faire figure irréfragable et impassible, il y a bien en toi quelques dilemmes; de quel côté du mur t’es-tu figé, toi qui te refuses le temps d’y songer ?